Prescrire et dompéridone (suite et fin)

Le 19 février (2014), Prescrire a publié un article décrivant que 25 à 120 morts étaient imputables au dompéridone en 2012.

Cet article était repris le jour même par la presse (Le Monde, Figaro…) qui montrait à nouveau son talent pour faire un copier-coller non vérifié (je vous rappelle l’histoire de Wikipedia ?)

Du coup, j’ai regardé l’article de Prescrire, et dans la nuit du 19 au 20, j’ai écrit un article sur la dompéridone. Grosso modo, mon message était le suivant :  Prescrire, c’est une bonne revue, qui a des défauts mais surtout des qualités, mais là…

  • ils basent leur calcul sur un OR à 3,7 sachant que c’est une valeur inajustée sur tous les antécédents cardiaques, dans une étude où la valeur ajustée n’est pas significative (OR = 1,99 [0,80-4,96]) !
  • une étude épidémiologique (en dehors des critères de Bradford-Hill) ne permet pas d’établir un lien de causalité : les gens qui font une mort subite ne sont pas forcément comparables à 100% avec les autres, et des facteurs de confusion peuvent exister (par exemple, un angor peut donner des nausées, et préparer un infarctus du myocarde),
  • je ne comprenais pas leur calcul de nombre de morts, et en tripatouillant les chiffres donnés dans tous les sens je retrouvais vaguement 50 et 120 (nombre de consommateurs /an x durée de consommation /an x taux de mort subite lié à dompéridone x OR).
  • ils proposaient de donner du PRIMPERAN, qui me semblait bien plus toxique. Enfin, je concluais en leur donnant raison sur le fond : le dompéridone est un anti-émétique neuroleptique caché, qui a peu montré son efficacité, qui peut élargir le QT et donc théoriquement donner des troubles du rythme cardiaque mortels… Toutefois, ajoutais-je, la rareté de l’événement est à contre-balancer avec les risques de gerber tripes et boyaux (non, ce n’est pas anodin de vomir : hypokaliémie et troubles du rythme cardiaque, déshydratation, syndrome de Mallory-Weiss, rupture de l’oesophage (c’est rarissime, mais j’en ai vu une), pneumopathie d’inhalation, oesophagite, dénutrition, arrêt des médicaments pris par voie orale…)

Et donc, après m’avoir contacté pour accord, Prescrire a publié hier une réponse à mon propos ainsi qu’à d’autres blogueurs ou lecteurs. Ils ne sont pas rancuniers parce que mon article n’était pas très tendre (écrit à 2h du matin à l’arrache…) D’ailleurs, preuve de leur pardon facile, ils m’ont proposé d’être relecteur – ce que j’ai accepté avec plaisir, parce que je pense que c’est une revue de qualité, je le rappelle une dernière fois avant ce qui suit (cet article est donc en conflit d’intérêt… ;-))

Voici les point-clés de leur réponse sur mes remarques initiales, en parallèle  :

  • Concernant l’OR à 3,72 : « Avant tout ajustement, le RC a été 3,72 (IC95 : 1,72 à 8,08). Les auteurs ont ensuite pointé une probable «  interaction  » entre le risque de mort subite cardiaque sous dompéridone et le type d’assurance maladie, en raison en fin de période étudiée, d’un effondrement des prescriptions dans le système public et d’une légère hausse dans le système privé. Ils ont présenté 2 séries d’analyses (…) En tenant compte (blablabla plein de facteurs de confusion), le RC a été d’environ 4,17 [1,33 – 13,1] dans le sous-groupe système public. Mais dans le sous-groupe système privé, les effectifs étaient trop faibles pour procéder aux ajustements. Dans une autre analyse sans stratification préalable par type d’assurance, le RC a été de 1,99 [0,80-4,96] après ajustement ; il a atteint 11,4 [1,99 – 65,2]avec les posologies supérieures à 30 mg/j » (…) « Nous avons utilisé le RC de 3,72 malgré l’absence d’ajustement, pour ne pas prendre les valeurs plus élevées » dans d’autres sous-groupes (assurance privée ou prise supérieure à 30 mg/j). Euuuuh… le coup de « oui mais on a remarqué que l’assurance blablabla » c’est juste de la très mauvaise science. A force d’étudier des sous-groupes, on va trouver des résultats qui ne veulent rien dire : ce 3,72 en est une excellente illustration (« ah, vous vous avez une assurance publique donc on ne sait pas, par contre vous là, vous avez une assurance privée, donc si on n’ajuste sur aucun autre facteur de risque cardiovasculaire, la dompéridone est dangereuse pour vous »).
  • Pas de réponse particulière sur les facteurs de confusion : la dompéridone peut tuer par anomalies du rythme cardiaque, ça a été vu en intraveineux dans les années 80, et les prescriptions sont  de plus en plus fréquentes – de quoi s’inquiéter. Toutefois,  j’aurais aimé qu’ils relèvent ces remarques, mais au moins j’apprécie fortement le fait qu’ils aient choisi de le laisser dans les extraits présentés dans leur revue.  
  • Le calcul du nombre de décès imputables au dompéridone a été faite (et recalculée) avec les fractions de risque attribuable… Mea maxima culpa 🙁 Je connaissais ces méthodes de loin, mais je n’ai pas compris que c’était ainsi qu’ils l’avaient calculé (c’était logique après coup, mais pas très explicite dans l’article, il était tard (2h du matin quand même), je n’ai pas relu, blablabla). De toute façon, très honnêtement, même après, je ne l’ai pas vu, donc pas d’excuse de mauvaise foi… 
  • Ils proposent de prescrire de la doxylamine (DONORMYL) ou… un placebo. Je ne sais pas quoi répondre à ça. Je prescris rarement des anti-émétiques, mais si un patient vomit vraiment, que ça ne passe pas sous Vogalène, je préfère encore proposer du dompéridone, dont l’efficacité est incertaine, mais à risque potentiel dans 25 à 120 cas sur 3 millions de prescriptions (comme tous les neuroleptiques, ou à peu près autant que les diurétiques (OR à 2,86 [1,12 – 7,26]) dans l’étude qui trouvait une vraie association faible avec un OR à 1,6 pour le dompéridone)… plutôt que dire à un patient « je vais vous mettre un médicament contre les vomissements » et prescrire un placebo (d’ailleurs, comment on prescrit un placebo, sérieux ?!)

Du coup, c’est dommage (mais compréhensible) : je critiquais la forme (une variable non ajustée, un calcul non clair, pas d’évocation des biais de confusion et autres limites) et pas le fond… et j’obtiens des réponses sur le fond et pas tellement la forme. Si, quand même, le calcul !

D’ailleurs, revenons-y une dernière fois sur ce calcul de nombre de décès, parce que ça complétera le côté « pédagogie statistique » de mon précédent billet :

  • N = FA x d
  • avec FA = p (RR – 1) x U / (1 + p(RR – 1) x U), avec p la probabilité de prendre dompéridone (p = 0,064), RR l’estimation de l’OR de faire une mort subite cardiaque et/ou une arythmie ventriculaire sous dompéridone, selon les études (mettons qu’on prend le 3,72 parce qu’ils ont 2 autres études dans leurs manches qui trouvent des résultats autour de 3-4 aussi), et U l’utilisation (2/52), soit FA = 0,0066 pour RR = 3,7 et 0,00147 pour RR = 1,6
  • et d la probabilité de décès par mort subite CARDIAQUE (d = 29/100 000 x 6520 000 = 18000 dans leur premier calcul ; là, ils évoquent le fait que le nombre de mort subite a été revu à la hausse à 47/100 000…) et on trouve bien 120 pour 29/100 000 voire 189 si on prend 47/100 000
  • bon, nous sommes dans les populations adultes (pour le RR et le d) donc plutôt que 6 520 000, utilisons 5 110 000
  • oui, mais aussi le dompéridone ne donne pas d’infarctus, mais des troubles du rythme ventriculaire a priori. Donc il faut que d soit la probabilité de décès par mort subite cardiaque par TROUBLE DU RYTHME… (eh oui, il faut être vraiment précis, sinon on prend la probabilité de décès tout court – bon, le RR du 3,7 est étudié en non ajusté dans une étude où c’est arythmie non fatale ou mort subite donc en fait il faudrait faire quoi, cumuler les deux ? et quelle conclusion ?).
  • si on prend l’étude qu’ils citent avec les 47/100 000, il faudrait éliminer au moins les 58% qui ont eu une angiographie du coup (c’est cohérent avec la littérature qui dit qu’il y a au moins 75% de coronaropathie). Les causes ensuite sont les cardiomyopathies dilatées, hypertrophiques… Les morts subites cardiaques par troubles du rythme représentent a priori moins de 10% mais je vais être bon joueur et proposer « le chiffre le plus élevé » en leur faveur, soit 25%.
  • du coup, on a d = 47/100 000 x 5  110 000 x 0,25 = 6004… et donc N = 9 à 40 décès en prenant les valeurs hautes (47/100 000 et 25% de morts subites cardiaques d’origine rythmique – si vous avez les vrais % ça m’intéresse)

Je vois déjà le « ouiiiiii mais si on avait étudié les morts subites par trouble du rythme, le RR serait plus haut… » auquel je répondrai « est-ce que dans le calcul N = FA x d, c’est le RR perdu dans la fraction de risque qui a le plus gros poids, ou le d ? »

Les stats, vous pouvez les tourner dans tous les sens, et leur faire dire ce que vous voulez. Le dompéridone n’est pas associé dans votre modèle multivarié ? Regardez ce qu’il se passe sans ajustement ou dans la sous-classe des gens qui ont une assurance privée. Vous voulez prouver qu’un médicament est dangereux ? Trouvez un OR (même minime), un médicament largement utilisé et une pathologie fréquente et le tour est joué…

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