Faut-il traiter les diabétiques en pariant sur l’avenir ?

J’ai suivi via Twitter la présentation du congrès du CNGE sur les patients diabétiques, j’ai lu la revue narrative de la littérature par Jean-Pierre Lebeau dans Exercer la semaine dernière, et je découvre aujourd’hui (via Twitter encore) ce communiqué du CNGE qui redit que les anti-diabétiques n’ont aucune preuve d’efficacité clinique, et que la réduction de l’HbA1c (le marqueur du suivi du diabète, préconisé tous les 3 mois) n’est pas cliniquement pertinente. Et à chaque fois, j’ai les mêmes questions…

<disclaimer> Je la fais courte, je développerai si j’en ai l’occasion. C’est un brouillon. Je n’ai pas fait de longue recherche (pas encore eu le temps) ou quoi que ce soit. Je suis juste curieux et j’apprécie le travail qui a été fait, qui remet en question de grands fondements. C’est très bien, bravo, congrats, impressionné, toussa. </disclaimer>

Les traitements n’ont aucune efficacité au bout de combien de temps de suivi ?

Si on veut prouver l’efficacité en terme de morbimortalité de la METFORMINE dans le diabète de type 2 par exemple, ça implique d’avoir des diabétiques (merci) et de les mettre soit sous METFORMINE (médicament de référence) soit sous PLACEBO, puis d’observer et attendre que les uns ou les autres aient des complications de leur diabète (rétinopathie, néphropathie, neuropathie, infarctus, AVC, mort ; en gros).

Jusque là, ça va. Sauf qu’un diabète de type 2 se déclare entre 50 et 80 ans, en général, et que les complications mettent 10-20 ans à survenir dans ma faible expérience (très empirique) (z’avez lu le disclaimer ?). Du coup, ça implique d’avoir des études maousse costaud qui durent longtemps avec des patients qui prennent bien leurs traitements et rien d’autre…

De quelle réduction d’HbA1c parle-t-on : – 4% pendant 10 ans, est-ce que ce n’est pas cliniquement pertinent ? A-t-on pu analyser -4% pendant plusieurs années ?

Ca veut dire qu’un patient dans ce genre d’étude (donc qui accepte le suivi, et être dans une étude déjà), qui aurait une hémoglobine glyquée à 9,5 ou 10% (soit, en terme médical, « au plafond ») ne serait que sous METFORMINE… ou sous PLACEBO.

On découvre un diabète, on inclut dans une étude, son HbA1c grimpe comme un cycliste sous EPO en milieu alpin, et on laisse sous PLACEBO ?

Bon. Du coup, je suis curieux. Peut-être que je suis à côté de la plaque et qu’ils n’étudient pas ça comme ça.

 

Que dit le communiqué ? 

il faut prescrire des IEC et statines chez les diabétiques à haut risque. Ok. (…) approche éducative centrée sur le patient. Ok.

Dans ces (…), il y a ce qui m’interpelle.

En revanche, le contrôle glycémique n’a aucun impact sur les évènements graves (mortalité, cécité, insuffisance rénale terminale et dialyse) ; et il n’a qu’un bénéfice modeste sur la réduction du risque d’infarctus du myocarde non fatal, et sur certaines complications microvasculaires (rétinopathie et protéinurie)4.

L’étude (4) est gratuite et disponible ici : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3223424 Son but est de savoir si une HbA1c « très basse », c’est mieux qu’une « conventionnelle ».

Puis en regardant les tableaux 2 et suivants, je trouve pour « length of follow-up » : 3,5 ans, 5 ans, 20 semaines, 22 mois, 6 mois et 3 semaines, 4 mois… 3 études durent 10 ans : Kumamoto (110 participants…), UGDP (414 participants…), UKDPS (4209 participants, avec une HbA1c à 7,1% en baseline).

Et si on regarde la figure 4, et qu’on s’intéresse à UKDPS (la seule étude à long-terme d’envergure), on passe de 91/1138 à 301/3071 évènements indésirables, soit 56 évènements évités sur 3071 après avoir remis sur le même dénominateur (NNT = 55 sujets à traiter de façon intensive pour éviter un évènement grave à 10 ans… à mettre en parallèle avec le risque majeur de ce traitement intensif : hypoglycémie, mortalité…, comme il est très bien dit dans le communiqué : « l’intensification des traitements hypoglycémiants provoque un sur risque important d’hypoglycémies sévères4, voire de mortalité5« ).

En dehors de la mortalité globale, regardez les tableaux 6, 8, 10, 12 et intéressez-vous uniquement à UKPDS… Vous voyez l’effet à long-terme d’un traitement intensif ? Vous voyez la façon dont cet effet est noyé quand on ajoute des gens qui ont été suivis 20 semaines, 22 mois, 4 mois… c’est une limite de la méta-analyse, j’imagine (j’en sais rien, je connais très mal ce domaine).

Donc, à ce niveau du communiqué, je dirais plutôt que : les traitements avec un objectif « intensif » (GAJ < 1,1 g/l ou 6 mmol/l) semblent faire mieux à long terme que les objectifs « conventionnels » (GAJ < 15 mmol/l bien toléré), tout en étant susceptible d’évènements indésirables type hypoglycémie, ne permettant pas de recommander « l’intensif ».

 

Selon les données actuelles de la science, aucune valeur cible d’HbA1C n’est validée et aucun médicament antidiabétique n’a démontré une efficacité sur des critères de morbimortalité avec un haut niveau de preuve6. Il est donc prudent de ne soumettre les patients à aucune escalade de médicaments antidiabétiques dont le bénéfice clinique n’est pas démontré alors que leurs effets indésirables sévères sont bien documentés. Il convient, si une prescription d’antidiabétiques est envisagée, de privilégier la metformine, médicament de référence présentant les effets indésirables graves les moins fréquents et les mieux évalués7.

L’étude (6) est aussi gratuite : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3323508/

Reprenons le follow-up dans le tabeau 1 : seule UKPDS34 a un suivi long (128 mois), puis on descend à 48-51 mois, 12, 6, 4 mois… Le traitement pour UKPDS(a) : metformine versus diététique. (Il faut éviter de regarder UKPDS(b) qui étudie metformine + sulfamide versus sulfamide seul : ce n’est pas l’objet de ce post…)

Dans la figure 2, la metformine baisse la mortalité globale de 32% (89/411 à 50/342, RR = 0,68 [0.49-0.93] ; NNT = 14), et à peu près similaire pour la mortalité cardiovasculaire. Dans la figure 3, en analyse en sous-groupe pour ainsi dire, on voit une tendance à diminuer les AVC et les insuffisances cardiaques, plutôt que les autres effets – rien n’est mis en évidence, mais forcément vu la taille réduite des échantillons.

Ca se saurait si sur 300 diabétiques a priori pas mal contrôlés – HbA1c à 7,1% au début – on voyait une pléthore d’AVC ou d’amputation…

Du coup, qu’en déduire ?

A long terme, dans la seule étude disponible avec un suivi de 10 ans, il semble bien qu’un traitement par metformine versus diététique seul diminue de façon importante la mortalité globale. Cet effet n’a pas lieu sur le court terme, mais franchement, qui en doutait ?

L’association de metformine au sulfamide (l’étude UKDPS(b)) majore la mortalité par rapport au sulfamide seul dans la population où l’HbA1c était de base à 7,5% en moyenne. Faut-il pour autant refuser l’escalade thérapeutique chez les patients qui ont une HbA1c vraiment haute, genre 8,5-10% ? Je pense que non. Mais il faudrait que je lise les autres références de l’article de J.-P. Lebeau pour me faire mon idée.

(Je vous re-rappelle mon disclaimer : je n’ai pas du tout les données complètes en main, je n’ai pas fait de revue de la littérature ; je me suis posé deux questions dès la conférence retranscrite sur Twitter par @Dr_Tib, et par curiosité, j’ai tenté d’y répondre par moi-même avec les articles cités dans le résumé que constitue le communiqué. Ne prenez pas ce que vous lisez, ici ou ailleurs, pour argent comptant.)

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