S’initier ou être #PrivésDeMG

La médecine, c’est un peu long… Le strict minimum c’est 9 ans d’études, marquées par deux concours, une thèse et un mémoire.

La médecine, c’est bien mal payé pendant les études (après, ça va mieux)… Je sais que certains pensent « ouiiiiiiii mais on paie les études des médecins, c’est un scandaaaaaaale qu’ils refusent de se déplacer la nuit dans nos campagnes comme en 1952 ». Très clairement, il s’agit de ce qu’on appelle dans le jargon scientifique des bullshits. Si vous lisez ce blog, vous savez que l’externat est souvent ingrat, avec un salaire de 100-220€/mois pour un mi-temps à 10-33 heures par semaine (33, c’est le service de gynécologie à Roubaix, et je parle bien de mi-temps). Vous savez aussi peut-être que les internes sont payés entre 1300 et 1800€ par mois environ pour du 30-60 heures par semaine (hors formation), avec des gardes rémunérées 119€ (brut) pour 15 heures entre 18h et 9h en général (soit 1,50€ de moins que le SMIC horaire brut pour des heures de nuit quand même).

Si on ne le vit pas, on ne peut le savoir. Parce que la médecine, c’est trop varié pour savoir vraiment de quoi on parle. Les généralistes ne connaissent rien à l’hôpital. Les hospitaliers ne comprennent rien à la médecine générale. Le problème, c’est que parfois les politiques parlent de la « médecine » voire, pire, de la santé.

Tenez, juste pour l’exemple, regardez le rapport d’Alain Cordier, paru récemment : http://fr.scribd.com/doc/154124539/Rapport-Cordier

Alain Cordier, c’est un homme politique qui a une licence d’économie, qui a travaillé au sein de l’Assurance Maladie, des hôpitaux de Paris, des Finances, de la Haute Autorité de Santé. Un parcours d’économiste de la santé plus que brillant donc. (On comprend un peu moins comment il a pu être également membre du comité consultatif national d’éthique et défendre le journal catholique La Croix, vu que l’éthique, la religion et l’économie n’ont pas forcément un lien fort qui les relie… mais passons.) (Source : Wikipédia)

Madame la Ministre Marisol Touraine a demandé à plusieurs « sages » de se réunir autour de monsieur Cordier pour rédiger un rapport sur « un projet global pour la stratégie nationale de la santé ». Régler la santé en France. Pas les soins primaires, pas le milieu hospitalier, pas les médecins, pas les paramédicaux. Non, tout ça à la fois. La santé. Bim.

Les sages en question sont des pointures. Il suffit de Googler pour s’en rendre compte (oui, non, parce qu’ils auraient pu dire qui ils étaient dans le rapport mais c’était un peu pénible, ça faisait du texte, toussa). Les sages sont donc : Geneviève Chêne (professeur de santé publique), Gilles Duhamel (inspecteur général des affaires sociales et ancien hépatologue), Pierre de Haas (médecin généraliste et Président de la Fédération française des maisons et pôles de santé), Emmanuel Hirsch (professeur d’éthique médicale), Françoise Parisot-Lavillonnère (directe de l’Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale Croix-Rouge française de la région Centre), Dominique Perrotin (président des doyens et réanimateur).

Jusque là, tout va bien. Bien sûr, il aurait été intelligent d’inviter à ce conseil des sages un médecin généraliste travaillant dans un désert médical. A ce stade, on peut imaginer que des professeurs parisiens ou bordelais, ou des spécialiste en économie/éthique avaient déjà suffisamment d’idées concrètes pour améliorer la santé des habitants d’un village de montagne pour ne pas surcharger le comité des sages avec des gens de terrain.

A partir de la page 4, on se rend compte qu’il y a des signets non définis sur les annexes, après une dizaine de pages en anglais non traduit. Ce genre de choses peuvent arriver. Bon, moi, sur mon blog j’essaie de régler les petits soucis au plus vite, mais c’est quand même un blog je veux dire. Ce n’est pas un rapport ministériel officiel lu par 3000 personnes. C’est normal que je fasse attention.

Puis après, il y a le texte. Grand, long, interminable. Interminé pour moi. Je l’ai survolé en diagonale, j’ai sauté des pages. Non, ça m’intéresse mais clairement c’est un investissement bien trop ennuyeux là.

Et quand même, je m’interroge. Un comité avec plusieurs professeurs, des enseignants, des chercheurs, des économistes… Ce sont des gens qui sont sensés avoir des notions de « oulàlà je dois être clair si je veux que les étudiants/lecteurs/auditeurs me comprennent », des gens qui ont dû et doivent publier des articles avec des limites de mots, de concision.

Eh bien, rien à carrer. 95 pages de texte imbitable, suivi de 12 pages en anglais non traduits, histoire d’achever ceux qui seraient arrivés au bout. Bim (bis).

Suis-je un flemmard ? Est-ce juste par manque d’intérêt ?

Alors, j’ai utilisé Scolarius.

Initié, c'est le terme canadien pour dire "imbitable".

Initié, c’est le terme canadien pour dire « imbitable ».

Je n’ai inséré ni le sommaire ni la partie en anglais. Evidemment, Scolarius est critiquable sur bien des aspects (tout dépend de la longueur des phrases, de l’usage de la typologie…), et on n’a pas atteint le score de la préface de la critique de la raison pur de Kant (qui est à 250).

Mais tout de même, vous conviendrez qu’avoir un niveau supérieur à l’universitaire pour pouvoir se farcir un texte de 100 pages sensé expliquer le projet de la santé en France, c’est peut-être beaucoup demander, non ?

Du coup, rapidement, après les deux-trois premières idées clés et avoir sauté une introduction barbante, on n’en lit plus que les grands titres : Promouvoir la santé de tous, impliquer les patients, les usagers de santé, créer des maisons de santé pluridisciplinaires, avoir un accès aux spécialistes… Bah oui. A l’intérieur, il y a des idées, de bonnes idées parfois, d’autres moins bonnes. Mais c’est un paquet de choses sur « la santé ».

Alors je continue à m’interroger et me dire : « où est ce qui m’intéresse là-dedans ? » Une recherche et j’ai trouvé. Il y a 6 occurrences de « médecine générale » (deux de moins que CHU et 47 de moins qu’hôpital) et 3 concernant les « soins primaires » ; j’ai vérifié l’absence d’occurrence du terme « infirmier » dans ce « projet global pour la stratégie nationale de la santé »… Ca m’a suffi pour comprendre que nous ne parlions pas de santé mais d’hôpital.

Du coup, si vous voulez entendre parler de soins primaires dans un texte court, ayant un indice de lisibilité à 131 (collégial), je vous invite lundi matin à venir sur ce blog ou sur celui de nombreux autres médecins blogueurs. Vous y (re)découvrirez les idées d’un groupe de gens qui ne veulent pas être #PrivésDeMG.

A lundi pour ceux que ça intéresse 😉

(Cet article a un indice Scolarius de 106 : secondaire…)

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