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Bad Twitter et rappels sur l’endométriose

Sur ce blog à plusieurs reprises (ici sur #DocTocToc en 2013, là sur #DocTocToc en 2018, de ce côté sur l’utilité pratique sur une seule question, ou encore ici dans les conseils pour jeunes internes), dans 1 atelier et 2 présentations en congrès, j’ai déjà vanté plusieurs fois l’intérêt de Twitter pour les médecins : c’est un lieu formidable pour se former, s’informer, rencontrer des gens, se marrer, comprendre des problématiques qui nous échappaient auparavant (des difficultés d’être une femme, LGBT+, handicapé(e), racisé(e), etc.)…

Pour compenser, présentons aujourd’hui un peu de « mauvais Twitter » avec ce qui s’est passé vendredi.

Tweeté par un médecin blogueur à 13h18, avec 2 RT, 3 j’aime. Je reformule : « l’infirmier(e) du collège a écrit « explorations endométriose » dans un document à destination du médecin d’une jeune fille de 14 ans avec règles douloureuses ».
Rien.
D’autre.

A 20h31, un subtweet sauvage apparait (d’une Twittos que j’apprécie beaucoup par ailleurs) :

Et là, boum, 4500 RT, 10100 fav (ce dimanche 5 mai à 19h30)…

(D’ailleurs, je vais citer @docdu16 et @FerryDanini quand je publierai ce billet, pour ne pas faire du « subblogging ». Et si vous n’êtes pas d’accord avec quelque chose que j’ai écrit ici, je vous remercie d’ailleurs de me le dire de façon loyale, dans les commentaires ou sur Twitter, le but du billet n’étant pas de relancer une indignation générale sur les médecins et l’endométriose mais d’analyser à froid un « phénomène » sur Twitter).

Je vous épargne les réponses qui sont sur la thématique « ces médecins me dégoûtent, on peut mourir, personne nous croit », certains qui pensent que @docdu16 est gynécologue, les « qu’il change de métier, vous êtes vraiment médecin ? » à répétition, et cela sans compter les reprises indignées, qui fonctionnent bien également (869 RT, 1700 fav) :

Sauf qu’il y a 2 problèmes dans tout ça.

Le premier problème : quand on lit le tweet initial et ces deux-là, c’est TRÈS déformé. Dire « j’ai des médecins dans ma TL saoulés (…) que l’endométriose c’est à la mode (…) les retards de diagnostic, ça ne vous dit rien ? » ou « arrêtez de vouloir l’invisibiliser », c’est une interprétation très libre…
Si je dis « y’a des philosophes dans ma TL qui pensent que les médecins sont contents de rater un diagnostic. Allo ? L’empathie, ça vous parle ? Vous nous prenez pour des abrutis qui se réjouissons des souffrances et malheurs d’autrui ? Purée mais remettez-vous en question », c’est du même acabit. (Je ne le twitterai pas parce que je ne le pense pas ; encore une fois, j’apprécie vraiment Juliette Ferry-Danini – qui a d’ailleurs sûrement subtweeté pour éviter d’afficher quelqu’un nommément et ne pensait probablement pas faire plusieurs milliers de RT là-dessus…)

 

Le deuxième problème : médicalement, toutes les réponses indignées que j’ai lues sont fausses… :/ (j’ai pas tout lu). 

L’explication médicale au premier tweet a été donnée juste après (0 RT, 39 fav – c’est quand même dommage qu’il y ait des tweets indignés à RT et des explications calmes sans) : 

Et par l’auteur du tweet initial (18 RT, 113 fav) :

Oui, il y a eu, il y a et il y aura encore des errances diagnostiques, des diagnostics ratés, et on trouvera toujours plein d’histoires pour s’indigner, à raison, de plusieurs cas particuliers (surtout sur Twitter qui fait caisse de résonnance). En réalité, tous les médecins ratent des diagnostics (et s’en veulent, longtemps, sans vous, ne vous inquiétez pas).
Sur une pathologie aussi fréquente que l’endométriose, les échecs arrivent régulièrement. Pour « défendre » la profession quand même, il y a 100 000 médecins généralistes en France environ ; même si vous trouvez 10 000 personnes ayant vécu une histoire d’errance diagnostique sur l’endométriose, ça fera 1 pour 10 médecins (donc 9 médecins qui n’ont jamais raté ce diagnostic, pourtant loin d’être si évident… ils ont raté d’autres diagnostics, pas de panique).

Plutôt que débattre pour savoir qui a raison ou tort, voici un résumé de la recommandation HAS de décembre 2017 sur l’endométriose et des recommandations de pratique clinique à retrouver en version intégrale ici (à part les deux premiers points vulgarisés, je reprends JUSTE les phrases de ces recommandations) :

  • l’endométriose, c’est un peu (ou beaucoup) d’endomètre en dehors de l’utérus, qui se développe sous l’effet des hormones et « se détruit » lors des règles ;
  • l’endométriose est favorisée par la « quantité cumulée » de règles (début précoce des règles, cycles court, règles abondantes = davantage de risque d’avoir des cellules qui passent en dehors de l’utérus), et par les antécédents familiaux ;
  • il n’y a pas de prévention primaire (de conseils à donner), ni de prévention secondaire (pas de dépistage, même si cycles courts ou antécédents familiaux).
  • la littérature n’est pas en faveur d’une augmentation du nombre ou du volume des lésions avec le temps (donc il n’y a pas d’urgence à diagnostiquer une endométriose – l’urgence est de traiter les symptômes)
  • les symptômes sont : dysménorrhées intenses (résistantes au paracétamol et aux AINS, d’intensité > 7/10), douleurs lors de la pénétration (dyspareunie), signes urinaires ou digestifs lors des règles (on peut avoir de l’endomètre sur la vessie ou le tube digestif), infertilité.
  • les symptômes douloureux comme la dysménorrhée sévère ou les dyspareunies profondes sont fréquentes et ne sont pas systématiquement reliés à l’endométriose
  • en cas de dysménorrhée isolée, sans autre symptôme douloureux ni souhait de grossesse immédiat, la recherche d’une endométriose n’est pas recommandée en cas d’efficacité de la contraception hormonale sur la dysménorrhée. 
  • l’endométriose n’est pas toujours pathologique : une femme peut avoir une endométriose, mais pas de douleur et pas de problème de fertilité
Prise en charge de l'endométriose en une image Prise en charge de l’endométriose en une image

Donc en résumé sur la conduite à tenir devant une dysménorrhée (douleurs de règles) :

  • déjà on commence par demander si c’est primaire (dès les premières règles) ou secondaire (premières règles normales puis un jour ça a fait mal, ou beaucoup plus mal). Le premier cas n’est pas trop en faveur d’une endométriose (ça ne l’exclue pas à 100 %), le deuxième l’évoque davantage (ça ne l’affirme pas à 100 %) ;
  • ensuite, comme le disait @DrJohnFa, on traite la douleur : si ça passe avec du paracétamol, de l’ibuprofène ou du flurbiprofène (classique ANTADYS), ça n’est pas une dysménorrhée évocatrice d’endométriose, donc en absence d’autre symptôme on s’arrête là (et il n’y a aucun intérêt à évoquer le diagnostic de façon systématique…)
  • si la douleur est résistante aux antalgiques, elle devient potentiellement évocatrice d’endométriose : dans ce cas, on demande une échographie pelvienne pour éliminer un diagnostic différentiel (kyste ovarien, etc.) et chercher un endométriome ; s’il n’y a rien à l’échographie, ça n’élimine pas l’endométriose, mais on peut proposer une contraception hormonale (pilule oestroprogestative continue, ou microprogestative). En absence de nouveau symptôme, il n’y a pas lieu de contrôler l’échographie, ou suivre quoi que ce soit.
  • si la pilule n’est pas efficace ou non souhaitée, on demande une IRM, et un avis spécialisé (éventuellement coelioscopie diagnostique si ça a un intérêt pour les douleurs ou la fertilité, et orientation parfois vers une PMA… mais là à 14 ans, c’est évidemment hors de propos).

Enfin, pour revenir à notre histoire initiale, a priori, l’IDE avait tord d’écrire « exploration endométriose ». C’était une « exploration dysménorrhée » (de la même façon, on ne dit pas « exploration Alzheimer » pour « exploration de troubles de mémoire » par exemple). Il n’a jamais été question de cacher un diagnostic d’endométriose ou de le sous-diagnostiquer volontairement ; il s’agit de bien prendre en charge les endométrioses symptomatiques et ne pas explorer/traiter/inquiéter inutilement avec des lésions asymptomatiques (la même chose pour les hernies discales dans les lombalgies…) Dire à une fille de 14 ans, « c’est peut-être une endométriose » n’a aucun intérêt à ce « stade précoce et indifférencié » (pour reprendre un des concepts de la médecine générale).

C’est très bien qu’il y ait une prise de conscience de l’existence de l’endométriose par tout le monde… mais ça n’est pas non plus une raison pour croire que vous êtes forcément mieux informé que tous les médecins et a fortiori quand plusieurs d’entre eux citent les recommandations actuelles sur le sujet. Ca n’est pas de l’arrogance, c’est juste qu’en moyenne, les gens connaissent mieux leur métier que ceux dont ça ne l’est pas (ça marche pour tout métier).

Enfin, gérer l’incertitude, c’est un des rôles du médecin généraliste ; bien sûr qu’on peut faire des IRM à tord (on fait des tas d’examens qui sont normaux), mais il y a des recommandations qui sont là aussi pour éviter de faire des examens paracliniques 1/ inutiles pour la prise en charge (dépense d’argent qui ne sera pas utilisé pour d’autres soins plus pertinents – je suis désolé que ça soit comme ça, mais ça l’est) et 2/ inutilement angoissants pour le patient (concept d’incidentalome).

Jaddo a une très belle phrase sur les examens qu’on demande, et je conclurai là-dessus.

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