[Avent 2024 – Ecrire sa thèse] – 3/24 – L’impossible quête d’un sujet original ou révolutionnaire

Depuis la réforme de 2017, la thèse doit être « dans la discipline ». Le caractère « dans la discipline » / « pas dans la discipline » est évalué par une fiche de déclaration de thèse et une ou plusieurs personnes au sein du département de médecine générale. Ainsi, depuis 2017, la « fiche de déclaration de thèse » est devenue un passage obligatoire.

Avant, vous pouviez être en médecine générale et parler de l’apport de l’IRM sur le diagnostic de démence précoce chez des souris transgéniques si ça vous chantait… La logique était de séparer le mémoire pour l’obtention d’un diplôme de « docteur en médecine » (toute spécialité) et le diplôme d’études spécialisées (DES) de la discipline (obtenu après avoir validé les stages de la maquette, les ED et le mémoire/portfolio adaptés). Il était aussi possible d’être hors format IMRaD (par exemple cette thèse de 1975 sous forme de BD).

Etait-ce mieux avant ? En tout cas, ça permettait de corriger la sous-dotation en universitaires de la médecine générale par des encadrants d’autres spécialités… Parce que la recherche d’un directeur de thèse est une autre source de blocage (en plus de celles liées à la méconnaissance de la thèse, de la longueur et la durée, évoquées hier).
Le directeur est celui qui donne le feu vert pour valider le sujet et la fiche de déclaration de thèse ; c’est lui qui valide le début du recueil de données, qui relit, corrige et valide la thèse et autorise la constitution d’un jury et la soutenance. Il est indispensable à toutes les étapes… et vous devez bien vous entendre avec ! Je ne détaillerai pas beaucoup plus sur le choix de directeur ou sur les aspects administratifs de la fiche de déclaration, parce que c’est très variable selon les départements de médecine générale… notons juste ici qu’il y a 3 grandes façons d’avoir un directeur :

  • soit il est venu vers vous avec un sujet (il faut savoir refuser s’il ne vous intéresse pas…) ;
  • soit vous êtes venu vers lui avec un sujet (… qu’il aura refusé s’il ne l’intéresse pas) ;
  • soit vous avez réfléchi ensemble à un sujet qui vous plaira à tous les deux.

L’idéal pour vous, en général, ça reste la deuxième situation : avoir trouvé un sujet, et trouver quelqu’un qui vous guidera pour mener à bien votre projet ! C’est pour ça que nous allons maintenant parler de choisir son sujet, avec ou sans directeur. Gardez à l’esprit que le plus important est un sujet qui vous plaise (tout en restant ouverts aux remarques probablement pertinentes de votre directeur sur la faisabilité et la pertinence, bien entendu) !

Le choix de sujet est une autre source importante de blocage, avec notamment 3 grands profils faciles à identifier (potentiellement cumulables) :

  • On ne passe qu’une thèse : il me faut donc un sujet qui révolutionnera la médecine et laissera à jamais mon empreinte dans le domaine de la santé pour les siècles à venir ;
  • Tout a déjà été écrit : il m’est impossible de trouver un sujet original, tout ce à quoi je pense a déjà été fait par d’autre (la preuve, il y a plus d’un million d’articles par an sur MEDLINE) ;
  • Tout m’intéresse, je suis perdu : je ne sais pas où chercher des idées, ou ce à quoi peut correspondre un sujet de thèse.

Détaillons ces situations.

Le révolutionnaire déçu

Il faut malheureusement faire le deuil de la volonté de la thèse révolutionnaire. Sauf cas exceptionnel, vous ne pourrez pas faire d’essai clinique pour votre thèse d’exercice. Vous pourrez faire :

  • une revue de littérature, pour synthétiser un sujet
  • une étude qualitative, pour comprendre des phénomènes sociaux (comportements, besoins, opinions…)
  • une étude quantitative descriptive ou analytique, pour mesurer un effet ou déterminer s’il est lié à un autre.

En général, dans ces cas, l’idée initiale de la thèse commence par « bon, je vais enfin régler ce problème de maladie d’Alzheimer qui nous enquiquine tous » et se termine par « 31 % de notre échantillon de médecins généralistes de l’Audomarois a déjà contacté l’équipe spécialisée Alzheimer à domicile (descriptif) ; exercer en milieu urbain était plus fréquemment associé à cette prise de contact, p = 0,01 (analytique) ».

Cela peut sembler décevant parfois. Mais ce qui compte dans la thèse est de s’initier à la recherche — aussi jolies devaient-elles être, ce n’est pas pour ses premières poésies griffonnées sur un cahier de classe que Victor Hugo est connu. Si vous souhaitez mener des essais cliniques auprès de grosses équipes, le monde de la recherche vous accueillera peut-être au décours. Au risque de vous décevoir toutefois, la médecine générale n’est pas propice à publier tous les 4 matins dans le New England Journal of Medicine et les Prix Nobel sont plus réservés à la génétique, l’immunologie, la biologie cellulaire ou moléculaire qu’à ceux qui proposent de se mettre de l’eau salé dans le nez pour soulager un rhume, ou de limiter les mouvements répétés pour atténuer des douleurs musculo-squelettiques.

Attention, ce paragraphe sur « le révolutionnaire déçu » ne signifie pas pour autant qu’il faut renoncer à toute ambition pour votre thèse, ou qu’il faut accepter n’importe quel sujet !

Le sujet doit vous plaire (si possible viscéralement) et/ou répondre à une question simple et claire. N’hésitez pas non plus à vous questionner : est-ce que vous voulez que le sujet soit mémorable pour la médecine, pour la discipline, ou juste pour vos proches et amis qui assisteront à votre soutenance ? Si la réponse est le dernier point, finalement peut-être que le sujet a juste besoin de… vous ressembler ? On en reparle demain !

Enfin, nous verrons bien plus loin (en fin de calendrier si je le tiens !) qu’il est aussi possible de valoriser son travail — en publication, en congrès, mais aussi en participant à des prix.

La quête de l’originalité

Faisons simple : l‘originalité n’existe pas. Il y a plus d’un million d’articles par an sur MEDLINE effectivement, 4000 thèses de médecine générale par an… Il est impossible d’imaginer que toi soit totalement original !

Etre original, ça implique de faire un sujet qui n’a pas été déjà réalisé (on ne reproduit pas le même travail en boucle). Mais c’est tout ce que ça veut dire. Une crainte des étudiants est « si ça a déjà été fait… ? » : en réalité, pour une thèse de médecine générale, c’est hautement improbable. Prenons par exemple 2 sujets :

  • consommation d’AINS chez les coureurs à pied des Hauts-de-France en 2024
  • consommation d’AINS chez les coureurs à pied de l’ultra-trail du Mont-Blanc en 2024.

Même s’ils sont effectivement très proches, ils ne sont pas réalisés dans la même région (rien que cette condition suffirait), et ça n’est pas le même profil de coureur… Ce serait donc bel et bien 2 sujets différents, et deux recherches « originales ».
Pour faire la même thèse, il faudrait que vous étudiiez les mêmes courses, avec un questionnaire très similaire ; vous devriez rapidement vous en rendre compte…

La quête de l’originalité ne doit pas vous bloquer. Votre travail ne sera pas « très original », ça c’est une quasi-certitude : mais ça n’est pas grave, car l’originalité pour tous est inaccessible. Pour illustrer, il y a d’un côté 250 films produits par an en France, avec des équipes de professionnels (scénaristes, réalisateurs, techniciens, acteurs…) ; de l’autre, 4000 thèses de médecine générale par an, réalisées le plus souvent par des amateurs de la recherche et sans financement. Avec tout le respect que j’ai pour le cinéma français, il n’y a pas 250 films « originaux » ; donc pas de raison d’avoir une folle originalité sur les 4000 thèses.

On peut même aller plus loin dans le parallèle et se dire que de toute façon… tout a déjà été écrit ! C’est aussi vrai dans l’écriture d’articles scientifiques qu’en fiction : un exemple célèbre est cette histoire d’anneau forgé dans l’or et qui rend invisible, qui a été volé, convoité par des êtres fantastiques et un héros armé d’une épée risée et reforgée, dans un monde de nains, sorciers et dragons… Le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien possède ces éléments, tout comme les 4 opéras Der Ring des Nibelungen de Richard Wagner (même si Tolkien réfutait cette influence) ou encore avant eux, quelques mythes nordiques ou scandinaves. Cette « originalité impossible » a d’ailleurs donné lieu à des théories en narratologie, telles que :

  • les 36 situations dramatiques : selon Georges Polti, en 1895, toute histoire se base sur l’une des 36 situations dramatiques (implorer, sauver, venger un crime, venger un proche, être traqué, etc.) ; évidemment personne n’est d’accord : Maxime de Riemer en a proposé 105 pour sa part, Christopher Booker en a retenu 7…
  • le monomythe ou voyage du héros : dans son livre Le héros aux mille et un visages paru en 1949, Joseph Campbell propose des traits communs à différents mythes à travers le monde. On retrouve la structure dans Star Wars, Harry Potter, le Seigneur des Anneaux, Matrix, beaucoup de jeux vidéo, etc.

En musique, c’est un peu le même sujet : la musique de Star Wars est inspirée de musiques classiques (Gustav Holst, Stravinsky… il existe même une playslist sur les influences !) ; et beaucoup de chansons actuelles utilisent la même progression d’accords (I-V-vi-IV).

Bref, l’originalité « pure » n’existe pas. Pour autant, les auteurs et compositeurs n’arrêtent pas d’écrire sous prétexte qu’ils n’arriveront pas à produire quelque chose d’original. Comme dans le cinéma, vous allez faire votre possible pour délivrer un message personnel et novateur, et peut-être vous démarquer du lot ! Pour cela, il faut un sujet qui vous passionne…

Même si l’originalité pure n’existe pas… ça restera votre travail, mené avec votre regard, sur votre échantillon, discuté avec votre réflexion et votre vécu, rédigé à votre manière — et c’est tout ça qui sera original.

L’ASTUCE « SPEEDRUNNER SA THÈSE »
Pour l’interne qui souhaite avoir une thèse « rapide », une grande question (pragmatique) à se poser est celle de la disponibilité des données. Une base de données déjà constituée vous permet de sauter plusieurs étapes : justification du travail, préparation d’un questionnaire, demande d’autorisation pour la diffusion, recueil de données, mise en forme des données, etc.
Evidemment, le temps gagné sera réutilisé en partie ailleurs, à comprendre et savoir utiliser ce qui est souvent une grande base de données (big data).
Au fil des années, il existe de plus en plus de bases de données, petites (de précédentes études locales) ou grandes (par exemple les données en open data de l’Assurance Maladie pour OpenMedic, OpenLPP, Medic’AM, etc.).
Attention toutefois, comme nous l’évoquerons plus tard, certains départements de médecine générale refusent un sujet de thèse qui ne fait « que » l’exploitation de ces données en open data — un choix discutable.
Enfin, même si vous avez une grande base de données, n’oubliez pas que plus la question de recherche sera précise, mieux ce sera à toutes les étapes… on en parlera plus loin !

Celui qui n’a vraiment pas de sujet et ne sait pas où chercher

Enfin, lorsque vous n’avez pas (encore) de sujet, il y a 3 situations qui peuvent se présenter :

  1. La sérendipité : vous ne cherchez pas de sujet, mais il s’impose spontanément à vous. Une situation clinique, relationnelle, professionnelle, voire personnelle vous interroge et vous amène à faire des recherches… Un jour, une patiente viendra vous voir avec un problème qui deviendra votre question de recherche ; à moins que ça ne soit en discutant avec des amis (comme dans les films où l’enquêteur comprend toute l’affaire lorsque quelqu’un lui dit une banalité), en lisant Télé Poche ou en vous perdant dans l’immensité d’internet (alors que vous cherchiez une recette de gâteau à la framboise).
  2. Le sujet tout prêt : ce n’est pas vous qui cherchez le sujet, c’est le sujet qui vous cherche. Il arrive que des enseignants-chercheurs / directeurs de thèse aient un sujet à traiter et cherchent des internes. Ca peut être votre maître de stage (dans le cadre de sa MSP, sa CPTS…), un enseignant que vous connaissez, un travail de l’équipe du département de médecine générale, etc. Il y en a général une page sur ça, soit sur le site du collège des enseignants de médecine générale local, soit sur un autre site du département (par exemple à Lille, c’est sur le site DMG Director).
  3. La quête d’un sujet. Vous partez avec votre bâton de pèlerin à la recherche du Graal…

Pour ce dernier point, nous proposerons demain une liste (non exhaustive) d’idées pour trouver un sujet. Après ces deux premiers billets de généralités, ça sera l’occasion d’entrer rapidement dans le vif du sujet !

LE MOT POUR LE DIRECTEUR DE THÈSE
En général, pour une carrière universitaire (ou d’associé), il est préférable d’avoir une grande thématique de recherche : santé des adolescents, santé des femmes, accès aux soins, prévention en soins primaires, etc. Cela simplifie grandement votre dossier, vous permet éventuellement de valider une thèse d’université « sur articles » (monothématiques) et d’avoir une habilitation à diriger des recherches (HDR) de la même façon.
Si vous n’avez pas de carrière qui vous attend, vous pouvez accepter tout ce qui vous plait : c’est aussi un moyen de « sortir de votre zone de confort » (comme on dit sur LinkedIn), et de (re)découvrir d’autres pans de la pratique… Dans ce cas, je conseille fortement d’inciter l’interne à trouver un sujet qui l’intéresse réellement.

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[Avent 2024 – Ecrire sa thèse] – 2/24 – Surmonter les blocages : identifier le rôle, la longueur et la durée d’une thèse

La thèse de médecine générale (ou autre spécialité, ou pharmacie, ou mémoire d’autres professions de santé dont IPA, etc.) est un passage obligatoire pour exercer — que ce soit en libéral, salariat, hospitalier…

Avec la 4ème année de médecine pour la promotion de novembre 2023, il faudra désormais la soutenir en 3 ans afin d’avoir le droit de… passer en 4ème année et finir l’internat (avant, on pouvait aller jusqu’à 6 ans après le début de l’internat !). Même si nous pouvons émettre des critiques sur la 4ème année, il faut être honnête et dire ici que soutenir la thèse après la fin de l’internat n’a jamais vraiment été une bonne solution : pendant les études, nous avons un peu de temps dédié à la recherche, une émulation avec les co-internes, des contacts avec des chefs de clinique et autres enseignants…

Par expérience, attendre de remplacer est un mauvais calcul : les remplacements s’enchaînent (et c’est difficile de s’arrêter totalement avec les prélèvements en année N+1 de l’URSSAF et la CARMF), il n’y a plus de contact avec la faculté, des difficultés pour trouver un directeur, la motivation, etc. En général, nous occupons notre temps libre à autre chose qu’à faire une recherche bibliographique, définir un objectif de thèse, recueillir des données : ça ne change pas subitement à la fin de l’internat !

La thèse est aussi un « symbole » : celui de la fin de vos études de médecine, avec le serment d’Hippocrate. C’est l’occasion d’amener sa famille, ses proches, ses amis à la faculté de médecine ; reculer la date de soutenance, c’est aussi s’exposer à des aléas de vie (déménagements, décès, pandémie…) qui pourraient vous faire regretter de ne pas l’avoir passée plus tôt.

Pourtant, même s’il s’agit d’une obligation avec une date limite claire, d’un symbole de fin d’études, il est fréquent que les internes débutent leur thèse tardivement, voire se retrouvent en situation de demander des dérogations auprès du Doyen pour allonger leur délai (au-delà de 6 ans après leur début d’internat).

L’une des raisons est que la thèse est parfois sacralisée et/ou peut faire peur… et nous allons donc commencer ici par clarifier quelques points sur le rôle d’une thèse, sa longueur et sa durée.

Le rôle : une thèse sert à s’initier à la recherche

La thèse de médecine générale est généralement un premier travail de recherche au format IMRaD (Introduction – Matériels et méthodes – Résultats – Discussion – conclusion). Le modèle est : « j’ai une question en lien avec la médecine générale, j’applique une méthode, j’ai un résultat, je le discute et on conclue ».

La thèse permet aux internes de se rendre compte que la science c’est complexe et ingrat !
Après avoir réalisé une thèse, le médecin sait normalement que chercher des informations dans la littérature demande un peu d’esprit critique, que recueillir des données c’est parfois long et difficile, que synthétiser les résultats pour les rendre accessibles est nécessaire (texte, tableau ou figure ?), qu’il y a toujours des limites aux études et qu’il faut donc être humble dans les conclusions qu’on en tire — y compris pour un travail mené avec le plus grand sérieux les soirs et week-ends, pendant quelques mois d’internat.

La longueur : une thèse est un article, elle tient en 12 pages (interligne 1,5)

Si vous vous demandez « de quoi vais-avoir l’air avec ma thèse de 10-15 pages alors que mes amis ont fait 150 pages ? », la réponse est « d’une personne synthétique ».

Depuis une dizaine d’années, quasiment toutes les facultés veulent des « thèses articles » pour les thèses d’exercice (c’est évidemment différent pour les thèses d’université). Consultez des articles publiés en français : c’est exactement ce que vous devez faire.

La raison est simple et tient en un point : la taille est fixée par des universitaires qui sont souvent membres de jury et qui préfèrent lire et commenter un texte de 15 pages plutôt qu’un document de 300 pages ! En prime, une thèse article a des chances d’être publiée ensuite, ce qui est utile pour l’éventuelle carrière universitaire de ceux qui seront dans les co-auteurs (thésard, directeur et éventuellement membres du jury).

L’ASTUCE « SPEEDRUNNER SA THÈSE »
Rapidement dans votre travail, identifiez une revue qui a publié quelques articles proches du vôtre (qu’on appellera ici BelleRevueQueVousVisez), et considérez que vous allez publier dans celle-ci à la fin de votre travail.
Vous pourrez télécharger les « recommandations aux auteurs » et la suivre à la lettre, tant sur la typographie, la mise en forme des références bibliographiques (sauf exotisme incompatible avec les exigences de votre faculté), la taille (en général 20 000 à 30 000 signes espaces comprises), etc.
En parallèle de ces recommandations, vous pouvez télécharger 1 ou 2 articles récents (pas de 1987 donc) sur un sujet similaire au vôtre dans BelleRevueQueVousVisez : cela vous permettra de vous rassurer sur la longueur de votre texte en vous guidant sur le rythme d’écriture à adopter (taille de l’introduction, sous-sections en « matériels et méthodes », nombre de tableaux et figures). Il ne s’agit bien entendu pas de plagier ici, mais d’avoir un modèle !

Pour le formuler très clairement, un article fait en général 20 000 à 30 000 signes (espaces comprises). Du premier mot de l’introduction au dernier de la conclusion (sans annexe donc), cela représente environ 10 à 12 pages en interligne 1,5 avec des marges classiques à 2,5.

Si vous voulez en rajouter, pour montrer que vous avez bien lu plein de documents sur le sujet (et je vous le conseille), c’est dans les annexes : en général, j’aime bien y lire une partie « historique » (voire une section « médecine évolutionniste »), une perspective internationale, des graphiques ou cartes, le questionnaire ou la grille utilisée, etc. Par exemple, si votre travail porte sur l’hypothyroïdie, les annexes peuvent être le lieu pour évoquer en 1 ou 2 pages des questions telles que « pourquoi l’hypothyroïdie existe encore et n’a pas été un trait supprimé par la sélection naturelle ? » ; « en quelle année a été inventée la lévothyroxine, comment, par qui, et qu’est-ce que ça a changé ? » ; « est-ce que la prévalence de l’hypothyroïdie est la même dans tous les pays ? est-ce que les traitements utilisés sont partout les mêmes ? » etc. Cela apporte une jolie mise en perspective de votre travail, sans « polluer » votre recherche : tout cela est aussi facultatif et ne sera traité qu’en fonction de vos envies et de votre temps.

Au total, rassurez-vous : votre document papier (avec les remerciements, les références, les annexes, et en imprimant sur les rectos uniquement) fera probablement une cinquantaine de pages… et vous permettra ainsi de pour pouvoir imprimer sur la tranche et mieux ranger votre travail dans les bibliothèques ! Merci les annexes 😀

La durée : « on m’a dit qu’une thèse, ça prend 18 mois »

Et bien, ce n’est pas ni tout à fait faux… ni tout à fait vrai !

Sur les 68 thèses que j’ai encadré seul et qui ont été soutenues, entre la date où j’ai dit (par mail) « OK, je te dirige » et le jour de soutenance, il s’est passé en moyenne 567 jours (écart-type : 293 jours)… soit 18 mois ! Et la médiane est proche, à 539 jours (Q1 : 359 jours ; Q3 : 640 jours). Toutefois, j’ai des extrêmes de 119 jours (3 mois) à… 1619 jours (4 ans et 5 mois) !

Ca ne dépend donc que de vous (et votre sujet).

Figure 1 : Délai entre début de la direction et soutenance (en jours).
Par convention, le titre d’une figure s’écrit en-dessous (et ne doit pas s’accompagner du titre au-dessus en grisé comme ici – c’est une faute que je fais juste pour illustrer).

Au total… comment trouver la motivation ?

Une thèse c’est court en taille… mais ça nécessite de synthétiser suffisamment de données pour être intéressant, et donc probablement quelques mois de travail (de soirs et week-ends en général, en parallèle des stages, des enseignements facultaires, de la vie de famille / couple / amis, etc.)

Si vous êtes quelqu’un de rigoureux, vous pouvez d’emblée établir un rétro-planning sur 12 à 18 mois avec une régularité. Par contre, si votre passion dans la vie est de vous dépasser les deadlines que vous vous fixez, ce n’est peut-être pas la peine de vous infliger un rétroplanning qui vous culpabilisera et vous bloquera… Bref, faites comme vous avez l’habitude et comme cela vous a réussi dans la vingtaine d’années qui vient de s’écouler : à n’en pas douter, ça sera très bien !

Pour vous motiver, vous pouvez penser :

  1. A la science : vous allez la servir, et c’est votre joie (©le discipline de Léonard). C’est rarement suffisant, soyons honnêtes.
  2. A vos collègues : votre travail va peut-être leur servir et c’est une fierté de partager. C’est plus fréquent, notamment avec les sites d’aides à la décision médicale ! (Je suis ravi que BioMG.fr ou certificats-absurdes.fr servent aux consoeurs et confrères, j’ai l’impression que le temps consacré est « rentabilisé » en temps pour les autres).
  3. A vos proches : ils seront fiers de vous lorsque vous lèverez la main droite pour réciter le serment d’Hippocrate (et même si vous bafouillez sur « opprobre », personne ne vous le fera remarquer parce que l’émotion l’emportera).
  4. A vous… Si vous êtes passionné de littérature et que votre thèse vous impose de lire des livres, ce sera un chouette moment et vous n’aurez pas à chercher bien loin la motivation !

Et ce sera l’objet d’un prochain billet : trouver un sujet de thèse (qui vous plait) !

LE MOT POUR LE DIRECTEUR DE THÈSE
Si j’acte une direction ce jour, je crée un dossier intitulé « 2024-12-02 – Nom Prénom du thésard – Thème de la thèse » dans mon dossier « Thèses » sur mon ordinateur (y compris si on décide de travailler sur Google Docs). Une fois la thèse soutenue, je renomme avec un numéro avant (par exemple 75 – 2024-12-02 – Nom Prénom du thésard – Titre de thèse).
Cela me permet d’avoir une visibilité d’ensemble sur les thèses soutenues, sur les thèses en cours, sur le délai depuis le début de la thèse… et de temps en temps de faire une relance par mail, voire essayer d’identifier les sources de blocage (en évitant les injonctions un peu culpabilisantes du style « il faut écrire tous les jours », parce que ça n’est pas un conseil personnalisé — en pratique, si l’étudiant préfère écrire de 23h à 2h du matin un week-end par mois, peu importe tant que ça fonctionne).
Peu importe votre fonctionnement : il est quand même important de savoir identifier qui vous encadrez et depuis quand !

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[Avent 2024 – Ecrire sa thèse] – 1/24 – Avant-propos

Il existe des calendriers de l’avent sur tout : avec des chocolats, avec des jouets, des livres, des vins, du fromage, des fictions sonores… Mais il n’existait pas encore (je crois) de calendrier de l’avent sur comment écrire une thèse de médecine générale ?

J’ai commencé à être directeur de thèse en novembre 2014, dès les premiers jours de mon clinicat de médecine générale, 6 mois après ma propre soutenance. En janvier 2015, conscient qu’il fallait donner des informations et les répéter pour chaque thésard, j’ai créé un premier document « aide pour les thésards » avec le projet d’en « faire quelque chose »…

Finalement, 10 ans se sont écoulés… et je n’en ai jamais rien fait. Lors de l’accompagnement pour les 70 thèses et 5 mémoires de master 2 dirigés et soutenus fin 2024, je n’aurai eu de cesse de répéter, personnaliser, réinventer mes exemples pour chaque interne encadré. D’aucun dirait que « c’est dommage de laisser perdre ces informations qui pourraient servir à d’autres » ; d’autres répondraient « à quoi bon, vu qu’il existe déjà des dizaines d’offres, que les directeurs sont formés ? »

C’est parfaitement exact : personne n’attend ce travail, et si je n’ai jamais eu le temps de le mener à bien en 10 ans, il est totalement illusoire de vouloir faire ça en 1 mois. C’est pourquoi j’ai trouvé tentant de me mettre un défi irréaliste de tenir 24 jours à raison d’un billet de blog par jour, pour aller de « j’ai une vague idée » à « je viens de publier l’article de ma thèse que j’ai présentée en congrès ».

Comme dit plus haut, il existe déjà de nombreuses ressources : citons juste pour l’exemple Initiation à la recherche (de Paul Frappé), Initiation à la recherche qualitative en santé (sous la direction de Jean-Pierre Lebeau), La rédaction pour la recherche en santé (d’Hervé Maisonneuve, Marie-Eve Rougé-Bugat et Evelyne Decullier), le guide pratique du thésard (d’Hervé Maisonneuve) le site LEPCAM Lire, Ecrire, Publier et Communiquer des Articles Médicaux (de Nicolas de Chanaud), ou le site Objectif Thèse (d’Emmanuel Chazard), etc.

Il s’agira dans cette série de billets d’ajouter « ma voix » : parler de l’originalité des sujets, donner mes habitudes pour la rédaction (parler de techniques et faire des parallèles avec l’écriture de fictions) et essayer d’être pragmatique autant que possible. Il y a parfois des compromis à faire pour avoir une thèse faisable, qui peut être rédigée dans un délai relativement court en parallèle d’une activité d’interne ou de remplaçant : ces points seront abordés. Nous parlerons aussi de techniques et stratégies pour gagner du temps dans la rédaction tout en limitant les blocages.

Cette série de billets s’adressera essentiellement aux internes de médecine générale et à leurs directeurs intéressés. D’autres étudiants pourront y trouver leur compte — internes d’autres spécialités médicales ; étudiants en pharmacie ; infirmiers de pratique avancée pour leur mémoire de master 2, etc.

Il y aura des partis pris, une faible part sur la méthodologie (ce seront davantage des billets orientés sur la partie motivation / rédaction), ça ne sera absolument pas exhaustif, et sans doute y aura-t-il des erreurs que je prendrai grand plaisir à corriger avec votre aide pour progresser également ! N’hésitez donc pas : les commentaires sont ouverts. Et si jamais cette série vous a été utile pour trouver la motivation, surmonter des blocages, améliorer votre méthode de rédaction… je serais tout aussi ravi de le savoir !

A demain pour le premier billet ! (Et comme je ne sais pas encore bien où on va, le sommaire sera disponible à la fin :D)

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Affiches pour le cabinet (masque, qualité de l’air) et courrie

J’ai profité du 15 août pour mettre à jour mes affiches de 2019 et 2021 pour ma salle d’attente (modification des tarifications, ajout de l’information sur le DMP, horaires, etc.)

Dans la foulée, j’ai aussi prévu de quoi remplacer mon message au feutre disant « le masque est obligatoire comme il devrait l’être dans tous les lieux de soins. Merci. »

J’ai diffusé ces nouvelles affiches sur Twitter et certain(e)s souhaitent les reprendre en partie ou totalité, donc pour simplifier et éviter de recopier, les voici ci-dessous (c’est évidemment totalement libre, faites-en ce que vous voulez) :

Je vais aussi intégrer l’aéroscore de Nous Aérons (à retrouver sur cette page) ainsi que leur rappel de réglementation pour le code de l’environnement (à retrouver là).

A noter qu’en parallèle, j’ai envoyé un courriel au maire de ma ville. Si vous voulez faire de même, voici le modèle :

Monsieur / Madame le Maire,

J’aimerais échanger avec vous sur la qualité de l’air dans les écoles primaires (maternelle et élémentaire), à la charge de la commune.

La surveillance annuelle des moyens d’aération des bâtiments scolaires devient une obligation légale avant le 31 décembre 2024 selon le Code de l’environnement (articles R221-30 à D221-38), modifié par le décret n°2022-1689 du 27 décembre 2022 [1].

Cette surveillance se fait notamment par lecture directe du taux de CO2. Le seuil à viser est de rester inférieur à 800 ppm CO2 dans des locaux occupés, afin d’assurer un renouvellement d’air satisfaisant (arrêté du 27/12/2022) ; un taux supérieur à 1500 ppm implique des mesures de correction immédiates pour le renouvellement de l’air [2]. L’observatoire de la qualité de l’air intérieur a estimé en 2017 que 3 écoles sur 4 n’ont pas de système de ventilation spécifique [3]

Une fois le “diagnostic” de renouvellement de l’air posé par les capteurs CO2, il convient d’appliquer un “traitement” efficace.

Afin d’améliorer le renouvellement de l’air dans les écoles, plusieurs mesures peuvent être mises en œuvre dans les classes, salles d’activités motrices et réfectoires :

  • à long terme, des travaux sur les systèmes de ventilation (installation ou amélioration de VMC) ;
  • à court terme, l’aération manuelle guidée par des capteurs de CO2 et éventuellement le déploiement de purificateurs d’air.

Cet investissement est raisonnable à l’échelle de la commune, avec par exemple pour les capteurs CO2, 2 modèles portables bien connus, qui peuvent circuler entre les classes :

  • AURA CO2 (~200 € TTC), fabriqué en France, permettant un suivi sur place et éventuellement à distance (avec la connectivité LoRaWan)
  • ARANET4 Home (~200 € TTC), fabriqué en Europe, autre produit de référence.

Il existe aussi des alternatives murales pour une installation plus définitive. 

Investir dans ces solutions n’est pas seulement une question de conformité légale, c’est aussi et surtout une opportunité pour notre commune à différents niveaux : 

  • améliorer le bien-être des élèves et du personnel scolaire par un air plus sain, avec moins d’allergènes et produits volatils ; 
  • participer à l’éducation à la santé, à la qualité de l’air et à l’environnement dès le plus jeune âge ;
  • améliorer les performances scolaires : il est rappelé par Santé Publique France qu’un taux de CO2 plus élevé altère la concentration et les performances scolaires [4]
  • diminuer les absences des élèves et personnels à l’école, ainsi que des parents et proches (pour garde d’enfant ou maladie à leur tour) ; 
  • redonner du temps médical aux médecins généralistes en diminuant le nombre d’infections respiratoires et ainsi améliorer l’accès aux soins pour les administrés de la commune.

Je me tiens à votre disposition si vous le souhaitez pour discuter de ce sujet qui me tient particulièrement à cœur.

Veuillez agréer, Monsieur / Madame le Maire, l’expression de nos salutations distinguées, 

Signataire.

Références :

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074220/LEGISCTA000024912670/ 

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046830005 

[3] https://www.oqai.fr/fr/campagnes/campagne-nationale-ecoles-n01 

[4] https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/pollution-et-sante/air/documents/enquetes-etudes/lien-entre-la-concentration-en-co2-dans-les-salles-de-classe-et-l-apprentissage-des-enfants

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Je vous demande de ne pas vous arrêter

C’est officiel, et vous l’avez lu partout : il y a trop d’arrêt de travail. Le précédent « ministre de la santé et de la prévention », Aurélien Rousseau, a déclaré sur LCI le 27 août dernier que l’augmentation des arrêts de travail en 2022 n’était « pas soutenable ». De façon cocasse, il s’inventait à cette occasion un nouvel intitulé de « ministre de la santé et des comptes sociaux », sans se rendre compte qu’oublier la « prévention » de sa fonction réelle était une des principales causes de cette situation.

En 2022, nous avons eu 5 vagues de COVID et 29,28 millions de cas recensés. Ajoutons à ça la grippe décalée de fin 2021 à mars-avril 2022, à cause de la stratégie — politiquement agile et santépubliquement stupide — du Président Emmanuel Macron de lever le masque partout en mars 2022, probablement pour ne pas en faire un sujet sa campagne éclair. Ainsi, en 2021, « les indemnités journalières liées à la grippe étaient quasiment inexistantes » selon l’Assurance Maladie (rapport « Charges et produits 2024 », page 266), et elles ont représenté 786 000 arrêts en 2022, soit 40 millions d’euros. Il s’agit néanmoins d’une paille à côté des 1,7 milliards d’euros d’arrêts de travail directement liés au COVID-19 en 2022…

… car oui, il ne s’agit évidemment que des arrêts directs et initiaux. Il y a également des arrêts directs liés au Covid Long et autres conséquences encore insuffisamment connues de cette infection. Et puis il y a les arrêts indirects, qui ne peuvent pas être perçus dans l’analyse des grandes bases de données : par exemple, lorsque sur 5 travailleurs, 3 sont absents pendant une semaine, les 2 autres augmentent leur rythme au-delà de leurs habitudes, reportent tout repos, et peuvent être amenés à se blesser (tendinopathies, lombalgies, etc.) ou à s’épuiser professionnellement, en particulier lorsque la pression au travail est trop importante (burn-out).

Jouons un peu… Imaginez ! Vous venez d’être nommé à la tête de la première assurance de France : la Caisse nationale d’Assurance Maladie. Votre objectif est simple et passionnant : bien utiliser les 250 milliards d’euros que les Français vous confient chaque année pour leur rembourser au mieux les dépenses de santé.

Déjà, vous réfléchiriez à supprimer les consultations médicales inutiles, liées à des « certificats absurdes » (arrêt de travail de moins de 3 jours, certificat d’absence pour enfant malade, etc.), comme réclamé par de nombreux médecins. Il faudrait pour cela faire jouer vos relations avec le gouvernement et la majorité présidentielle, mais ça ne devrait pas être un problème majeur de votre côté — ça l’est davantage du leur, puisqu’ils refusent d’avancer sur ces questions, en raison du refus du MEDEF et de la CPME. Il ne faut pas se fâcher avec les copains pour quelques centaines de millions d’euros d’argent public.

Ensuite, compte tenu des dépenses induites par les maladies respiratoires virales (en indemnités journalières, mais également en consultation, en tests, en médicaments, en absence enfant malade, etc.), toute personne à peu près censée s’attaquerait en priorité à ce problème. Nous avons vu en 2021 que nous pouvions (sans confinement,  « juste » avec des masques) réduire massivement les épidémies de grippe, VRS, coronavirus… Pour ceux que la santé importe peu, la gabegie financière devrait les interpeler et les inciter à re-réfléchir au port de masque dans les transports en commun, les lieux de soins a minima

Et puis bien sûr, il y a l’arlésienne de l’amélioration de la qualité de l’air — celle qui nous permettra de limiter encore le recours « actif » aux masques, par une amélioration « passive » de ce que nous respirons. Le 16 avril 2022, le candidat Emmanuel Macron annonçait à Marseille qu’il lancerait « immédiatement un effort massif de purification de l’air dans nos écoles, nos hôpitaux, nos maisons de retraite et dans tous les bâtiments publics » et que nous en verrions « les premiers résultats avant la fin de cette année (2022) ». Une promesse de santé qui a déjà rejoint celle formulée le 6 janvier 2023 lors de ses vœux : « les 600 000 patients avec une maladie chronique se verront proposer un médecin traitant avant la fin de l’année »… Finalement, il s’agirait peut-être de préciser de quelle année il est question à chaque fois (ou d’arrêter de promettre n’importe quoi, au choix). En réalité, la réglementation a changé fin 2022 pour prévoir une amélioration de qualité de l’air dans les écoles, à partir de 2024 (vous pouvez retrouver ça sur nousaerons.fr/code), mais pour l’heure, rien n’est concrètement lancé…

Voilà, ce sont probablement les premiers points que vous attaqueriez, si vous étiez à la tête de l’Assurance Maladie, ou encore ministre « de la santé et des comptes publics et de l’absence de conviction qu’il faudrait soutenir le DryJanuary ».

Mais ça n’est pas vous. L’Assurance Maladie a d’autres idées pour réduire les arrêts de travail, et on peut les lire dans une section sobrement intitulée « feuille de route pluriannuelle, ambitieuse (??) et adaptée au contexte de fin de pandémie (??!!), ayant pour objectif une reprise volontariste (??) des actions de maîtrise de l’évolution des dépenses d’indemnités journalières ». Quand le titre sent aussi bon le bullshit, prévoyez le pop-corn.

Dans ce plan « ambitieux », les dirigeants de l’Assurance Maladie visent 200 millions d’euros « d’impact financier » (comprendre économies) en 2023, et 230 millions en 2024. Ce plan « ambitieux » se décline en trois points pour les prescripteurs. Le premier est de contrôler et accompagner les médecins « prescripteurs atypiques » : les 10 % des plus prescripteurs doivent redescendre vers la moyenne, afin que les 10 % suivants puissent faire de même, et ainsi de suite. Le deuxième est le contrôle des arrêts de travail en téléconsultation pour des patients non connus (bref, lutter contre les télécabines de SNCF et autres qui sont autorisées et survalorisées financièrement par rapport à une activité classique de médecine générale). Le troisième point est le déploiement « de campagnes ciblées sur des thématiques nouvelles à forte plus-value » — dès l’intitulé, on sent que ça va être de qualité, évidemment. Ils précisent entre parenthèses : « campagne des délégués de l’Assurance Maladie vers les prescripteurs les plus concernés par des arrêts de travail prescrits pour motifs liés à la santé mentale ».

Et justement, j’ai eu la chance de bénéficier de cette campagne, avec 2079 autres confrères !

https://twitter.com/mimiryudo/status/1732007034537586758?s=20

J’ai détaillé dans ce fil Twitter le contenu de la fiche qui m’a été remise, en expliquant l’incompétence rare avec laquelle ces statistiques ont été produites au niveau national.

Pour illustrer un peu, ils ont extrait les arrêts de travail « réalisés en ligne » pour « trouble anxio-dépressif mineur » au second semestre 2021, pour les médecins ayant « au moins 10 patients concernés sur la période ». Ils n’ont pas tenu compte du nombre de patients (un médecin avec 500 ou 1500 patients sera traité de la même façon), du nombre de patients en affections longue durée, du niveau socio-économique (avec des scores validés), ou encore des autres motifs d’arrêt de travail.

A titre personnel, j’ai été ciblé par cette action parce que sur 6 mois, j’ai prescrit 668 jours d’arrêt sur ce motif à… 13 patients (sur 1300). Soit 51 jours par patient contre 22 en moyenne. Concrètement, ils ont surtout identifié des habitudes différentes d’utilisation des cotations (par exemple, si je fais l’arrêt depuis le site de l’Assurance Maladie, je peux mettre un « trouble anxieux », « trouble dépressif », « trouble anxio-dépressif mineur » ; si je le fais depuis mon logiciel, ce qui est plus rapide, je n’ai pas « trouble anxieux » et juste les 2 autres…). S’ils avaient bêta-testé leur extraction de données avec des médecins exerçant la médecine générale, peut-être qu’ils auraient eu un retour pour leur dire qu’ils étaient en train de faire n’importe quoi. Ce document d’information extrait nationalement pour 2080 médecins comporte d’autres dingueries, puisqu’ils ont fait des statistiques sur 13 patients… puis sur 4 (m’annonçant par exemple que parmi les 4 patients ayant eu un arrêt de plus de 30 jours, 75 % — donc 3 —ont vu au moins une fois un généraliste…).

Le document explique aussi doctement que le second semestre 2021 était « à distance de la période COVID » : c’est vrai, il n’y a eu que 3,2 millions de cas et 10 000 morts recensés du COVID sur ce semestre. C’est quoi 3,2 millions de personnes infectées en France après tout ?! Sur les 6 mois, par rapport aux décès attendus, l’Insee a recensé une surmortalité de +0,8 % en juillet, + 8,9% en août, +7,1% en septembre, +5,4% en octobre, +6,4% en novembre et +14,6% en décembre, en lien avec les 4ème et 5ème vagues de COVID.

Cette campagne d’information montre la totale nullité de l’Assurance Maladie pour les « délits statistiques », la perte de temps et d’argent pour rencontrer 2080 médecins sur des données aussi fumeuses…

Bien sûr, l’Assurance Maladie se défend en expliquant qu’il s’agit juste d’une information — après avoir ciblé 6 mois plus tôt les 5000 médecins les plus prescripteurs d’arrêt de travail, c’est audacieux. Par ailleurs, personne n’est dupe : leur document « Charges et produits 2024 » en fait d’ailleurs un des leviers pour atteindre les 200-230 millions euros « d’impact financier ».

En tout état de cause, je souhaite une bonne chance à l’Assurance Maladie dans leur démarche.

Cibler, c’est stigmatiser. Vous aurez beau assembler des mots et en faire une ambition de reprise volontariste de maîtrise de l’évolution de votre bullshit, cibler les arrêts de travail pour santé mentale, ça n’est que le reflet d’une pensée qui n’a absolument rien de complexe à décrypter.

Addendum. Et pour mettre dans un contexte plus large, par rapport à la pseudo-interview du Président hier soir :

https://twitter.com/mimiryudo/status/1747496841367707920?s=20
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