Les IPP au long cours : indications, arrêt.

(Pssst, merci à tous pour vos commentaires sur le billet précédent et vos avis sur Twitter ou ailleurs. Merci également à tous ceux qui m’ont souhaité une bonne thèse et félicité ! C’était avant-hier, ça c’est très bien passé sur tous les plans, et outre une excellente mention, j’ai eu de trèèèèss beaux cadeaux 🙂 Pour ceux qui se disent « c’est quoi une thèse », je ferai sûrement un billet là-dessus prochainement d’une façon ou d’une autre…)

Je suis en stage en pharmacovigilance. Mon boulot consiste (entre autres) à répondre quotidiennement aux questions que se posent des patients, médecins ou pharmaciens sur les médicaments – notamment leurs effets indésirables. Certaines questions sont peu intéressantes pour le commun des mortels (trop attachées à une situation clinique particulière, concernant des médicaments utilisés de façon trop restreinte, etc.) D’autres peuvent intéresser les lecteurs de ce blog – notamment les médecins généralistes… Donc pendant 6 mois, je posterai régulièrement (toutes les 1, 2 ou 3 semaines disons) une de mes réponses. Et ça commence aujourd’hui ! 🙂

Peut-on arrêter brutalement des IPP pris au long cours ?

Les IPP sont très largement prescrits : 23,5 comprimés par an en France en 2007 (12 en Allemagne, 19 en Italie, 20,5 au Royaume-Uni) (1). La HAS a réévalué les IPP en 2009 et a rappelé les indications d’un traitement au long cours (1) :

  • Ulcère duodénal non lié à Helicobacter pylori ou aux AINS (prévention de la fréquence des récidives, des complications hémorragiques et des perforations),
  • Syndrome de Zollinger-Ellison (gastrinome),
  • RGO avec œsophagite sévère (rechutes fréquentes ou précoces après l’arrêt de l’IPP),
  • Gastroprotection lors d’un traitement par AINS ou corticoïdes chez les personnes de plus de 65 ans, présentant un antécédent d’ulcère ou un risque d’hémorragie (antiagrégant plaquettaire, anticoagulant).

(EDIT : Réévaluation d’avril 2017 ici : http://www.gastrojournal.org/article/S0016-5085(17)30091-4/fulltext

  • RGO compliqué (œsophagite) : IPP pour cicatrisation à long terme, maintenance de la cicatrisation et contrôle des symptômes sur le long terme.
  • RGO non compliqué mais avec symptômes atypiques, obésité ou hernie hiatale, qui rendent difficiles l’arrêt des IPP (avant de laisser au long terme, il faut faire une pH-métrie)
  • Oesophage de Barrett / endobrachyoesophage symptomatique (oesophagite) ; à discuter si asymptomatique
  • Patients à haut risque d’ulcère sous AINS, si ceux-ci doivent être poursuivis

En cas de prise au long cours, il faut réévaluer pour diminuer la dose autant que possible. Il n’y a pas lieu de prescrire de probiotiques, d’augmenter les apports de Ca, vit B12 ou Mg au-delà des apports recommandés ; il n’y a pas lieu non plus de doser Mg, vit B12, créatininémie ou de faire une ostéodensitométrie, « juste » sur la prise d’IPP. Fin de l’EDIT de 2017 ;-))

 

Les IPP sont sur-prescrits en raison de leur efficacité, leur facilité d’emploi, et d’une réputation de bonne tolérance depuis leur mise sur le marché en 1987. Les effets indésirables à long terme sont moins bien connus (2–4) :

  • Fracture vertébrale (diminution de l’absorption de calcium et/ou action sur la pompe H+/K+ ATPase des ostéoclastes),
  • Infections digestives à Clostridium, Campylobacter, Salmonella, Shigella (développement favorisé par la diminution d’acidité gastrique),
  • Néphrite tubulo-interstitielle et insuffisance rénale chronique,
  • Carence en vitamine B12 par hypochlorie gastrique (anémie macrocytaire, neuropathie, troubles mnésiques…),
  • Troubles hématologiques (thrombopénie, neutropénie, agranulocytose),
  • Hypomagnésémie.

Ces effets doivent être connus et mis en balance avec le risque d’un arrêt du traitement, notamment chez les personnes présentant une démence qui auront des plaintes plus floues et peu évocatrices de récidive d’ulcère ou de reflux gênant.

Lorsqu’il est possible, l’arrêt du traitement est à envisager. Un effet rebond (Rebound Acid HyperSecretion, RAHS) peut survenir à l’arrêt. Il a été décrit pour la première fois en 1996 (5), et est directement lié à la physiologie de la digestion (6) ; pour rappel :

  • Les cellules G sécrètent la gastrine lors du passage du bol alimentaire (distension de l’antre pylorique),
  • Sous l’action de la gastrine, les cellules entérochromaffine-like (ECL) relarguent de l’histamine,
  • Sous l’action de l’histamine, les cellules pariétales (ou oxyntiques) libèrent des protons H+ dans la lumière gastrique, en échange d’un ion potassium (pompe H+/K+ ATPase),
  • Sous l’action de l’acidité gastrique, le pepsinogène libéré par les cellules principales est hydrolysé en pepsine, capable de décomposer les protéines en peptides,
  • Sous l’action de l’acidité également, les cellules D libèrent de la somatostatine, inhibant la gastrine.

En inhibant les pompes à proton, les IPP diminuent l’acidité gastrique et lèvent le rétrocontrôle de la sécrétion de gastrine par la somatostatine : ainsi, la gastrine reste élevée et la masse des ECL augmente sous leur action. Lors de l’arrêt de l’IPP, la masse des ECL diminue progressivement en 2 semaines ; pendant cette période, l’acidité gastrique est importante.

Le rebond est bien décrit sur le plan biologique : la gastrine et la chromogranine A sont élevées après l’arrêt et se corrigent en deux semaines environ (7,8). Ce rebond d’acidité peut être muet sur le plan clinique ou se traduire par une dyspepsie, souvent mineure à modérée, durant en moyenne 4 à 5 jours (9) — parfois jusqu’à 2 mois après l’arrêt, incitant la reprise de l’IPP (6). Ce rebond biologique et clinique a été également décrit chez des patients sains (indemnes de symptômes digestifs avant la prise d’IPP) (9).

Une diminution progressive des IPP pourrait permettre de limiter l’effet rebond (10), bien que cela ne semble pas encore avoir été étudié. Les patients devraient être informés du risque d’effet rebond au moment de la décision d’introduction d’un IPP et du choix avec les anti-H2 (effet rebond moins important et plus court) (11).

Enfin, les IPP doivent être réévalués systématiquement : dans l’étude de Björnsson et al. (12), l’arrêt était possible chez 27% des patients en raison d’indications obsolètes ; dans l’étude de Ramser et al. (13), l’arrêt était également possible chez 27% des patients et le relais par anti-H2 chez 30% (l’indication des IPP était indiscutable dans 31% des cas seulement). Si l’arrêt est impossible, l’IPP peut parfois être diminué sans altérer la qualité de vie (14).

Au total, l’indication des IPP doit être bien posée lors de la prescription et être révisée lors des renouvellements. Dans le RGO, les IPP sont introduits après des règles hygiéno-diététiques, un recours aux anti-H2 et/ou alginates, et l’arrêt (si possible) des anti-inflammatoires. Le patient doit être informé du risque d’effet rebond à l’arrêt du traitement afin d’orienter son choix et de limiter les prescriptions au long cours — en dehors de ses rares indications. Ce rebond dure classiquement 1 à 2 semaines, et peut être traité sans recours systématique et quotidien aux IPP (possible recours aux anti-H2, moins pourvoyeur d’effet rebond à leur arrêt ; utilisation des IPP « à la demande » par certains patients en pratique…) La diminution progressive des IPP pourrait permettre d’éviter ce rebond, mais cela n’a pas été étudié.

 

REFERENCES

1.             Haute Autorité de Santé – Les inhibiteurs de la pompe à protons chez l’adulte – Fiche BUM [Internet]. [cité 5 mai 2014]. Disponible sur: http://www.has-sante.fr/portail/jcms/r_1439925/fr/les-inhibiteurs-de-la-pompe-a-protons-chez-l-adulte-fiche-bum

2.             De Korwin J-D. Pourquoi et comment arrêter un traitement prolongé par les inhibiteurs de la pompe à protons ? Rev Médecine Interne. août 2012;33(8):417-420.

3.             Roulet L, Vernaz N, Giostra E, Gasche Y, Desmeules J. Effets indésirables des inhibiteurs de la pompe à proton : faut-il craindre de les prescrire au long cours ? Rev Médecine Interne. août 2012;33(8):439‑445.

4.             Wilhelm SM, Rjater RG, Kale-Pradhan PB. Perils and pitfalls of long-term effects of proton pump inhibitors. Expert Rev Clin Pharmacol. juill 2013;6(4):443-451.

5.             Waldum HL, Arnestad JS, Brenna E, Eide I, Syversen U, Sandvik AK. Marked increase in gastric acid secretory capacity after omeprazole treatment. Gut. nov 1996;39(5):649-653.

6.             Waldum HL, Qvigstad G, Fossmark R, Kleveland PM, Sandvik AK. Rebound acid hypersecretion from a physiological, pathophysiological and clinical viewpoint. Scand J Gastroenterol. 14 déc 2009;45(4):389-394.

7.             Niklasson A, Lindström L, Simrén M, Lindberg G, Björnsson E. Dyspeptic symptom development after discontinuation of a proton pump inhibitor: a double-blind placebo-controlled trial. Am J Gastroenterol. juill 2010;105(7):1531-1537.

8.             Juul-Hansen P, Rydning A. Clinical and pathophysiological consequences of on-demand treatment with PPI in endoscopy-negative reflux disease. Is rebound hypersecretion of acid a problem? Scand J Gastroenterol. 9 déc 2010;46(4):398-405.

9.             Lødrup AB, Reimer C, Bytzer P. Systematic review: symptoms of rebound acid hypersecretion following proton pump inhibitor treatment. Scand J Gastroenterol. mai 2013;48(5):515-522.

10.           Niv Y. Gradual cessation of proton pump inhibitor (PPI) treatment may prevent rebound acid secretion, measured by the alkaline tide method, in dyspepsia and reflux patients. Med Hypotheses. sept 2011;77(3):451-452.

11.           McColl KEL, Gillen D. Evidence That Proton-Pump Inhibitor Therapy Induces the Symptoms it Is Used to Treat. Gastroenterology. juill 2009;137(1):20-22.

12.           Björnsson E, Abrahamsson H, Simrén M, Mattsson N, Jensen C, Agerforz P, et al. Discontinuation of proton pump inhibitors in patients on long-term therapy: a double-blind, placebo-controlled trial. Aliment Pharmacol Ther. 1 sept 2006;24(6):945-954.

13.           Ramser KL, Sprabery LR, Hamann GL, George CM, Will A. Results of an intervention in an academic Internal Medicine Clinic to continue, step-down, or discontinue proton pump inhibitor therapy related to a tennessee medicaid formulary change. J Manag Care Pharm JMCP. mai 2009;15(4):344-350.

14.           Inadomi JM, McIntyre L, Bernard L, Fendrick AM. Step-down from multiple- to single-dose proton pump inhibitors (PPIs): a prospective study of patients with heartburn or acid regurgitation completely relieved with PPIs. Am J Gastroenterol. sept 2003;98(9):1940-1944.

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