Faites médecine qu’ils disaient (4/??) – Entrée agitée

« SPROTCH ».

Sprotch, ce n’est pas le doux bruit d’un bisou de Saint-Valentin.

Sprotch, c’est le bruit de ma joue droite sur la porte vitrée de la faculté.

Sprotch.

J’ai souvent fait Sprotch.

Il faut dire qu’à l’époque, à la faculté de Lille, nous n’avions pas de places prédéfinies, comme c’est le cas depuis 2008 ou 2009 (6 phrases, et j’arrive déjà au point « je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître » !)

En 2004, pour avoir une place dans le meilleur amphithéâtre, nous devions arriver tôt, courir, monter des escaliers, repérer un rang stratégique, s’y installer, lancer son manteau, son sac et sa trousse pour réserver le plus de places possibles pour les amis (ça se rapproche du biathlon, remarquez). Nous étions environ 400 le matin à réserver avec difficultés des places dans l’amphithéâtre 2, capable d’accueillir 600 personnes… Sans réservations, il n’y aurait pas eu de combat quotidien ; sans réservations, il n’y aurait pas eu le même folklore ; et en même temps, tous ceux qui ont essayé d’empêcher le système de réservations se sont cassés les dents — plus ou moins littéralement.

Nous bataillions pour entrer dans l’amphithéâtre 2, ou amphi « prof » — celui où le prof était physiquement présent, où on avait une vue permanente sur tout le tableau, où il n’y avait pas de problèmes techniques isolées (plus de son, plus d’image, comme dans les amphis « vidéo » où le cours était retransmis sur écran géant). Et face à nous, il y avait un homme, seul, face à son destin… Parfois, je repense à ce gardien qui, chaque matin à 7h15, devait ouvrir les portes de la faculté… Chaque matin, en tournant la clé, il croisait le regard décidé de 400 P1 prêts à rejouer la chevauchée des Walkyries. Chaque matin, à 7h16, sa vie risquait de s’achever sous les piétinements sans concession de centaines de P1 enragés…

This is Sparta.

Tous en amphi deuuuuuuuuuuuux !

Si j’exagère ? Je ne sais pas, voyez ça avec la fille qui voulait entre à la fac et a fini hospitalisée en orthopédie (probablement l’un des déclencheurs aux places prédéfinies en 2008-2009).

Si j’ai fait partie de cette horde de P1 coureurs ? Oui, mais pas tellement la première première année…

— Attends, je ne comprends plus rien.

Ah ! Je t’avais oublié, toi… Qu’est-ce qu’il y a ? Je suis clair pourtant.

— Bof, non. La dernière fois tu quittais les portes ouvertes, le hall était désert, et d’un coup tu passes aux portes fermées avec un hall bondé.

Je t’ai dit que c’était une histoire de portes…

— Et maintenant, ce n’est plus la première année… J’ai du mal à suivre. Tu ne veux pas le faire dans l’ordre ?

Oh, pardon, c’est vrai que j’ai sauté des étapes. Entre temps, j’ai trouvé un logement. Ca n’a pas été si simple : bien que j’étais boursier à l’avant-dernier échelon, j’avais été refusé pour la résidence universitaire Châtelet, où j’avais fait la demande. En checkant sur le site du CROUS, un jour de mi-juillet, j’ai vu une place libre. Nous avons appelé pour comprendre et le secrétaire au bout du fil nous a répondu que quelqu’un se désistait, et que si je ne cliquais pas sur « OK » dans les 5 prochaines minutes, j’avais toutes les chances de perdre la place. J’ai cliqué, sans trop en savoir plus sur le logement. A 123,68€ par mois avec charges comprises, c’était l’affaire du siècle. J’allais pouvoir emménager début septembre…

Peu après, je suis retourné à la fac (avec mes parents), en juillet, pour faire mes papiers. Je venais d’obtenir mon bac S avec mention FITNESS.

— FITNESS ?

Finger In The Nose Easily Saved by Science. J’avais 17 ans, un bac S, je débarquais à la faculté-bateau de Lille, et je me sentais comme Jack lorsqu’il hurle « je suis le roi du monde ! » avant d’aller nourrir les poissons de l’Atlantique — oui, avec le recul, l’image me semble vraiment très appropriée.

Avec mes parents, nous sommes allés régler l’inscription au plein centre-ville. Nous y avons été accaparés par la mutuelle étudiante SMENO, gagnant cette bataille individuelle au milieu de la grande guerre séculaire avec la concurrente LMDE. Nous avons ensuite été invités à retourner à la faculté pour acheter les bouquins d’anatomie Vidal (6 livres à 18€ pièce), le pack indispensable des « polys de quelques profs mais pas tous et dont certains vieux et démodés qui ne serviront jamais mais on ne vous dit pas trop lesquels prenez tout » (120€).

Bon, ben, on va manger des pâtes.

Bon, ben, on va manger des pâtes.

Non seulement je venais de plumer mes parents de deux mois de loyers, mais en plus, dans ce pack « officiel », il manquait deux choses : l’indispensable poly « officieux » du prof de biologie cellulaire (surnommé Gribouille…), et les annales « officieuses » GALA avec des corrections argumentées… Le premier, je l’ai acheté sous le manteau, à la sortie d’un cours en mode junky du poly ; les annales, j’en ai eu connaissance tardivement mais ils coûtaient une jambe à deux genoux (et pour les obtenir, il fallait appeler un mec qui les apportaient en voiture à la fac, en mode Parrain italien). J’ai pu les télécharger gratuitement l’année suivante.

— Super… Et après ? Tu as travaillé tout ça avant d’y aller ?

Non. J’ai cru essayer… J’ai regardé un peu les bouquins d’anatomie mais ça semblait trop complexe : on n’allait certainement pas se prendre le chou avec tous ces noms de tubérosités de processus d’insertion distale de muscles latins. J’ai dessiné deux-trois os en essayant d’apprendre les reliefs, pensant que ça allait nous occuper au moins 2 semaines. En pratique, j’avais anticipé l’équivalent de 23 minutes de cours faciles.

J’ai passé l’été post-bac à lire (difficilement) l’introduction à la médecine expérimentale (de Claude Bernard), et la Bête humaine (d’Emile Zola), pour les sciences humaines et sociales, vendues comme une matière à mi-chemin entre la philosophie et la roulette. J’avais eu 6 en philo au bac, et j’avais été refusé à l’entrée d’un casino deux ans plus tôt : c’était assez mal barré pour cette matière.

Nous sommes retournés à Lille ensemble une dernière fois avant le grand départ, pour mon emménagement, début septembre. Nous avons installé un frigo, des plaques chauffantes, un détecteur de fumée, un micro-ondes, deux meubles, une planche à repasser, un balai… Mes 9 m² étaient mieux organisés que ma chambre habituelle, j’en étais assez fier (sauf le premier jour où mes parents ont passé plus de 9 heures à faire du ménage, là j’étais agacé, parce que ça ne collait pas avec mon job de roi du monde d’exploiter mes « propres » — ahah — parents). Ce jour-là, j’ai récupéré ma carte d’étudiant, et sur la route, j’ai fait mon premier don du sang (oui, en partie pour me défouler de leur ménage intempestif et de mon sot énervement, j’ai donné mon sang — cherchez pas, j’ai des pensées magiques, parfois).

J’ai photocopié mon carnet de vaccinations, ma fiche stipulant une allergie (probablement fausse) à la pristinamycine, ma carte de groupe sanguin, ma carte vitale.

Le PCEM1 n’avait plus qu’à bien se tenir…

J’étais prêt.

 

 

 

La suite… dans 14 jours (vendredi 28 février, à une heure encore indéterminée).

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