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Itinéraire d’un article publié (1/2) : pré-requis

Après les précédents billets sur le calendrier de l’avent du Netophonix en cours (et que je continue à vous recommander ^^), retour à la médecine 🙂 Commençons par deux sites d’intérêt récemment découverts, à ajouter à la liste précédente :

  • le génial MedicoSport de Vidal, qui liste pour les principales activités physiques les bénéfices attendus, les risques, le niveau de fun ou technicité… C’est très bien fait, je l’ai même inclus de base sur mes certificats de sport (je le laisserai parfois, ou je supprimerai – en tout cas, ça me fera penser à aller consulter le site, car c’est toujours le problème quand on trouve de bons sites, parfois on les oublie…) https://www.vidal.fr/infos-sport-medicosport-sante/
  • un site-appli pour utiliser la liste Stopp & Start, à utiliser soit de façon systématique (dans le cadre d’une thèse ? ;)), soit de façon ponctuelle pour quelques patients aux lourdes ordonnances : http://stoppstart.free.fr/ C’est le travail de thèse du Dr Anne Frey-Geoffret de Versailles, présenté ici.

Bien, sinon le sujet du jour (et de la semaine prochaine) est l’itinéraire d’un article. Je parle ici à partir de mes petites expériences, dans des journaux n’ayant souvent pas de grandes prétentions. Soit vous connaissez déjà et ça va vous amuser, soit vous ne connaissez pas et ça va sans doute vous sembler un peu sordide.

Tout commence par une idée…

De cette idée peut naître une thèse ; de la thèse peut naître un article.

Supposons que la soutenance de thèse, telle la guerre de Troie, a bien eu lieu… Vous voici désormais avec un document a priori bien présenté, avec des références qui fonctionnent, le tout assez proche d’un article si vous avez suivi ce billet par exemple. Dans mon expérience (n = 34), sans contrat préalable passé entre le directeur et le thésard à ce sujet, moins de 10% des thésards vont écrire eux-mêmes un article… ça sera donc au directeur (vous ?) de s’y coller s’il pense que la recherche menée présente un intérêt pour d’éventuels lecteurs (oui, parce que bon, sinon c’est assez peu utile et motivant). Il y aura alors plusieurs étapes à respecter.

Pré-requis. Connaître votre objectif de vie (et 2-3 mots-clés). 

Si votre objectif est d’être universitaire, il y a des critères à respecter, disponibles sur le site du CNU. Par exemple, pour la médecine générale (sous-section 53.03), il faut 5 articles dont au moins 2 dans les revues de médecine générale (= Exercer principalement, le message est très clair) et 3 dans une revue avec un impact factor (IF) supérieur ou égal à 1.

Critères CNU concernant les publications pour être MCU de médecine générale (il y a des critères cliniques, enseignements...)

Critères CNU concernant les publications pour être MCU de médecine générale (il y a des critères cliniques, enseignements…)

Pour d’autres sous-sections, ça sera 3 articles en premier auteur dans les revues de la discipline ; 5 articles originaux en premier, deuxième, avant-dernier ou dernier auteur, dans des revues rangs SIGAPS A ou B ; etc. Il y autant de critères que de sous-section.

Si votre objectif est de publier pour diffuser et valoriser les travaux que vous avez fait ou accompagné, il y a trois choses importantes.

1 – Est-ce que votre article est formidable et peut être publié dans une revue avec un IF furieusement haut ?

On parle ici par exemple des revues de rang SIGAPS A ou B :

  • NEJM (IF à 79,258)
  • Lancet (IF à 53,254)
  • JAMA (IF à 47,661)
  • Nature Medicine (IF à 32,621)
  • BMJ (IF à 23,295)
  • et tant d’autres : PLoS Medicine, American Journal of Preventive Medicine, Am J of Spots Medicine, Cell, Chest, Alzheimer’s and Dementia, Blood, Gut, Haematologica, Heart, etc.

Si oui, d’une part, allez-y et bonne chance ; d’autre part, vous n’avez rien à apprendre ici, merci d’être passé !

2 – Sinon, est-ce que vous voulez que votre article modeste puisse être facilement retrouvé demain ? 

Si oui, il faut vous tourner vers les revues indexées, et en priorité les revues indexées sur MEDLINE (PubMed).

A défaut, vous pouvez vous tourner vers des revues indexées sur d’autres bases, telles que Web of Science de Clarivate Analytics (depuis 2018, Exercer est indexée sur cette base, qui peut par exemple être retrouvée via le moteur de recherche français LiSSa, et lui permettre d’être « NC » sur SIGAPS – au lieu de ne pas y apparaître).

Si vous vous en fichez, vous pouvez vous tourner vers des revues non indexées.

3 – … ou est-ce que vous voulez que votre article modeste soit lu aujourd’hui ?

Dans ce cas, les journaux français de spécialité sont intéressants, quelque soit leur IF. Citons par exemple :

  • Thérapie (… qui en plus a un IF à 1,52, , SIGAPS D) à laquelle sont abonnés les centres de pharmacovigilance
  • Revue d’épidémiologie de santé publique (IF à 0,716, SIGAPS E)
  • Revue de pneumologie clinique (IF à 0,343, SIGAPS E)
  • Progrès en urologie (IF à 0,819, SIGAPS E)
  • L’Encéphale (IF à 0,599, SIGAPS E)
  • Annales de cardiologie et angiologie (pas d’IF, SIGAPS NC)
  • Exercer (pas d’IF, SIGAPS NC)
  • etc.

A priori, personne en France n’est abonné à « American Journal of Alzheimer’s disease and other dementias » (IF = 1,774). L’article sera lu par les gens qui chercheront la thématique en lien avec votre article : il sera sûrement lu (demain), mais probablement moins aujourd’hui que si vous le publiez dans l’Encéphale ou dans Exercer.

Quelques définitions : 

J’ai parlé d’impact factor (IF) et SIGAPS, qui sont les deux principaux outils de bibliométrie utiles en France. Les spécialistes de bibliométrie diront qu’il en existe d’autres : CiteScore, Source Normalized Impact per Paper SNIP, SCImago Journal Rank SJR, etc. Mais faisons simple : soit vous voulez être universitaire et ce qui compte en 2018 c’est encore très majoritairement IF et SIGAPS ; soit vous ne voulez pas être universitaire et dans ce cas, vous vous en fichez (sauf si vous êtes un spécialiste de bibliométrie ^^)

L’IF, c’est le rapport suivant : « nombre de citations des articles des années N-1 et N-2 » / « nombre d’articles des années N-1 et N-2 ». Une revue avec un IF à 1, ça signifie qu’en moyenne, ses articles des 2 dernières années ont été cités une fois. Je vous laisse imaginer toutes les possibilités de perversion de ce système, en matière d’auto-citations, de choix éditoriaux ou de choix de recherches que ça peut impliquer ; si vous manquez d’imagination, la page Wikipedia sur l’IF est assez complète.

Le score SIGAPS (Système d’Interrogation, de Gestion et d’Analyse des Publications Scientifiques) est un score Lillois (cocorico) qui a plusieurs buts :

  • gommer les injustices : si vous êtes en médecine générale, en informatique médicale, en médecine du sport ou des données assez généralistes, l’IF des revues de référence est assez faible ; à l’inverse, si vous êtes en génétique, en cancérologie, les articles ont tendance à être cités et recités, et vos revues de référence ont des IF plus élevé (c’est un peu caricatural évidemment).
  • synthétiser la recherche effectuée par un chercheur, par une unité de recherche ou un établissement…
  • guider la part « Publications » de la part modulable du financement MERRI (missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation) auxquelles sont éligibles les centres hospitaliers (pas les généralistes, merci pour eux)… C’est environ 60 % de la part modulable et 1/4 du financement MERRI.

Je sais, ça n’est pas très clair. Mais j’y viens. Quand vous publiez dans une discipline (« médecine générale », « psychiatrie », « pneumologie »…), vous publiez dans une revue qui peut être parmi les plus hauts IF de cette spécialité ou les plus bas (voire non indexé). Cet « IF dans la discipline » donne une lettre SIGAPS :

Dans chaque discipline, 10 % des revues ont un rang A, 15 % un rang B, 25 % un rang C, 25% un rang D, 25 % un rang E, le reste est NC (uniquement si indexé mais sans IF)

Pour gommer les injustices, dans chaque discipline, 10 % des revues ont un rang A, 15 % un rang B, 25 % un rang C, 25% un rang D, 25 % un rang E, le reste est NC (uniquement si indexé mais sans IF)

Ensuite, pour connaître le nombre de points SIGAPS apporté à un auteur par une publication, il faut faire le produit du (rang de la revue) x (place de l’auteur), selon les points suivants (on se croirait un peu à la belote, je sais) :

  • Rang A = 8 points ; Rang B = 6 points ; Rang C = 4 points ; Rang D = 3 points ; Rang E = 2 points ; Rang NC = 1 point
  • 1er auteur = 4 points ; 2ème auteur = 3 points ; 3ème auteur = 2 points ; avant-dernier auteur = 3 points ; dernier auteur = 4 points ; autres places = 1 point

Par exemple, si vous publiez dans le NEJM comme premier auteur, c’est la cagnotte : 32 points SIGAPS (8 x 4) pour vous ! Si vous publiez dans Exercer comme avant-dernier auteur, vous avez 3 points (rang NC = 1, multiplié par 3 points de la place avant-dernier). Ou si vous publiez comme premier auteur dans un rang E (4 x 2 = 8 points), c’est pareil que si vous publiez comme auteur « sans rang utile » (entre 4 et avant-avant-dernier) dans un rang A (1 x 8 = 8 points). Si vous voulez en savoir plus, cet article est très clair.

Le score a évidemment été détourné rapidement en 2015, avec l’introduction de nouveaux critères CNU pour le recrutement de MCU et PU dans certaines spécialités (radiologie, réanimation, néphrologie, etc.) sur des scores respectifs de 200 et 400 points SIGAPS. La médecine générale, à raison, n’a pas retenu le score SIGAPS dans ses critères comme montré plus haut, pour une raison simple… voici les scores SIGAPS A et B (38 premières revues sur les 155 classées comme « médecine générale ou interne » sur le Journal of Citation Reports) :

Aucune revue française

Le rang A s’arrête à la revue 16 (IF > 5). Aucune revue française sur les rangs A et B.

Enfin, comme dit plus haut, les points SIGAPS permettent de répartir l’enveloppe modulable « Publications » du MERRI (environ 500 millions d’euros par an). Entre 2004 et 2014, 192 886 articles ont été publiés (article du 30 novembre…). Selon le rythme de publications, le point SIGAPS peut varier un peu, mais globalement, 1 point = 500€. Donc 1er auteur dans une revue de rang E = 8 points = 4 000€ pour l’hôpital.

Une fois ces notions connues, nous verrons mardi prochain quelques réflexions et astuces sur « comment publier ».

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Si tu débutes ton internat lundi…

J’ai fini mon internat vendredi. Après 2 ans de pré-externat à arpenter les hôpitaux, 3 ans d’externat à côtoyer des internes pédagogues ou distributeurs de missions, puis 3 ans d’internat à essayer de faire partie de la première catégorie (essayer) sans jamais céder à l’esclavagisme d’externes, je vais poursuivre avec grand plaisir une activité libérale et universitaire.

Lundi, de nouveaux internes vont arriver dans les hôpitaux. Pour les accueillir, Thoracotomie a proposé sur son blog les 10 commandements de l’interne. J’avais envie d’ajouter un peu de poésie à votre vie d’interne, en adaptant très légèrement le célèbre poème de Rudyard Kipling, « If » (que je mets également en fin d’article).

Bon courage à tous les nouveaux entrants – nouveaux internes, nouveaux externes, nouveaux chefs de cliniques, nouveaux assistants/attachés/praticiens…

TU SERAS UN BON INTERNE…

Si tu peux garder la tête froide, accrochée,
Quand ceux autour de toi l’ont perdue et t’en blâment (1),
Ou croire en toi malgré un acte reproché (2),
En sachant tenir compte des reproches et blâmes,
Si tu sais patienter et survivre à tes gardes,
Si tu sais être berné(e) sans goût de vengeance (3),
Si tu sais enseigner sans humeur revancharde (4),
Sans être trop bon(ne), agir avec bienveillance…

Si tu sais rêver, sans chauffer tes ailes aux astres,
Si tu sais penser, sans faire des pensées ton but,
Si tu sais croiser le Triomphe et le Désastre,
Et fuir ces deux mensonges comme le scorbut,
Si tu peux supporter d’entendre tes propos
Changés par transmissions, et n’en être abusé(e),
Regarder ton travail s’élimer en copeaux,
Et le refonder avec tes outils usés (5)…

Si tu peux ne faire qu’un seul tas de tes victoires,
Et toutes les risquer sur un lancer de dé (6),
Si tu peux tout perdre et tout remettre en mémoire,
Sans jamais te plaindre de tes choix décidés (7),
Si tu peux forcer ton cœur, tes nerfs, tes tendons,
A te servir encore, malgré toute fatigue,
Et, quand il n’y a plus rien en toi, tenir bon,
Partir et ressourcer ton énergie prodigue (8)…

Si tu peux soigner les gens sans les abaisser,
Donner aux pauvres et aux riches le même accès,
Si nul ami ou rival ne peut te blesser,
Si tous les patients comptent pour toi, sans excès,
Si tu peux remplir les minutes successives
Par soixante secondes de chemin franchi,
Alors tes volontés seront compréhensives,
Et tu seras un bon interne, mon ami !

(1) Utile aux urgences !
(2) Il y aura toujours une voie veineuse centrale que vous aurez refusé de faire poser, un bilan hépatique mal surveillé…
(3) Vous tomberez au moins une fois sur un urgentiste qui voudra placer un patient âgé pour bilan de confusion, sans en faire le minimum syndical – parfois même en n’ayant uniquement fait confiance à l’externe débutant…
(4) Nous avons tous eu des internes terribles, qui nous donnaient des missions pénibles, nous prenaient pour leurs secrétaires, ne nous apprenaient rien, étaient perpétuellement stressés par l’image qu’ils renvoyaient d’eux… Ca ne sert à rien de faire subir la même chose aux externes qu’on encadre. Vraiment. Ne faites pas faire ce que vous détestiez qu’on vous impose. Vous pouvez trier vos bilans biologiques tout seul – à moins qu’il n’y ait un vrai intérêt pédagogique derrière…
(5) C’est quasiment une allégorie des tours professoraux hebdomadaires… ou de la thèse aussi.
(6) En gros, ne pas s’asseoir sur ses acquis, mais Kipling écrit ça bien mieux que je n’aurais su le faire…
(7) Une spécialité, ça se choisit, ça se droitauremordise pendant les 2 premières années ; l’exercice ultérieur, libéral ou hospitalier, se choisit aussi, ainsi que les horaires…
(8) Pendant l’externat, on se promet d’avoir une vie meilleure pendant l’internat. Cette promesse a tendance à s’effilocher au fil des semestres… Il ne faut pas oublier d’en profiter !

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