Lombalgies : faut-il mettre des myorelaxants ?

Les contractures musculaires douloureuses sont le plus souvent des atteintes rachidiennes, dont les lombalgies et lombosciatiques, n’entraînant pas de complications graves mais un handicap fonctionnel plus ou moins marqué, avec une dégradation de la qualité de vie.

Lors de mon stage aux urgences, devant toute lombalgie aiguë, nous prescrivions AINS (topique/pommade ou per os/gélule), paracétamol et myorelaxant. La place des myorelaxants n’est jamais claire, et les molécules utilisées varient selon les séniors : certains préfèrent les benzodiazépines, d’autres le thiocolchicoside, parfois les deux dans un protocole avec thiocolchicoside 1 matin, 1 midi et tétrazapam 50 le soir (car les benzodiazépines endorment…)

Par la suite, en ville, mes prat’ ne prescrivaient quasiment jamais de myorelaxant. Du coup, j’ai vérifié un peu l’intérêt dans une courte et non exhaustive revue de littérature en mars 2013, que je vous mets ici…

Les myorelaxants agissent efficacement dans les lombalgies aiguës par rapport au placebo : dans une méta-analyse de 1996 sur 30 essais, diminution de 20% de la douleur à J2-4 : RR 0,8, IC95% [0,71-0,89]). Cette action est présente chez les myorelaxants benzodiazépines (tétrazépam) et non-benzodiazépines (thiocolchicoside). Ils possèdent des effets indésirables sur le système nerveux central (RR 2,04, IC95% [1,23-3,37]), moindres avec les myorelaxants non-benzodiazépines, tels que le thiocolchicoside (1,2).

Le tétrazépam (MYOLASTAN 50 mg) agit comme les autres benzodiazépines : il se fixe sur les récepteurs GABA du système nerveux central, et entraîne une augmentation de leur effet (plus d’ouverture pour moins de GABA). Les récepteurs GABA permettent un influx de chlore (Cl-), qui augmente les charges négatives de la membrane du neurone, et les rend « hyperpolarisées »… ou « difficiles à dépolariser ». En gros, il est plus difficile pour le neurone d’envoyer un signal nerveux et, in fine, une contraction musculaire. Dans les lombalgies aiguës, le tétrazépam a un SMR faible (1999) devant une efficacité mal établie et des effets indésirables importants (benzodiazépine) n’existant pas dans les alternatives thérapeutiques, pour une pathologie sans caractère majeur de gravité. Il semble y avoir une amélioration significative de la douleur pour un traitement de 7 jours, mais pas d’amélioration à 14 jours. La commission de transparence de la HAS était défavorable au remboursement en 2005, et la spécialité et les génériques ont perdu leur remboursement en 2011 (3).

La thiocolchicoside active les récepteurs glycinergiques du tronc cérébral et de la moelle épinière… Ces récepteurs, on peut les inhiber avec de la strichnyne (si on souhaite paralyser quelqu’un dans un Agatha Christie), et ils peuvent être mutés dans certaines maladies telles que certains Stiff-Man Syndrome (syndrome de l’homme raide) ou l’hyperekplexie (retenez, pour le Scrabble). En les activant, c’est donc l’inverse qui se produit : on « déparalyse », on « déraidit ». Il est également antagoniste des récepteurs GABA (cortex), responsable d’exceptionnelles crises convulsives. Enfin, le thiocolchicoside est un dérivé de la colchicine : une action anti-inflammatoire pourrait également expliquer son action. Dans une étude sur 149 patients, la thiocolchicoside 2/j IM a été testée et améliorait significativement l’EVA, la distance main-sol et la contracture musculaire à J5, avec une réduction associée de la consommation de paracétamol et une appréciation subjective de l’efficacité du traitement 3 fois plus importante qu’avec le placebo à J5 (4).

Les myorelaxants ont été essentiellement évalués dans la lombalgie commune aiguë, où ils entraînent un soulagement modéré. Le bénéfice est très variable d’un essai à l’autre, s’expliquant en partie par l’hétérogénéité de malades inclus (1,5). En 2012, la HAS a donné un avis favorable au maintien du remboursement du thiocolchicoside, malgré un SMR faible (6). Il était déconseillé pendant le premier trimestre de grossesse, il est maintenant contre-indiqué durant la gestation, par précaution. Le rapport efficacité/effets indésirables de cette spécialité reste moyen. Il existe des alternatives thérapeutiques (AINS, paracétamol…)

Au total

Le seul myorelaxant aujourd’hui autorisé dans les lombalgies est le thiocolchicoside MIOREL.

Son intérêt est surtout d’apporter un soulagement modéré, significatif à J5 (au moins sur le plan subjectif), avec une diminution des autres thérapeutiques.  Il n’y a plus de différence significative après 7-14 jours de traitement.

Son principal effet indésirable, via son antagonisme GABA, est d’être potentiellement (et exceptionnellement) responsable de crise épileptique.

Comme souvent, il faut savoir discuter la balance bénéfice / risque pour proposer la meilleure solution adaptée à la situation, et à mon sens, réserver le thiocolchicoside aux patients ayant besoin d’être soulagé rapidement (Interim et besoin de retravailler bientôt, sportif…) ou ceux susceptible de surconsommer des AINS ou du paracétamol. ll faut évidemment le contre-indiquer chez les patients à risque d’épilepsie…

(EDIT : A noter une restriction d’utilisation à 7 jours depuis novembre 2013 – merci à @EDouriez pour son article de l’EMA cité dans les commentaires).
REFERENCES

1.            Décontracturants musculaires : une réévaluation non suivie d’effets (spécifiques). Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : 258.

2.            Van Tulder MW, Touray T, Furlan AD, Solway S, Bouter LM. Muscle relaxants for non-specific low-back pain. Cochrane Database of Systematic Reviews [Internet]. John Wiley & Sons, Ltd; 1996 [cited 2012 Nov 26]. Available from: http://onlinelibrary.wiley.com.doc-distant.univ-lille2.fr/doi/10.1002/14651858.CD004252/abstract

3.            Avis de la Commission de la transparence TETRAZEPAM [Internet]. document de la Haute Autorité de santé, disponible sur le site www.has-sante.fr. [cited 2012 Nov 25]. Available from: http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/ct032561.pdf

4.            Tüzün F, Ünalan H, Öner N, Özgüzel H, Kirazli Y, İçağasıoğlu A, et al. Étude multicentrique, randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo évaluant l’efficacité de la thiocolchicoside au cours de la lombalgie aiguë. Revue du Rhumatisme. 2003 Oct;70(9):736–42.

5.            Bannwarth B. Lombalgies communes : quels moyens pharmacologiques, pour quels résultats ? Revue du Rhumatisme. 2011 Mar;78:S75–S78.

6.            Haute Autorité de Santé – THIOCOLCHICOSIDE BIOGARAN [Internet]. [cited 2012 Nov 26]. Available from: http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1322495/thiocolchicoside-biogaran?xtmc=&xtcr=1

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