Faites médecine qu’ils disaient (6/??) – Il n’y a pas de justice en médecine

Après mon échec, j’ai décidé d’être mat, et je suis donc parti bronzer sous le soleil turque de Bodrum. (Je commence avec une blague, parce que je risque de ne pas être très drôle encore dans ce billet… cette série a un côté nombriliste, plutôt amusant à écrire mais sûrement beaucoup moins à lire ; j’écris aussi pour me raviver les souvenirs, et je partage parce que c’est dans l’ère du temps, mais voilà…)

Bref, après les vacances, passées en partie sur MSN Messenger avec un ami de médecine (G.), et un de musique (Y.), la deuxième partie d’échecs a pu recommencer… Je connaissais les pièges de l’adversaire même s’il s’était renouvelé ; par exemple, cette fois ce n’était plus les biophysiciens qui s’étaient lâchés, mais les statisticiens — ne nous y trompons pas, j’ai une note parmi les meilleures, avec mon pauvre 13.5… « That’s P1 ! »

Liste d'admission... \o/ (Vous avez le droit de ne pas partir en fac de bio, ne pas devenir prof, et faire des tas de gardes en tant que sous-fifre \o/)

Liste d’admission… \o/ (Vous avez le droit de ne pas partir en fac de bio, ne pas devenir prof, et faire des tas de gardes en tant que sous-fifre \o/)

La première P1, je l’avais faite un peu plus en solitaire, avec une nouvelle amie et quelques anciens que je recroisais au gré des semaines. Je sortais peu, je venais à Lille uniquement pour les cours et rentrais aussitôt chez moi ensuite. Cette fois, j’avais surtout retrouvé G., un ami de collège (avec qui j’étais toujours en contact, surtout via MSN comme je disais) : en septembre, il avait dû quitter sa résidence universitaire (en travaux) pour rejoindre la mienne — dont je parlerai dans un des trois prochains billets, qui sera donc officiellement sous le signe du LOL.

Nous vivions au même étage. Chaque jour, nous nous rejoignions à la résidence pour arriver tôt à la faculté, et choper des places dans ce mythique « amphi 2 » dont je n’ai de cesse de vous parler (amphi avec le prof, le grand tableau, le minimum de problèmes techniques, le maximum d’ambiances). Nous en réservions pour N., une amie (de lycée), puis de plus en plus de personnes, R., T., L. (comme la radio), N., MH…. Même les deux premières semaines, face à 2400 (ou presque) étudiants prêts à en découdre pour faire partie des 600 élus de l’amphi 2, nous avons toujours réussi à nous placer et réserver des places : oui, nous étions bel et bien des carrés, forts, puissants, Seigneurs de l’amphi 2 (bon, j’en rajoute un peu, c’est pour la légende).

En vrai, il y avait des gens au-dessus des carrés — comme le Doyen. Vers octobre, un lundi, dans le vain espoir de diminuer les décibels dans l’amphi, il a sélectionné un type au hasard dans les rangs du haut, en train d’applaudir généreusement, comme les 600 étudiants de l’amphi. Ce type c’était moi. Je l’ai rejoint, véritable lapin pris dans les phares de 600 paires d’yeux et une caméra me retransmettant dans 6 autres amphis. Le Doyen (de l’époque) m’a confisqué ma carte d’étudiant, j’ai balbutié un truc comme quoi j’applaudissais la bonne répartie du prof (qui avait été traité d’adipeux, en gros — et ce n’était pas la méchanceté gratuite que nous étions 600 à applaudir mais le bon mot du prof juste derrière). Du haut de son sommet de la tour de la fac, il m’a demandé ce que je voulais faire (médecine, kiné ou sage-femme), m’a dit que ça serait dur, m’a demandé mon classement de l’année passée, puis n’a pas pu m’enfoncer (586, c’était objectivement un bon classement pour réussir une P1 carrée). J’avais servi d’exemple, et c’était relativement désagréable.

— Tu as dû lui en vouloir…

Oh, un peu, mais rien d’insurmontable. L’année suivante, j’ai accepté d’assister à ses vœux (en tant que membre d’une association). J’ai dû repenser à cette confiscation d’exemple, à l’occasion…

— Et donc, ta carte ?

J’y viens. Le lendemain, je me suis rendu à son secrétariat comme prévu, pour y récupérer ma carte. Je ne sais pas trop ce que cette confiscation a changé, si j’ai eu un mot dans un quelconque dossier ou quoi. Ca a duré 1 minute. Il est resté dans son bureau, à droite, derrière la porte aux carrés patchwork. La moquette était douce, l’ambiance cosy. Un autre monde à la fac. Ca a été ma première visite au 5ème — je n’y suis retourné que 8 ans plus tard, pour parler de post-internat, entre DESC et clinicat…

Voilà…

— C’est tout ?

Non. Qu’est-ce tu veux savoir d’autre ?

— Bah, je sais pas, la P1 carrée, en quoi c’était différent ? Comment tu as fait pour l’obtenir ? Tiens, c’est peut-être ça la seule vraie question, en fait : qu’est-ce que tu as changé pour réussir ?

Pas grand-chose. Régulièrement, des membres du petit groupe (dont je parlais plus haut) se réunissaient à la bibliothèque universitaire à deux pas de ma résidence, pour y réviser ensemble de façon très studieuse. Avec G., nous les rejoignions une fois ou deux par semaine, et nous passions souvent une bonne partie de notre temps à discuter, faire des mots croisés, des Sudokus, probablement à cause d’un trouble déficitaire de la concentration… 😀 C’est amusant, parce que j’y repense en me disant « c’était le bon vieux temps », alors que nous avons passé une année entière à se demander quotidiennement si nous serions ssssssssssssssssssélectionnés à la fin de ce concours (de merde).

C’était ça le plus dur : se motiver à travailler chaque jour pour un concours qui n’apportera peut-être que désolation ; vivre avec la culpabilité de ne pas être en train de travailler, et ne jamais profiter pleinement du temps libre ; se sentir stupide de ce méli-mélo de sensations de culpabilité/démotivation/motivation, qui ne sont que des problèmes de « riche »… Au pire, j’aurais fait autre chose, et puis voilà. Mais non, je m’accrochais à ce P1 comme on s’accroche à quelque chose qui nous a mis en échec ; je voulais poursuivre médecine sans avoir aucune idée de la suite…

Cette deuxième année, je sortais plus que la première ; parfois le vendredi soir après la répétition d’harmonie, ou dans la semaine à Lille, pour aller au cinéma — beaucoup moins que G. — ou faire des concours de pizza au mètre chez Pizza Paï avec le petit groupe. J’ai vu les Bronzés 3 tiens, cette année-là, et n’ai lu qu’un seul livre : Ubu Roi (amusant non ?) En mars, je suis allé à la 78ème revue de médecine sur le thème « bienvenue au club med’cine » — j’aimais bien les reprises de chanson avec les profs, l’ambiance de foule déchaînée qui se pousse plus qu’elle ne danse, et beaucoup moins le côté « beuverie gigantesque ». Enfin, plutôt que choisir un sport qui me déplaisait (muscu) mais était proche (en bas de chez moi), j’ai pris un sport qui me plaisait (ping-pong), à une petite demi-heure ; bref, ce n’était pas le même état d’esprit, je savais que j’aurais beaucoup de temps de « glande » : je n’espérais pas travailler à longueur de journée comme ça avait été le cas avant ma première P1, même si je culpabilisais encore à peu près autant de ne pas le faire…

Pour faire plaisir et rassurer ma mère, j’ai pris 2 cures de ginseng, et j’ai cédé pour prendre 2 heures de cours supplémentaires en biochimie en prépa privée (CAPPEC) — souvent le lundi, parfois le jeudi ou vendredi, m’obligeant à rester à Lille, et m’éloigner un peu plus de ma famille. Pour bosser l’anatomie, j’ai récupéré via l’amie de mon prof de solfège des bouquins de « Prim’anat » qui m’ont un peu servi, en fonction de la clarté du prof. Pour les QCMs, j’avais les GALA, disponibles cette fois en téléchargement — et ça a changé la donne, puisque les corrections apportaient un vrai plus, par rapport aux annales officielles ! Pour les sciences humaines et sociales, G. avait fait des fiches des cours abominables d’éthique, qu’il m’avait passées… Concours, mais pas entre amis.

— Donc tu as changé plein de trucs, quand même ?

Non, pas tellement… Ce sont des détails. La seule vraie différence, c’est que je travaillais avec un petit groupe, où il y avait une saine émulation, notamment avec G.

Pour le reste, je végétais encore régulièrement l’après-midi devant la télé quand les cours m’insupportaient — chose que je n’avais jamais et n’ai plus jamais fait ensuite ! Et puis, j’ai poursuivi la musique avec ses projets, qu’ils soient sympathiques (concerts, passage dans une émission régionale « En avant la musique » avec les nombreux enregistres, présentations amusantes — j’ai mangé du thon en pantoufles sur scène à cette occasion), ou plus tristes (l’oraison funèbre du maire qui était à la tête de la mairie depuis avant ma naissance). Le lendemain des épreuves de mai, je jouais le chasseur dans Pierre et le Loup, pour présenter la trompette à des enfants… Il y a toujours eu un mélange de musique et de médecine pendant l’année. J’ai continué l’écriture, avec deux nouvelles en co-écriture (Ace Burton 1, l’Odyssée des Snurps) et une nouvelle écrite au lendemain des partiels de janvier — Silicon Brain, sur un cerveau capable de retenir des tonnes de trucs, c’est assez mal écrit mais là encore très amusant à replacer dans le contexte 😉

Ma famille était toujours aux petits soins, comme l’année précédente… J’y ai encore ruiné plusieurs « mobicartes » dans mon portable ! Je n’ai jamais manqué de soutien, et c’est le plus important, au-delà des disputes ou des distances mises avec ma famille paternelle depuis ma première P1 (ni eux ni moi n’avons pensé à prendre des nouvelles, et nos relations se sont enlisées dans l’oubli). C’était une époque assez joyeuse, il ne faut pas se plaindre — même si le ginseng, c’est dégueulasse.

— Et donc, tu as eu cette année en travaillant, avec le soutien des amis et de la famille… C’est ça que tu essaies de me dire ? Un message bateau, tout droit sorti de n’importe quel blockbuster : travailler ensemble nous rend plus fort, et toutes ces histoires ?

Oui, c’est un peu ça… Mais il y a aussi un point important : il n’y a aucune justice en médecine.

— Tu fais référence à l’épisode de ta carte d’étudiant ?

Pas seulement. J’étais meilleur que la plupart des P1 « bizuths » tout simplement parce que j’avais 12 mois de recul supplémentaire. C’est beaucoup plus « facile » d’un coup — attention, c’est vraiment très très loin d’être du tout cuit, et associer « facile » et « P1 » nécessite des guillemets très solides. Le P1 ce n’est pas dur intellectuellement, puisqu’il n’y a quasiment que du par cœur et très peu de choses à comprendre (c’est très différent du lycée et du bac, et on retrouve parfois des gens qui se galéraient en maths et physique de terminale S réussir une P1 en un an…)

Cette fois, à l’examen blanc de décembre, j’ai eu 14,5/20. J’étais confiant pour les révisions des vacances de Noël… Un peu trop, puisque le lendemain de Noël j’étais grippé, au fond du lit pour 3-4 jours. Aucune justice… Je luttais fébrilement avec ces p*tain de cours de m*rde de sciences humaines et sociales : 60 heures d’éthique, de sociologie, psychologie et autres qui me restaient à apprendre, car j’avais largement délaissé cette discipline (à gros coefficient) pendant les trois premiers mois, pour me concentrer sur des matières « objectivement » évaluables. Je faisais des mindmaps pour la première fois, j’inventais des moyens mnémotechniques avec les premières syllabes de listes imbitables de mots-clés. Le jour des partiels, je suis entré dans la salle avec une ritournelle en tête, qui était du genre « GéTaBuLiMoArToPaLi SaLaDeDeFruits QuiTroPliMaPulTaTi, etc. » et je l’ai notée précipitamment sur mon brouillon dès le début.

Le vendredi après les épreuves, avec G. nous avons regardé les corrections des QCMS (objectifs donc), et j’estimais ma note à 14,6/20. En fin de mois, c’était confirmé : avec les sciences humaines et sociales, j’avais D (12-14), comme G… (qui a eu D, contrairement à N. et R. qui ont eu C ; je ne connaissais pas encore M., dans l’autre groupe, mais elle avait E — c’est clair, non ?) Mine de rien, ce D, c’était la porte ouverte au P2. Il « suffisait » d’avoir la même note que l’an dernier au second quadrimestre, et bingo, j’étais sélectionné.

— Tu as dû être soulagé ?

Ravi. Mais pas démotivé. Le contre-coup peut être très violent en P1… Il suffit de ne pas se réveiller un matin (malgré les trois réveils, l’appel maternel, et l’ami qui vient toquer à ta porte), d’être malade — comme mon otite en D1 ! —, d’être hospitalisé, de décaler les réponses aux QCMs d’une ligne, ou simplement de se trouer lamentablement sur une grosse matière, et adieu veaux, vaches, cochons et toute la basse-cour qui va avec.

J’ai donc poursuivi mes efforts au deuxième quadrimestre. Par superstition, j’ai poursuivi les cours au CAPPEC ; et puis, mine de rien, ça me faisait changer de local, voir des gens, changer de programme un peu…

Parfois, pour me remotiver, j’inventais ce que je ferais après : lire sur la plage (j’ai acheté tous les Harry Potter avec les sous de mon anniversaire, et 29 livres de fantasy à 1€ que je n’ai pas encore lus 9 ans après — mais je ne désespère pas), aller au cinéma, faire la fête du cinéma comme chaque année depuis le lycée, faire des brocantes… Le plus fou : me prendre une place pour un spectacle de Stéphane Guillon le 1er juin. Pas de plaisir extravagant, en fait, des trucs à la portée de ma bourse qui me faisaient vraiment plaisir et qui tournaient toujours autour du même truc : découvrir de nouvelles histoires. Y a-t-il autre chose d’important que se raconter des histoires, finalement ?

— Euh…

Non, mais on va pas philosopher, j’ai déjà dit que j’étais nul dans le domaine !

— Tant mieux…

En avril, comme l’année précédente, les profs défilaient pour la dernière fois devant nous, nous souhaitant bonne chance, nous disant au revoir. L’un d’eux — le professeur Marchandise — m’amusait au plus haut point, en biophysique : il était d’une drôlerie certaine, et ses cours empreints d’un humour fin et omniprésent. Je lui ai envoyé une question par mail, sur un ton assez léger, et il m’y avait répondu dans des mêmes termes. J’ai gardé son courrier, comme on garde les dédicaces ou les autographes de stars ; les profs en P1 sont les stars de 2000 étudiants chaque année…

Après les cours, j’ai rejoint ma mère à Bagnères-de-Bigorre. J’y ai emporté tous mes polys, et j’ai travaillé d’arrache-pied. Je n’avais que mes polys, la télé que je ne regardais que le soir (et mes jambes pour sortir un peu). Pas d’internet. En 14 jours, j’ai refait un tour du programme. Sur le chemin du retour, nous sommes descendus à Lourdes pour prendre une photo « LOL » avec le poly de biophysique qui avait largement contribué à me plonger l’année précédente dans les méandres d’une deuxième année… Le temps de prendre la photo, nous avons failli rater notre train, qui serait rentré avec nos bagages — mais sans nous.

"Comment j'ai eu mon P1 grâce au pèlerinage" s'est vendu à 5 fois plus d'exemplaires que "comment j'ai raté mon P1 malgré des sacrifices animaux (de grosses araignées)"

« Comment j’ai eu mon P1 grâce au pèlerinage » s’est vendu à 5 fois plus d’exemplaires que « comment j’ai raté mon P1 malgré des sacrifices animaux (de grosses araignées) »

Du 1er au 17 mai, je me suis remis au vert chez mon beau-père pour revoir encore des cours, et faire les QCMs. Du 17 au 19 mai 2005, j’ai repassé mon P1, et cette fois, je savais que ça allait bien se passer. 3 jours plus tard, je suis retourné à Lille pour voir les corrections des QCMs : 15.2/20. Il n’y avait plus de suspens, même avec 0 en sciences humaines et sociales au deuxième quadrimestre, j’étais largement au-dessus du 11.5-12/20 nécessaire pour être parmi les 406 sélectionnés cette année (sur 2400, au lieu de 360/2000 l’année précédente). Pour fêter ça, mon beau-père a acheté une belle table de ping-pong — plus droite que celle qu’il avait fabriquée quelques années auparavant — et j’y suis retourné sans polys, avec juste un roman et des raquettes…

Enfin, le 9 juin, j’ai regardé mon horoscope : « C’est important pour vous d’obtenir le respect et l’admiration de votre entourage. En adoptant une attitude franche et honnête, tous se rallieront autour de vous. Indécision quant aux objectifs dans votre vie. Remémorez-vous vos envies lorsque vous étiez enfant ; peut-être cela vous inspirera-t-il ? Allez au fond des choses. » Je n’y ai pas prêté attention. Je ne crois pas aux horoscopes. Mais je l’ai noté, ça m’a semblé fun de lire ça justement ce jour-là… car en fin de matinée, les résultats ont été affiché sur internet ! J’ai eu mon P1. Et la coupe du monde a pu sereinement commencer.

— Whaow… Je préfère cette conclusion.

Moi aussi.

— Par contre, je n’ai pas saisi : c’est quoi l’histoire de l’horoscope ? Pourquoi tu dis ne pas y avoir prêté attention ?

Eh bien, si je l’avais vraiment bien lu, je me serais peut-être posé la question : pourquoi vouloir le P1 ? Pour exercer un métier dont j’ignorais tout, pour être utile à la population sans savoir comment, pour m’offrir des choses dont je ne rêvais pas… ou simplement pour réussir un concours qui m’avait résisté une fois, et me prouver ma prétendue valeur ? Et si, au terme de cette deuxième année, mon seul but était devenu de relever le défi du P1 ?

Le jour des résultats, je n’étais que joie… Puis j’ai pensé à ceux qui étaient dans ma situation de l’année précédente ; l’avaient-ils moins mérité que moi, eux qui avaient eu 12 mois de moins, et à qui je prenais la place ? N’avaient-ils pas une meilleure motivation que poursuivre un cursus débuté sans grande vocation ? Même si je n’ai pas volé mon passage en P2, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il n’y a pas de justice en médecine…

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