Faut-il pulvériser ou arroser un nez enrhumé ?

(Extrait de mon RSCA n°9, écrit le vingt-trois dessembre de l’an de grâce deux mil quatorze).

Le rhume(1,2)

La rhinopharyngite ou rhume (« rheuma » = le flux marin, l’eau qui coule) est essentiellement due à :

  • rhinovirus (100 sérotypes, immunisation locale courte, 40% des rhumes souvent avec toux),
  • adénovirus (40 sérotypes, immunisation contre le type entérique vers 4 ans, conjonctivite et gastroentérite associées),
  • VRS (bronchiolite avant 2 ans)
  • virus influenza (grippe) ou parainfluenza (laryngotrachéite, bronchiolite…)

La période d’incubation est de 16 heures (fatigue, reniflement, mal de tête) et atteint un pic entre 2 et 4 jours (rhinite, toux). La guérison est spontanée entre 7 à 10 jours, parfois jusqu’à 21 jours (ou, selon la blague médicale classique, en « seulement 3 semaines avec un bon traitement »).

La toux dure en moyenne 18 jours voire plus en cas de toux post-virale (10% des cas chez l’enfant). Elle peut être compliquée d’une surinfection bactérienne (sinusite, pneumonie), d’une exacerbation d’asthme ou de BPCO.

Le rhume n’est pas causé par le froid et la pluie : mettre un pull chaud et bien se couvrir ne sert à rien pour éviter le rhume (parents, si vous nous lisez…) Bien sûr, c’est utile pour éviter de mourir de froid ou perdre des orteils non vascularisés (le froid entraîne une vasoconstriction ou fermeture des petites artères…) Ne mettez pas un nourrisson découvert pendant 3 heures dehors en hiver, surtout si vous vivez sous mes latitudes, parce que ça peut mal se passer. Mais… pour le rhume, ça ne changera rien ! Le rhume est un virus, qui est transmis à cause du confinement causé par le froid (transports en communs, restaurants en intérieur…) ; pour être honnête, il est favorisé par le fait que notre muqueuse nasale soit fragilisée par l’air sec hivernal, mais ça, à part un cache-nez…

Du coup, c’est très rigolo : depuis la nuit des temps (ou presque), les parents disent à leurs enfants de rester au chaud pour ne pas « attraper froid », et c’est finalement ce confinement qui est le plus à même de déclencher des « épidémies » de rhume. Je crois que c’est l’un des plus jolis biais d’interprétation que je connaisse 😉 (d’ailleurs, tous ceux qui courent en T-shirt et short l’hiver vous diront qu’ils ne sont jamais malades… et on leur attribuera volontiers un sacré système immunitaire pour leur « résistance au froid »).

Le traitement prophylactique consiste à éviter les personnes malades (transmission gouttelettes, contact et par vecteurs passifs ou fomites), bien se laver les mains voire porter un masque. En cas de récidives fréquentes, une adénoïdectomie peut être indiquée, bien que son efficacité soit discutée(3). La vaccination n’est pas possible en raison des nombreux sérotypes et de leur mutation rapide et fréquente.

Il ne faut pas oublier de traiter les causes de récidive : tabagisme, carence martiale, RGO, allergies…(4)

Le zinc a été évoqué comme un traitement utile pour limiter l’adhésion du virus (ICAM-1) en cas d’utilisation préventive ou dans les 48 premières heures ; la voie orale à plus de 75 mg/j permettrait de diminuer la durée des symptômes et diminuer les absences scolaires, en dépit d’un risque de nausées et de dysgueusie(5) ; la voie intranasale a une efficacité éphémère jusqu’à J3, et pourrait entraîner une anosmie permanente(6).

Le traitement est symptomatique. Aucun médicament n’a vraiment prouvé son efficacité (en dehors des vasoconstricteurs, dont les effets indésirables potentiels limitent l’usage).

L’irrigation nasale (DRP) n’a pas montré son efficacité dans les infections virales des voies respiratoires supérieures(7). La prévention semble avoir une efficacité, mais la compliance est difficile (8,9). Les corticoïdes intranasaux(10), antihistaminiques oraux(11), antiviraux(12), vitamines C(13), l’ail(14) n’ont pas montré leur efficacité pour la durée des symptômes (douteux pour la vitamine C).

D’après l’American Family Physician(15) seraient efficaces :

  • en préventif chez l’enfant : probiotiques, Zinc sulfate, DRP, Chizukit (préparation phytothérapeutique) ;
  • en curatif chez l’enfant : vapor rub, Zinc sulfate, Pelargonium sidoides (géranium), miel de sarrasin ;
  • en curatif chez l’adulte : Zinc (acétate ou gluconate), ipratropium inhalé (ATROVENT) et les vasoconstricteurs, AINS, Echinacea purpurea (préparation phytothérapeutique) ;

Méthodes de désobstruction rhinopharyngée

Coût : 5-7€ les 20 pipettes en pharmacie (4 jours de soin), 2-3€ en grande surface

Il n’existe pas de références officielles sur les DRP. Les méthodes sont empiriques et se transmettent entre parents, médecins, kinésithérapeutes, puéricultrices, pharmaciens…

Avant la DRP chez l’enfant, il faut s’assurer de son état clinique (dyspnée, fatigue…), la perméabilité de ses fosses nasales, et bien se laver les mains avant et après le soin. Il ne faut pas faire de DRP après une tétée (risque de vomissement).

Il existe 4 méthodes de DRP, de la moins invasive à la plus invasive(16) :

  • Mouchage avec un coton roulé imbibé de sérum physiologique (retrait de sécrétions sèches) : peu efficace
  • Instillation : enfant sur le dos, 2-4 gouttes de sérum physiologique par narine au moment de l’inspiration ; redresser l’enfant pour récupérer les sécrétions dans le nez et la bouche.
  • Volume (si insuffisant) : enfant sur le dos avec tête d’un côté, instiller la moitié de la dosette dans la narine supérieure.  Contrairement à l’instillation, il s’agit d’un soin invasif pouvant provoquer un inconfort, un barotraumatisme (vertige, acouphènes), des sinusites et otites.
  • Aspiration nasale (dosette vide ou mouche-bébé avec un filtre (4-55€)) : permet de récupérer des sécrétions déjà fluidifiées, avec un risque de traumatisme de la muqueuse nasale (non utilisé en médecine générale : la sonde d’aspiration).

La DRP est majoritairement réalisée avec 1/2 pipette (5 ml) de sérum physiologique par narine dans le Nord avec le bébé ayant la tête sur le côté (93%) ; de façon plus occasionnelle sont recommandés et utilisés des mouchoirs absorbants (51%), mouche-bébé (48%), flacon pressurisé (19%), poire (2,5%) (17)(18). Les soins sont recommandés au réveil, avant les repas, au coucher et si encombrement.

La DRP est suivie d’un mouchage complémentaire dans 75% des cas, et de la technique de la toux provoquée lorsqu’elle est réalisée par les kinésithérapeutes respiratoires.

Dans cette même étude, 78% des médecins éduquent à la DRP ; 15% des familles n’ont jamais été éduquées à la DRP (ni par le médecin, ni par le kiné, ni par les paramédicaux).

Solution pour pulvérisation nasale

Coût : 2,5€ en pharmacie pour le RHINOTROPHYL

Le RHINOTROPHYL® est une solution pour pulvérisation nasale à base de ténoate d’étanolamine, antiseptique et décongestionnant. En 2010 et 2011, puis en janvier 2014 (suite à une requête de fond du laboratoire Jolly-Jatel), la HAS a considéré que le service médical rendu était insuffisant pour obtenir un remboursement(19) ; le laboratoire a fait appel, et la HAS a confirmé son avis en février(20).

Les arguments du laboratoire pour l’appel ont porté sur le fait que 4,5 millions de RHINOTROPHYL sont prescrits chaque année et que le risque du déremboursement est le report de prescription vers des vasoconstricteurs. L’efficacité n’est pas prouvée. La tolérance est excellente.

En 2011, la HAS a également donné un avis défavorable au maintien du remboursement des vasoconstricteurs associés(21) : DERINOX (naphtazoline/prednisone), DETURGYLONE (oxymétazoline/prednisolone), RHINAMIDE (éphédrine/acide benzoïque), RHINOFLUIMUCIL (tuaminoheptane/N-Acétylcystéine/benzalkonium) par voie nasale, RHINADVIL et RHINUREFLEX (pseudoéphédrine/ibuprofène), RINUTAN (paracétamol/phnéylpropanolamine/phénytoloxamine) par voie orale. Ces médicaments n’ont pas montré leur efficacité face à un placebo ou un vasoconstricteur seul. De rares évènements cardiovasculaires ont restreint leur usage et rendu défavorable leur remboursement. A noter que le RHINOSULFURYL est également vasoconstricteur (éphédrine, comme le RHINAMIDE), mais non cité par la HAS.

Pour les corticoïdes par voie nasale, on préférera le NASONEX, dépourvu de vasoconstricteur.

Conclusion

Le rhume est une pathologie bénigne mais relativement pénible. Il est également connu sous l’appellation « bordel de saloperie de chiotte de rhume de merde ».

La prévention du rhume passe par le lavage des mains et le « déconfinement » en hiver (aérer, diminuer le chauffage qui assèche l’air dans les chambres, sortir avec ou sans pull…)

Le Zinc (per os) pourrait diminuer la fréquence des rhumes en préventif (ainsi que les irrigations nasales, l’ail et la vitamine C, avec des preuves moins importantes).

Aucun traitement curatif anti-viral n’est disponible actuellement.

Aucun traitement n’a montré d’efficacité. La DRP est recommandée sur des données empiriques plutôt que basées sur des preuves (on s’étonnera donc de la voir recommandée partout et par tous). Elle est souvent mal tolérée, surtout les DRP volumétriques (« envoyer la sauce dans le pif »). Revenir à un soin plus doux par instillation permettrait une meilleure adhérence des parents. La réalisation d’une brochure (ou d’une ordonnance-type) à distribuer aux parents pourrait déjà être une bonne amorce. Informer sur le coût inférieur peut aussi aider… 

Les solutions à pulvérisations nasales sont mieux tolérées. Les vasoconstricteurs sont à déconseiller. Seul le RHINOTROPHYL présente un bon profil de tolérance ; toutefois, son efficacité n’est pas démontrée (vous me direz : la DRP non plus… sous réserve de ma recherche dans la littérature qui n’était pas exhaustive, bien sûr.)

Les bains de vapeur (eau chaude ou inhalations), les baies de sureau, le miel, la vitamine C, l’Echinacée, le ginseng et l’ail sont populaires et peuvent éventuellement être encouragés pour leur effet placebo. Une étude sur la supplémentation préventive en Zinc pourrait être intéressante en médecine générale ; le lien entre une bonne information sur l’histoire naturelle et les reconsultations mériterait également d’être étudié.

 

1.            Rhume [Internet]. Wikipédia. 2014 [cited 2014 Feb 17]. Available from: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Rhume&oldid=101026321

2.            Common cold [Internet]. Wikipedia, the free encyclopedia. 2014 [cited 2014 Feb 17]. Available from: http://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Common_cold&oldid=594583075

3.            Van den Aardweg MT, Schilder AG, Herkert E, Boonacker CW, Rovers MM. Adenoidectomy for recurrent or chronic nasal symptoms in children. In: The Cochrane Collaboration, van den Aardweg MT, editors. Cochrane Database of Systematic Reviews [Internet]. Chichester, UK: John Wiley & Sons, Ltd; 2010 [cited 2014 Feb 17]. Available from: http://www.cnge.fr/conseil_scientifique/productions_du_conseil_scientifique/adenoidectomie_janvier_2012/

4.            Le Gac M.S., Delahaye L., Martins-Carvalho C., Marianowski R. Rhinopharyngites. Pédiatrie – Mal Infect 4-061–40 [Internet]. [cited 2014 Feb 17]; Available from: http://www.em-premium.com.doc-distant.univ-lille2.fr/article/224328/resultatrecherche/2

5.            Singh M, Das RR. Zinc for the common cold. Cochrane Database of Systematic Reviews [Internet]. John Wiley & Sons, Ltd; 1996 [cited 2014 Feb 17]. Available from: http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/14651858.CD001364.pub4/abstract

6.            D’Cruze H, Arroll B, Kenealy T. Is intranasal zinc effective and safe for the common cold? A systematic review and meta-analysis. J Prim Health Care. 2009 Jun;1(2):134–9.

7.            Kassel JC, King D, Spurling GK. Saline nasal irrigation for acute upper respiratory tract infections. Cochrane Database of Systematic Reviews [Internet]. John Wiley & Sons, Ltd; 1996 [cited 2014 Feb 17]. Available from: http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/14651858.CD006821.pub2/abstract

8.            Slapak I, Skoupá J, Strnad P, Horník P. Efficacy of isotonic nasal wash (seawater) in the treatment and prevention of rhinitis in children. Arch Otolaryngol Head Neck Surg. 2008 Jan;134(1):67–74.

9.            Rabago D, Zgierska A. Saline nasal irrigation for upper respiratory conditions. Am Fam Physician. 2009 Nov 15;80(10):1117–9.

10.          Hayward G, Thompson MJ, Perera R, Del Mar CB, Glasziou PP, Heneghan CJ. Corticosteroids for the common cold. Cochrane Database Syst Rev. 2012;8:CD008116.

11.          De Sutter AIM, van Driel ML, Kumar AA, Lesslar O, Skrt A. Oral antihistamine-decongestant-analgesic combinations for the common cold. Cochrane Database Syst Rev. 2012;2:CD004976.

12.          Jefferson TO, Tyrrell D. WITHDRAWN: Antivirals for the common cold. Cochrane Database Syst Rev. 2001;(3):CD002743.

13.          Hemilä H, Chalker E. Vitamin C for preventing and treating the common cold. Cochrane Database Syst Rev. 2013;1:CD000980.

14.          Lissiman E, Bhasale AL, Cohen M. Garlic for the common cold. Cochrane Database Syst Rev. 2012;3:CD006206.

15.          Fashner J, Ericson K, Werner S. Treatment of the common cold in children and adults. Am Fam Physician. 2012 Jul 15;86(2):153–9.

16.          Malafa-Pissarro. La désobstruction rhino-pharyngée [Internet]. EM-Consulte. [cited 2014 Feb 12]. Available from: http://www.em-consulte.com/article/177113/la-desobstruction-rhinohpharyngee

17.          Hilaire JF, Lelievre M, Verbeke N, Goubet-Parsy N. La désobstruction rhinopharyngée du nourrisson : état des lieux des pratiques dans le département du Nord. Kinésithérapie Rev. 2013 février;13(134):25.

18.          5ème journée de recherche en kinésithérapie respiratoire [Internet]. [cited 2014 Feb 12]. Available from: http://www.splf.org/s/spip.php?action=acceder_document&arg=5318&cle=1b26bff8f9f6e399ec55129948a8e65f69e9453b&file=pdf%2FDRPnourrissonJRKR2012-ppt.pdf

19.          Haute Autorité de Santé – RHINOTROPHYL [Internet]. [cited 2014 Feb 17]. Available from: http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1720509/fr/rhinotrophyl

20.          Commission de transparence du 8 janvier 2014 RHINOTROPHYL [Internet]. [cited 2014 Feb 17]. Available from: http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2014-02/05_cr_ct_10022014.pdf

21.          Synthèse d’avis de la commission de la transparence HAS : vasoconstricteurs en assocation (octobre 2011) [Internet]. [cited 2014 Feb 17]. Available from: http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2012-09/vasoconstricteurs_associes_synthese_05102011.pdf

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