Une semaine en direct du labo

La semaine dernière (11 au 17 février), j’ai animé le compte @EnDirectDuLabo. Mon objectif était de parler de la place et l’intérêt de la recherche en médecine générale.

En réponse à ce tweet, j’ai d’ailleurs mis (au fur et à mesure) le menu de la semaine : 

C’était une expérience très sympa, parce que :

  • ça implique de réfléchir un peu différemment à ce qu’on tweete ou retweete (ça n’est pas mon compte, je n’ai pas envie de dire « trop » de bêtise – même si mon contenu n’est au nom du Collectif Conscience, j’ai un peu l’impression d’être « dans leur appart' »)
  • c’est une seule semaine donc ça incite à être productif (et de plus en plus au fil de l’approche de date de fin… un peu comme quand on va finir les vacances et qu’on se dit qu’on a « encore plein de choses à faire » ^^)
  • le public n’est pas le même que sur mon compte (avec globalement un mélange « professionnels de santé » / « amateurs de sagas mp3 » qui me connaissent un peu et sont encore là malgré tout) : ça incite à expliquer ou vulgariser différemment pour être compréhensible par le plus grand nombre,
  • c’est un compte à 11 000 abonnés (soit 5 fois plus que mon compte habituel), qui a un public très différent de mes followers habituels : probablement des followers des prédécesseurs sur ce compte, donc des gens intéressés par la biologie, génétique, astrophysique, économie, archéologie, informatique, géographie, histoire, lettres modernes, mathématiques… bref, un public très varié !

Je suis arrivé avec un sentiment d’imposteur (la semaine d’avant, il y avait un chercheur qui expliquait comment ses travaux permettaient de retrouver un randonneur perdu qui ne peut donner que des informations vagues, avec des super cartes et tout ; c’était Columbo sur le GR20, je trouvais ça trop cool !)

Pour éviter de saouler les gens non intéressés par la médecine, j’ai essayé d’écrire le maximum et balancer par série de 5 à 15 tweets, plutôt qu’un tweet à la fois (ce qui fait remonter dans la TL le même sujet pendant 2 heures…) ; c’est ce que je fais notamment en congrès.

Pour m’assurer que je n’ennuyais pas trop les gens sur ce compte qui n’est pas le mien (#imposteur ^^), j’ai noté le nombre de followers au début (11 238) et vérifié 2-3 fois dans la semaine que ça ne chutait pas (en fait ça progresse toujours un peu et au samedi soir, on était même à +82 \o/… notamment parce que ma TL sur @mimiryudo est terriblement cool et est venue m’écouter « blablater » à côté – bises à vous :*)).

Le dimanche, j’ai exploré les statistiques Twitter pour voir le « bilan de la semaine » (c’est vraiment très détaillé ce truc, c’est marrant… bien qu’avec quelques informations probablement un peu douteuses, comme le « principal sujet d’intérêt » ^^)

Ca fait pas mal "d'impression" (potentielle) des tweets !

Ca fait pas mal « d’impression » (potentielle) des tweets !

Capture d’écran 2019-02-17 à 20.09.24

Ouf, des clics, des RT, des « j’aime » et des réponses. Tout va bien !

La principale passion des followers ? Les chiens. (WTF ?)

Le principal intérêt des followers ? Les chiens, bien évidemment. C’est également leur style de vie, par ailleurs.

Mine de rien, ça a été bien chronophage. Au total, je pense que j’ai passé 12 à 15 heures sur ce compte la semaine dernière, vous comprendrez donc que je n’ai pas eu tellement de temps pour un billet original pour ce mardi matin (on verra pour le suivant ^^). Je vous propose plutôt une rétrospective :

La semaine à venir va me sembler plus calme ^^ A bientôt !

 

 

EDIT : Ma petite présentation quand même…

Je m’appelle Michaël (@mimiryudo), j’ai 32 ans, et je suis médecin généraliste à Outreau (62 – Pas-de-Calais) depuis la fin de mon internat en novembre 2014.
J’ai une triple activité depuis mon clinicat en médecine générale (jusqu’en novembre 2017) :
– soignant (médecine générale) ;
– enseignement, notamment auprès des internes de médecine générale et des étudiants en 6ème année de médecine préparant les épreuves classantes nationales ;
– recherche : après ma thèse d’exercice (sur la collaboration entre le service de médecine interne et le centre de pharmacovigilance), j’ai dirigé 36 thèses depuis novembre 2014, obtenu un M2 en biologie-santé (bio-statistiques) en 2015 et soutenu ma thèse d’université en sciences de la santé à Lille en janvier 2019, sur la recherche de facteurs associés à la maladie d’Alzheimer par la fouille de base de données massives.
Pendant cette semaine avec vous, je partage sur :
– la recherche pendant les études de médecine (générale),
– les possibilités de faire de la recherche au quotidien au cabinet de médecine générale (avec quelques grandes études actuelles),
– l’humour dans la recherche, et les recherches sur l’humour dans la médecine,
– le contenu de PubMed, à travers les articles de médecine parlant de la Saint-Valentin (ravi de ne pas avoir tenu ce compte la semaine de Noël !)
– ma thèse d’université,
– et les différentes thèses que j’ai dirigées.
Pour compléter cette activité médicale, je tiens également un blog (https://www.mimiryudo.com/blog), quand je ne tweete pas…
En dehors de ce milieu, j’écris des fictions sonores dans la sagasphère (notamment sur Netophonix), joue de la musique (trompette et piano), pratique la course à pied et la randonnée (http://www.mic-mat.fr/randonnees), et j’aime le cinéma.
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Ecrire une thèse de médecine – Comment trouver une idée ?

Comme annoncé dans mes bonnes résolutions, cette année, je vais essayer de vous proposer une série de billets sur l’écriture de thèse. Ce sera l’occasion de partager mon expérience de la direction de thèses : les bonnes idées, les outils à maîtriser, les erreurs à éviter, les imprévus à déjouer… Ce sera une mise à jour détaillée de mon ancien billet sur la thèse, sous forme de questions / réponses.

On commence par « comment trouver une idée ? » Enjoy !

Petite annonce avant de commencer : mardi prochain, il n’y aura pas de billet a priori ; mais vous pourrez me retrouver toute la semaine du 11 au 17 février sur le compte @EnDirectDuLabo ! 😉

Faut-il un sujet de ma discipline (par exemple, médecine générale) ?

Oui.

Depuis la révision du programme des DES, appliquée dès la rentrée 2017/2018, la thèse doit maintenant être « dans la discipline ».

Dans vos recherches, vous pourrez trouver avant 2017 des thèses sur des sujets hors discipline. C’est normal : avant, vous pouviez être en médecine générale et parler de l’apport de l’IRM sur le diagnostic de démence précoce chez des souris transgéniques si ça vous chantait… La logique était de séparer le mémoire pour l’obtention d’un diplôme de « docteur en médecine » (toute spécialité) et le diplôme d’études spécialisées (DES) de la discipline (obtenu après avoir validé les stages de la maquette, les ED et le mémoire/portfolio adaptés).

 

Qui valide mon sujet, et le fait qu’il soit ou non dans la discipline ?

Votre directeur de thèse (si vous en avez un à ce stade). C’est lui qui vous donne le feu vert pour commencer la recherche (ne commencez jamais sans directeur !), puis ensuite constituer un jury et soutenir votre travail de recherche. Sauf s’il aime aller au casse-pipe, il ne le fera qu’en ayant la certitude que tout se passera bien !

Selon les facultés, il peut y avoir une validation par un jury, via une « fiche de déclaration de thèse ». Depuis la réforme 2017/2018, le sujet de thèse doit également être présenté au jury en fin de phase socle puis d’approfondissement.

 

Qu’attend l’université de votre thèse ?

Un article publiable. Consultez des articles publiés en français, car c’est exactement ce que vous devez faire.

Pour détailler un peu, votre travail doit « répondre à une question scientifique pertinente et originale au regard de la littérature internationale pour permettre une publication dans une revue scientifique ». C’est-à-dire que vous devez avoir une introduction menant à une question de recherche, une méthodologie permettant d’y répondre, des résultats (qui seront ce qu’ils sont), une discussion de ceux-ci et une conclusion (plan IMRaD).

Pour être accepté dans une revue, et être appécié par votre jury, votre travail va principalement être jugé sur 3 grands points : « is it useful ? is it new ? is it true ?». Autrement dit, voici les 3 critiques que vous allez devoir désamorcer :

  • En premier : « ça ne sert à rien »… vous devrez, par votre introduction, expliquer en quoi votre travail est utile ;
  • En deuxième : « ça a déjà été fait »… vous devez, là aussi dans votre introduction, indiquer que vous avez lu la littérature, et que votre question répond à une carence de la littérature ;
  • En troisième : « ça a été mal fait »… c’est une critique crainte par les étudiants, mais c’est finalement rare (et constructif) ; vous devrez indiquer dans votre discussion que vous êtes bien conscients des limites de votre travail et ce que vous avez fait pour y remédier, quand vous l’avez pu.

 

Qu’entend-on par un sujet de recherche « original » ?

C’est un sujet qui n’a pas été déjà réalisé (on ne reproduit pas le même travail en boucle). Mais c’est tout ce que ça veut dire.Une grande crainte des étudiants est « si ça a déjà été fait… ? » : en réalité, pour une thèse de médecine générale, c’est hautement improbable. Prenons par exemple 2 sujets :

  • consommation d’AINS chez les coureurs à pied des Hauts-de-France en 2018
  • consommation d’AINS chez les coureurs à pied de l’ultra-trail du Mont-Blanc en 2018.

Même s’ils sont effectivement très proches, ils ne sont pas réalisés dans la même région (rien que cette condition suffirait), et ça n’est pas le même profil de coureur… Ce serait donc bel et bien 2 sujets différents, et deux recherches « originales ».

Pour faire la même thèse, il faudrait que vous étudiiez les mêmes courses, avec un questionnaire très similaire ; vous devriez rapidement vous en rendre compte…

Par ailleurs, la quête de l’originalité ne doit pas vous bloquer. Votre travail ne sera pas « très original », ça c’est une quasi-certitude : mais ça n’est pas grave, car l’originalité pour tous est inaccessible. Pour illustrer, il y a d’un côté 250 films produits par an en France, avec des équipes de professionnels (scénaristes, réalisateurs, techniciens, acteurs…) ; de l’autre, 4000 thèses de médecine générale par an, réalisées le plus souvent par des amateurs de la recherche et sans financement. Avec tout le respect que j’ai pour le cinéma français, il n’y a pas 250 films « originaux » ; donc pas de raison d’avoir une folle originalité sur les 4000 thèses.

Néanmoins, comme dans le cinéma, vous allez faire votre possible pour délivrer un message personnel et novateur, et peut-être vous démarquer du lot ! Pour cela, il faut un sujet qui vous passionne…

 

Sur quelles données peut porter ma thèse ?

Sur toutes !

Pour essayer de synthétiser, vous pouvez travailler sur :

  • des « sciences de la nature » (vous étudiez un phénomène, qui ne va pas se modifier parce que vous l’étudiez), par exemple une maladie ou un traitement ;
  • ou des « sciences humaines et sociales » (vous étudiez la société et les rapports entre humains, qui peuvent modifier leurs réponses et leurs comportements lorsque vous les interrogez, parce qu’ils se savent étudiés), par exemple des patients, des soignants ou des étudiants.

Ces études ont des points communs : elles cherchent à de décrire et analyser de façon rationnelle les faits, se basent sur une littérature existante, utilisent des méthodes transparentes et reproductibles, pour proposer des résultats qui seront discutés et habituellement critiqués par les pairs avant diffusion.

Vous pouvez ensuite travailler sur des données :

  • quantitatives (des chiffres : des taux, des moyennes…),
  • qualitatives (du texte : des dialogues, des discours, des tweets…).

Ces données peuvent provenir de plusieurs sources :

  • littérature: revue de littérature (voire revue de revues de littérature ou umbrella review), méta-analyse, etc.
  • base de données existantes: PMSI, EGB, SNIIRAM, cohorte existante, données sur internat (forums, réseaux sociaux), etc. (on en reparlera)
  • base de données nouvellement créée: questionnaire, etc.

Nous reverrons plus tard comment classer une étude. Mais si vous souhaitez travailler sur l’asthme, vous pouvez étudier :

  • la maladie : sa prévalence, son incidence, etc. (internationale ou nationale dans la littérature, nationale ou locale dans une base de données hospitalière ou ambulatoire, nationale ou locale dans une zone géographique donnée via un questionnaire, etc.)
  • le traitement : son efficacité, sa tolérance, etc.
  • le patient : sa qualité de vie, son observance du traitement, son ressenti, etc.
  • les soignants : leur pratique diagnostique (utilisation de spirométrie au cabinet), leur pratique thérapeutique, leur ressenti,
  • les outils : les vidéos pour l’utilisation des inhalateurs, le site asthme-plongée pour les plongeurs asthmatiques, le développement ou l’évaluation d’une appli, etc.

De façon très pragmatique, je vous conseille de toujours envisager de partir de données existantes avant d’envisager de créer votre propre base (le temps gagné en ne construisant pas la base pourra être réutilisé pour son exploitation). Bien sûr, ça n’est pas toujours possible, et si vous avez besoin de créer votre base, l’important est juste de s’être assuré que c’était justifié.

 

Quelles sont les thématiques possibles pour ma thèse ?

Absolument toutes, en rapport avec la discipline.

Toutes les thématiques sont ouvertes tant qu’il s’agit d’un travail de recherche universitaire.

Pour la médecine générale, votre travail peut donc traiter :

  • de situations relativement spécifiques de médecine générale, pouvant concerner des pathologies ou populations communes avec d’autres disciplines (telles que la pédiatrie, gériatrie, gynécologie-obstétrique, rhumatologie, neurologie, cardiologie, psychiatrie, pneumologie, dermatologie, etc.). Par exemple :
    • suivi longitudinal : quel délai moyen (ou optimal) entre deux consultations pour les pathologies les plus fréquemment rencontrées ? etc.
    • stade précoce et indifférencié des maladies : vécu des patients avant l’annonce d’un diagnostic grave, prise en charge des médecins généralistes devant une épaule douloureuse, etc.
    • organisation : comment sont informatisés les cabinets médicaux en France ? Quelle vision de la sécurité informatique pour les médecins ou patients ? Quel matériel est utilisé (ECG, spiromètre, audiogramme, polygraphe, etc.) ? Quels médecins utilisent un Sensory Baby Test ? Quels sites sont utilisés, par qui et dans quelles circonstances (Antibioclic, Pediadoc, Aporose, etc.) ? Quelles sont les motivations et freins à la télémédecine ? etc.
    • prévention et dépistage : quelles modifications depuis l’obligation vaccinale ? quels médecins réalisent les frottis cervico-utérins ? quelles conséquences d’une indisponibilité des kits de test immunologique fécal en fin 2018 sur l’incidence des cancers digestifs ?
  • … mais aussi aborder des populations très spécifiques ne relevant pas réellement d’une spécialité, par exemple :
    • le recours aux anabolisants dans le milieu du culturisme,
    • les facteurs associés à une performance sportive chez les coureurs à pied,
    • la consommation d’antalgiques chez les cyclistes,
    • les pathologies des membres supérieurs chez les pianistes professionnels,
    • les performances cognitives chez les gamers,
    • le recours aux « soins non conventionnels » dans le XV de France à travers leurs interviews dans la presse,
    • les tatouages et leur association aux performances dans le catch,
    • la consommation d’anxiolytiques chez les écrivains français,
    • l’intérêt de l’art-thérapie dans une unité Alzheimer,
    • la vision de la médecine générale au XXème siècle à travers la bande dessinée,
    • la prise en charge des épicondylites chez les tennismen de votre région…

Et vous pouvez inverser tout ça. On pourrait presque faire un « Easy Sujet de Thèse Creator » (titre piqué aux amis de Netophonix ^^) : le recours aux anabolisants chez les cyclistes, la consommation d’antalgiques chez les pianistes professionnels, la consommation d’anxiolytiques au XXème siècle à travers la bande dessinée, etc.

Comment choisir son sujet de thèse ?

Vous allez consacrer du temps à votre thèse, donc il faut que ça vous plaise.

N’hésitez pas à vous poser la question suivante : « qu’est-ce qui m’intéresse dans la vraie vie ? » Est-ce la musique, la peinture, la danse, la BD, la littérature, le sport, le cinéma, l’histoire, les jeux vidéo, les sagas mp3…

Demandez-vous ensuite comment la relier à votre discipline (qui est ce que j’ai fait ci-dessus par exemple).

Si vous ne trouvez pas tout seul, faites une recherche rapide pour voir les sujets déjà en lien avec « ce qui vous plait » dans la littérature scientifique, en utilisant en premier (dans cette quête d’un sujet) :

  • LiSSa (littérature scientifique en santé)
  • Sudoc (thèses)
  • PubMed (en anglais)

Par exemple si vous cherchez « jeux vidéo » sur LiSSa, vous trouvez plus de 300 ressources (en févier 2019) avec leur intérêt en pédiatrie, gériatrie, rééducation, psychiatrie, neurologie ; leur impact sur les performances cognitives, sur le sommeil ; les risques d’addiction ; les pratiques des médecins généralistes… Sur le même moteur de recherche, vous avez près de 70 références avec « bande dessinée » concernant son intérêt dans l’enseignement aux médecins, la place du médicament dans Tintin, l’intérêt de BD pour informer sur une pathologie ou un suivi, etc. Cela pourra également se rapprocher de la « bibliothérapie » pour la littérature en tant que thérapie (24 références). Concernant le terme « cinéma », vous trouverez également des références sur « la thérapie par le film », à côté d’articles sur la représentation de la psychiatrie, des addictions, des transplantations à travers les écrans, etc.

Bref, aller sur un de ces moteurs de recherche et taper le mot-clé en lien avec ce qui occupe vos temps libres peut être une bonne solution pour trouver un sujet qui vous plaise vraiment.

Bien sûr, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ça n’est pas parce que ça n’est pas « votre passion » que vous ne devez pas choisir un sujet ! Je ne voudrais pas être responsable d’une vague de sujets sur « Netflix et médecine générale ». Vous pouvez aussi préférer répondre à une question médicale qui vous intéresse. Ce qui compte, c’est que ça vous plaise.

Si je n’ai pas de sujet, que puis-je faire ?

Nous avons vu que vous pouvez TOUT traiter, à partir d’à peu près toutes les données.

Il y a (à mon sens), quatre sources principales pour trouver un sujet de thèse :

  1. Vos passions ou sujets d’intérêt… C’est ce qu’on vient de détailler ci-dessus : posez-vous la question de relier « votre passion » avec « votre discipline ».
  2. La pratique… Une situation clinique, relationnelle, professionnelle, voire personnelle vous interroge et vous amène à faire des recherches. (Ca n’est pas parce que ça ne concerne pas votre passion que ça n’a pas d’intérêt bien sûr !)
  3. Si vous n’avez pas de situation qui vous amène à une thèse… Consultez les actualités en recherche :
    • Les thèses: de façon générale via le site Sudoc ; vous pouvez également consulter les thèses de votre faculté. Par exemple, à Lille, nous avons le Panorama des Productions Universitaires ou PEPITE (http://pepite.univ-lille2.fr/) qui permet une recherche par discipline notamment.  Cela permet de voir les thématiques, et éventuellement d’avoir des idées toutes faites en lisant les « perspectives » à la fin de la discussion ;
    • Les revues: Exercer, Prescrire, BMJ, NEJM, Lancet… vous pouvez lire un numéro en entier (le dernier en date, celui du mois de votre dernier anniversaire ou autre mode de sélection aussi pertinent) et regarder ce qui se fait actuellement (là encore les paragraphes « perspectives » sont intéressants) ;
    • Les revues d’hypothèses : il existe des revues ne faisant que formuler des hypothèses, telles que Journal of Medical Hypotheses and Ideas, ou Medical Hypotheses
    • Les congrès : 2 jours à écouter des communications et lire des posters, ça donne des idées souvent ; vous pouvez également retrouver les programmes de ces congrès – pour la médecine générale, jetez un œil aux 3 majeurs : CMGF, CNGE, congrès de l’océan Indien ;
    • Les communiqués d’agences biomédicales: par exemple l’ANSM (http://ansm.sante.fr/Mediatheque/Publications/Informations-recentes), l’InCA, etc. ;
    • Les vraies actualités : via les journaux scientifiques, les journaux grands publics, les réseaux sociaux tels que Twitter, etc.
  4. Si vous n’avez aucune idée malgré ces recherche… Demandez à votre directeur de thèse s’il n’a pas un sujet à traiter ! Attention, n’oubliez pas la règle d’or : le sujet DOIT impérativement vous plaire. Ne vous engagez donc pas à la légère si votre directeur vous propose un sujet qui ne vous intéresse pas.

Une fois que vous avez trouvé la thématique et le sujet qui vous plaisent, nous verrons la prochaine fois comment bien définir votre objectif (ou question de recherche).

En bref

·       Votre thèse doit être dans votre discipline, et cela est validé par votre directeur de thèse (indispensable après avoir trouvé votre idée au plus tard), puis en général par les responsables de votre DES.

·       Votre thèse doit être un article scientifique : elle doit donc se baser sur la littérature, identifier une carence et tenter d’y répondre en partie. Elle ne sera probablement pas aussi originale que vous le souhaitez, mais ça n’est pas grave, car elle aura déjà permis à sa façon de faire (un peu) progresser les connaissances. Et c’est tout ce qu’on lui demande !

·       Choisissez un sujet qui plait, idéalement dans vos sujets d’intérêt (hors médecine, ou en médecine). Si votre thèse vous passionne, la réalisation n’en sera que plus agréable et le rendu meilleur.

·       N’ayez pas peur d’envisager de nombreuses options avant de vous lancer à corps perdu dans la première idée que vous avez (ou qu’on vous propose). Vous trouverez toujours un sujet de thèse, pour peu que vous cherchiez un peu.

 

Exercice avant le prochain billet :

  • Cherchez sur LiSSa ce qui est « votre principale source d’intérêt » et synthétisez les sujets traités à partir des titres des 3 premières pages…

 

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[Fiche] Vaccination anti-VHB et acquisition d’immunité

Dans plusieurs situations, nous sommes amenés à nous assurer que les adultes soient bien immunisés contre le VHB, notamment pour des patients de 17-20 ans (en général) qui entrent dans le milieu de la santé… En effet, l’article L. 3111-4 du Code de la santé publique (CSP) et les arrêtés du 6 mars 2007 et du 16 décembre 2016 rendent obligatoire l’immunisation contre l’hépatite B pour les professions suivantes : médecin, chirurgien-dentiste, pharmacien, sage-femme, infirmier, masseur-kinésithérapeute, pédicure-podologue, manipulateur d’électroradiologie médicale, aide-soignant, ambulancier, auxiliaire de puériculture, technicien en analyses biomédicales, assistant dentaire, thanatopracteur. L’immunisation est également recommandée pour les secouristes, gardiens de prison, éboueurs, égoutiers, policiers, tatoueurs, etc.

3 ans de « médecin agréé pour la fonction publique » m’ont exposé à plusieurs types de situations ; je partage ici les questions que je me suis posées à un moment ou un autre :

  • quel est le schéma vaccinal « classique » ?
  • combien de vaccins sont à réaliser au minimum ?
  • quels dosages pour s’assurer de la bonne immunisation ? Et quels seuils ?
  • que faire si le seuil n’est pas atteint ? Faut-il revacciner ? Combien de vaccins faire au maximum ?
  • que faire si l’immunité n’est pas acquise malgré le nombre maximal de vaccin ?
  • peut-on exercer une profession de santé si on est non répondeur, ou a t-on obtenu la PACES pour rien ?

 

Quel est le schéma vaccinal (début 2019) ? 

Informations du calendrier de vaccination 2018 :

  • Tous les enfants sont maintenant vaccinés, à 2, 4 et 11 mois (avec le vaccin hexavalent) ; il n’y a pas de rappel systématique
  • Pour un enfant non vacciné : ENGERIX B10 avec un schéma à 0, 1 et 6 mois
  • Pour un enfant de 11 à 15 ans (révolus) : ENGERIX B20 avec un schéma à 0 et 6 mois (sauf si à risque, dans quel cas on privilégiera le schéma à 3 doses d’ENGERIX B10)
  • A partir de 16 ans : ENGERIX B20 avec un schéma à 0, 1 et 6 mois
  • En cas de souhait d’une immunisation rapide (détention, départ imminent en zone d’endémie) : ENGERIX B20 avec un schéma accéléré à 0, J7, J21 et 12 mois
  • Chez les insuffisants rénaux chroniques dialysés et immunodéprimés exposés, les doses sont différentes (2 doses à 0, 1, 2 et 6 mois, soit 8 doses au total).

 

Combien de vaccins au minimum ? 

Même si le schéma classique est ENGERIX B 20 en 3 doses (chez les plus de 16 ans)… il est parfois possible de s’arrêter à 2, pour peu que le dosage d’anticorps anti-HBs soit supérieur à 100 UI/l, comme nous allons le voir juste en-dessous.

 

Quels dosages pour s’assurer de la bonne immunisation ? Et quels seuils ? 

Quand un patient vous consulte pour s’assurer de son immunisation contre le VHB dans le cadre d’un (futur) exercice professionnel, vous devez lui doser au moins un mois après le dernier vaccin :

  • les anticorps anti-HBc (a t-il été en Contact avec le VHB ? Même si C ne veut pas dire contact, c’est un bon moyen mnémotechnique ;-))
  • les anticorps anti-HBs

Ensuite, il y a un algorithme (tableau 4.8 du calendrier vaccinal, reproduit un peu plus bas) :

  • Anticorps anti-HBc positif ==> argh, zut, il faut compléter le bilan à visée diagnostique : Ag HBs, ADN VHB, ALAT, ASAT, sérologies VHD (anticorps anti-VH delta) +/- sérologies VHA et VHC
    • Ag HBs + ou charge virale détectable = infection chronique à VHB = avis spécialisé
    • Ag HBs – et charge virale indétectable MAIS Ac anti-HBs < 10 UI/l = avis spécialisé (probablement infection ancienne)
    • Ag HBs – et charge virale indétectable ET Ac anti-HBs > 10 UI/l = immunité acquise (après infection par le VHB)
  • Anticorps anti-HBc négatif (le plus fréquent en France)
    • Si Ac anti-HBs > 100 UI/l = immunité, y compris s’il n’y a eu que 2 vaccins effectués (théoriquement même un seul vaccin, mais c’est beaucoup plus improbable et donc assez peu utile de faire le dosage…)
    •  Si Ac anti-HBs entre 10 et 100 UI/l = immunité si le patient a bien eu les 3 doses (sinon, compléter le schéma vaccinal à 3 doses, et ne pas refaire le bilan biologique au décours)
    • Si Ac anti-HBs < 10 UI/l = non immunisé = compléter le bilan à 3 doses puis recontrôler un à deux mois après la dernière injection

Capture d’écran 2019-01-21 à 23.33.30

Que faire si le seuil n’est pas atteint ? Faut-il revacciner ? Combien de vaccins faire au maximum ? 

Si >10 UI/l après 3 injections = immunité acquise ; sinon, il faut poursuivre les injections d’ENGERIX B20 tous les 1 à 2 mois (avec contrôle de la sérologie préalable pour arrêter dès que le taux dépasse > 10 UI/l).

On s’arrêtera à 6 injections maximum (patient non répondeur).

Est-ce tant que ça ? Comme dit plus haut, les personnes immunodéprimées exposées ou les insuffisants rénaux chroniques dialysés sont sur des schémas de 2 vaccins répétés 4 fois (soit 8 doses).

Une fois le seuil atteint, il n’est pas nécessaire de recontrôler : la preuve d’une sérologie positive (même ancienne) suffit.

Que faire si l’immunité n’est pas acquise malgré le nombre maximal de vaccin ? 

Environ 2 à 3 % de la population est non-répondeur (c’est-à-dire qu’ils gardent un taux d’Ac anti-HBs < 10 UI/l malgré les 6 injections).

Il y a plusieurs possibilités :

  • possibilité de faire un TWINRIX (VHA + VHB), non remboursé, qui peut éventuellement permettre une réponse,
  • ou arrêter, se définir comme non répondeur, avoir une surveillance annuelle de la sérologie VHB, et une attention particulière portée au VHB en cas d’accident d’exposition aux liquides biologiques.

En pratique, le médecin du travail est un bon référent à ce stade, car il peut évaluer précisément le risque d’exposition au virus de l’hépatite B : un médecin de santé publique va par exemple être moins exposé à ce risque qu’une infirmière en addictologie ou infectiologie.

Peut-on exercer une profession de santé si on est non-répondeur, ou a t-on obtenu la PACES pour rien ? (argh)

Rassurez-vous, il y a plusieurs documents qui confirment que vous pourrez exercer une profession de santé, malgré les réticences de votre système immunitaire.

Par exemple, l’annexe 2 de l’arrêté du 2 août 2013 fixant les conditions d’immunisation des personnes mentionnées à l’article L. 3111-4 du code de la santé publique dit que « les personnes considérées comme non répondeuses à la vaccination peuvent être admises ou maintenues en poste, sans limitation des actes qu’elles sont amenées à effectuer dans le cadre de leur activité professionnelle, sous réserve de l’avis du médecin du travail ou de prévention. Elles sont soumises à une surveillance au moins annuelle des marqueurs sériques du virus de l’hépatite B. Les élèves ou étudiants considérés comme non répondeurs à la vaccination peuvent cependant être admis dans un établissement d’enseignement. Dans ce cas, ils sont soumis à une surveillance au moins annuelle des marqueurs sériques du virus de l’hépatite B. Dans le cas où la personne aurait déjà reçu six doses ou plus en vertu d’un schéma vaccinal précédemment en vigueur, le médecin du travail ou le médecin traitant détermine s’il y a lieu de prescrire l’injection d’une dose de vaccin supplémentaire. »

 

En conclusion, le plus souvent, vous êtes face à ces cinq situations après le bilan Ac anti-HBc et Ac anti-HBs :

  • Le patient a une sérologie Ac anti-HBc positive : on complète le bilan pour savoir si l’infection est passée ou encore active (Ag HBs, charge virale et transaminases)
  • Le patient a une sérologie Ac anti-HBs > 100 UI/l : il est bien immunisé
  • Le patient est bien vacciné avec sérologie Ac anti-HBs > 10UI/l : il est bien immunisé
  • Le patient est bien vacciné mais avec sérologie Ac anti-HBs < 10 UI/l : on complète tous les 1-2 mois (avec contrôle de la sérologie préalable et prescription de l’ENGERIX B20 sous réserve que les Ac soient encore inférieurs à 10 UI/l), et ce jusqu’à 6 injections maximum ; au-delà on le définit comme non répondeur, on informe et on contrôle la sérologie tous les ans (le médecin du travail s’en occupe).
  • Le patient n’est pas vacciné du tout (et a stage bientôt… on ne va pas reparler ici du schéma accéléré plutôt réservé aux départs pour pays d’endémie ou pour les détenus) : on fait les deux premières injections à M0 et M1, puis un mois après le contrôle Ac anti-HBs ; s’il est > 100, on arrête la vaccination (immunité acquise), s’il est > 10 UI/l, on prévoit l’injection à M6 mais sans contrôle de sérologie (immunité acquise aussi)… Enfin, si la sérologie est < 10 UI/l, on fera le vaccin à M6 puis contrôle de sérologie 1 mois après et revaccination ou non selon le taux.

Vous voilà prêt à maîtriser toutes les situations sur la bonne immunisation contre le VHB avant entrée en études médicales et paramédicales 😉

 

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Un peu d’humour dans la recherche (deux vidéos)

On a déjà parlé des concepts en médecine générale, et de quelques parodies qui ont pu avoir lieu sur ce sujet : la célèbre vache Marguerite de Paul Frappé, une vidéo de 2015 sur « The Clawguerite » (en bas de ce billet)…

De façon plus large, tout ça s’inscrit dans « l’humour universitaire », qui peut prendre beaucoup de forme : blogs, vidéos, une thèse de 2003 sur les contrepétries en médecine, le compte Twitter « la thèse de Juliette » Ferry-Danini, des comics en ligne pour PhD comics (un peu dans l’esprit de XKCD) ou encore une BD publiée pour les Carnets de thèse de Tiphaine Rivière

Personnellement, j’aime bien aussi glisser des références dans certains articles (le plus facile à placer étant un dérivé de « de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités » ; mais sur celui-ci j’ai placé une référence aux Trois Frères).

Capture d’écran 2019-01-13 à 20.34.21

Je suis sûr que je ne suis pas le seul à faire ça, mais c’est quand même vachement plus caché quand même… ^^ Et puis bien sûr, il y a ceux qui sont carrément hors concours : les chercheurs qui appellent un gène Sonic Hedgehog par exemple, Smaug, ou Neo, Trynity et Morpheyus pour des gènes de matrice extra cellulaire (chez la drosophile), ou encore les gènes Superman, Clark Kent ou Kryptonite chez la plante… Vous trouverez d’autres exemples ici ou … C’est un peu le même principe qu’en astronomie, quand les découvreurs nomment les astéroïdes Monty Python, James Bond ou Mr. Spock par exemple…

J’ajoute aujourd’hui (avant-hier en fait) un petit caillou à ce grand édifice concernant les points SIGAPS (dont nous avons parlé il y a très peu de temps). Parce que ça fait un moment que j’y pense, et qu’il fallait que je le fasse… Ca a été l’occasion amusante de réapprendre à utiliser un peu Motion : intégrer du texte sur une vidéo, et intégrer une vidéo sur une télé (une Philips Segantini, modèle 20CT4426 de 1983, qui ressemble assez à celle de ma mère dans mon enfance – mais pas sûr que ça soit celle-ci ^^’)…

Et pour retrouver « The Clawguerite », c’est ici… 😉

EDIT du 3 octobre 2020.

En discutant sur un groupe MP, j’ai découvert cette phrase du Dr. Folkman de 1998 à propos des « effets d’annonce » de médicaments efficaces in vitro ou chez l’animal : « ‘if you have cancer and you are a mouse, we can take good care of you. »

Et sinon, nous avons publié un article canular dans une revue prédatrice en août 2020 : il a fait le tour du web (scientifique au moins), et son histoire est racontée ici !

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L’histoire du forgeron

« Affûter une épée… » grommela Justin. « Et où je vais trouver un forgeron dans ce trou perdu ? »

Il se résolut à demander à un paysan, le premier humain croisé depuis une demi-heure.

« Un forgeron ? Il y en avait trois avant, mais il n’en reste plus qu’un dans le coin…

— Il doit être bien occupé… Et où je peux le trouver ?

— A 2 heures de marche d’ici, à Udolwyce. Enfin… il y en a un autre à équidistance, mais je ne vous conseille pas. Pas vraiment un forgeron, si vous voulez mon avis.

— Il n’y en a vraiment pas avant ? Plus proche ?

— Bah non. Il n’y a rien ici : pas d’école, pas de boulangerie ; pourquoi vous voudriez qu’il y ait un forgeron ?

— C’est pas faux.

— Je sais qu’il y en a qui râlent, mais ils veulent quoi ? Il manque de forgeron partout de toute façon… Dites-lui que vous venez de ma part. Oh, s’empressa d’ajouter le paysan, il ne vous fera pas de prix, mais au moins il saura que je suis encore en vie. C’est toujours bon de faire passer des nouvelles.

Justin poursuivit sa route vers le nord, et finit par arriver à Udolwyce au tomber du jour. Il repéra rapidement la forge, illuminée par sa fournaise. Même sans la lumière vive, il aurait pu se guider aux bruits répétés et puissants de coups portés sur le fer rougi et l’enclume.

« Bonsoir, lança Justin, suffisamment fort pour couvrir les bruits du marteau.

— ‘soir, répéta le forgeron, en sueur.

Il plongea une serpe en fer incandescent dans un baquet d’eau, d’où émana un nuage de vapeur. Il retira son épais tablier de cuir, s’épongea le front et invita Justin à s’asseoir.

« Qu’est-ce qui vous amène ? Une épée à affûter ? demanda-t-il en désignant le fourreau à la ceinture du jeune homme.

— C’est ça…

Le forgeron consulta un agenda chargé, bourré de ratures.

« Je peux m’en occuper… après-demain, ça ira ?

— C’est-à-dire que c’est pressant.

— Ca l’est toujours. Demain matin, je ferre les animaux ; l’après-midi, j’ai un soc de charrue et trois haches. Période des bûcherons… Demain soir, sinon, mais ça va être tendu. Je préfère prendre mon temps…

— Aheumm… fit une voix derrière Justin.

Un jeune homme venait d’entrer. Il avait le teint suffisamment cireux pour donner envie d’allumer ses mèches.

« Excuse-moi du dérangement.

— Entre, Harry. Qu’est-ce qui t’amène ?

— Eh bien hier, je n’ai pas pu me rendre au travail parce que mon cheval était malade. Comme c’est toi qui l’a ferré le mois dernier, mon patron veut que tu fournisses un certificat pour justifier mon absence.

— Je n’étais pas témoin qu’il était malade.

— Oui, bah, il l’était. Comme c’est toi qui le suis, le patron veut que tu signes un papier pour dire qu’il était malade, tu sais.

— Oui, je vois.

— Et dans la foulée, si tu peux aussi faire un certificat pour l’assurance ; ils veulent savoir si mon cheval est bien ferré et s’il peut circuler…

— Bon… et il va mieux ton cheval ?

— Oui, en pleine forme. Il est dehors.

— Je vois. Tiens, voilà pour toi…

Il replia ses deux lettres, et les glissa dans une enveloppe qu’il scella. Le jeune homme partit.

« Alors, où en étions-nous ? Ah oui, demain soir, pour votre épée éventuellement, si ça urge…

— Non, mais ça ira pour après-demain… je ne suis pas si pressé ! Et je vois que vous êtes particulièrement demandé.

— Ah ça… Depuis que mes deux confrères sont partis, je suis le seul forgeron et maréchal-ferrant à 20 kilomètres à la ronde.

— Ah oui, quand même ! Mais ça n’est pas une bonne situation, ça, forgeron ?

— Ecoutez, moi si je devais résumer ma situation, aujourd’hui avec vous, je dirais que c’est d’abord des rencontres, des gens qui me demandent de forger, réparer, affûter, travailler sur leurs outils. Aucune commande ne se ressemble, j’ai la chance de faire un métier varié et qui me permet de bien gagner ma vie. En plus, de nos jours, tout le monde a une assurance ferronnerie, ce qui fait que la plupart du temps, mes clients ne paient rien ou sont presque intégralement remboursés.

— Mais alors, comment ça se fait que vous soyez si peu nombreux ? Les gens ne veulent pas venir travailler dans cette fournaise peut-être ?

— Oh si, vous pensez ! C’est juste que le Grand Maître des Forgerons régule depuis très longtemps le nombre de forgerons formés : sur 100 débutant une formation, seulement 14 travailleront le fer : 7 deviendront des forgerons comme moi, et 7 autres seront maréchal-ferrant, réparateurs d’urgence, ferronniers d’art intérieur ou extérieur, par exemple.

— Mais… tous les autres ?

— Bah ils font autre chose de leur vie. Il n’y a pas que le fer dans la vie. La sélection permet de ne garder que l’élite pour les 6 ans de formation : ceux qui connaissent la densité du fer à température ambiante, le prix du charbon au kilo, et ce genre de questions très pointues.

— Je vois… C’est dommage qu’ils n’aient pas simplement augmenté le nombre de formés plus tôt, finalement.

— Le Grand Maître des Forgerons ne voit pas très loin. La cataracte, je crois. Il a supprimé ce seuil récemment, mais comme il y a pénurie de formateurs, ça ne va pas changer grand-chose au problème. Ce n’est pas demain la veille qu’il y aura davantage de forgerons au village… Ca va s’arranger d’ici 15-20 ans. En attendant, on va se serrer le tablier !

— Je vois… Ca doit être compliqué d’être seul… Vous ne devez pas avoir beaucoup de temps pour vous !

— Je passe beaucoup de temps à la forge, c’est vrai. Ce qui m’ennuie c’est que je ne fais quasiment plus que des réparations… Je ne forge quasiment plus de nouveaux outils, alors les gens achètent parfois de la camelote à des marchands itinérants, que je passe mon temps à réparer… c’est un cercle vicieux. Et c’est pas avec leur assistant à la noix que ça va s’arranger, ah !

— Quels assist… commença Justin.

— Ah oui, vous ne savez pas ce que le Grand Maître des Forgerons a proposé ! le coupa le forgeron. Il veut me fournir gratuitement un assistant !

— C’est une bonne nouvelle ! Vous allez pouvoir vous remettre à forger !

— Non. Parce que cet assistant, il n’est pas là pour ça. Il est là pour que j’augmente le rythme : plus de réparation, toujours plus ! Au lieu de réparer 20 outils en 10 heures, l’assistant s’occupera des commandes, de préparer le matériel… et d’après le Grand Maître, d’ici deux ans, je pourrais réparer 30 outils en 10 heures, ce qui me permettra de financer moi-même cet assistant.

— Attendez, le Grand Maître qui régule les forgerons à la baisse dit qu’il faut que vous augmentiez votre cadence ? Mais c’est complètement stupide ! A ce rythme, dans 2 ans, vous serez complètement épuisé !

— Oui. Je ne suis pas contre un assistant, moi. Mais un assistant pour m’aider à augmenter la qualité de mes outils et de mes réparations ; au lieu de réparer 5 fois le même outil par an, je pourrais le réparer 2 ou 3 fois. Ca me permettrait de rester à 20 outils sur 10 heures, mais de voir défiler plus de personnes différentes.

— Et ils ont beaucoup d’idées comme ça ?

— Du même style ? Mais ils en pondent tous les jours ! Ils m’épuisent, tellement ils fourmillent d’idées ! Tenez, il n’y a pas longtemps, il y a un officier du Grand Maître qui a proposé que les réparateurs d’urgence gagnent 60 écus pour renvoyer vers les forgerons une réparation qu’ils jugent non urgente.

— Mais… vous ne croulez pas déjà sous le travail ?

— Ah non, mais je vous ai prévenu, ils ont des idées qui fument tellement qu’il y a des pompiers qui commencent à s’inquiéter. C’est le même officier qui proposait que les forgeons travaillent tous jusqu’à 22 heures pour s’occuper des réparations trop urgentes pour attendre le lendemain mais pas assez urgentes pour concerner les réparateurs d’urgence.

— Laissez-moi deviner : cet officier qui veut réguler les forgerons, il ne serait pas réparateur d’urgence ?

— Tout juste. Ils ne comprennent pas que nos plages horaires et notre rythme sont corrects, et que ce qu’il faut c’est éviter les réparations en amont, éduquer les gens sur l’utilisation correcte de leurs outils, arrêter d’avoir des patrons qui veulent un certificat pour une journée d’absence justifiée par l’employé, ce genre de choses… Qu’est-ce que vous voulez que j’en sache si son cheval à Harry était malade hier ? Je signe le papier, je perds du temps, il perd du temps, son assurance perd du temps.

— Tout ça est stupide… Quand je pense que ça pourrait être arrangé par le Grand Maître des Forgerons, qui est lui-même responsable de la pénurie de forgerons par sa régulation à la baisse. Ils avaient peur que les gens sur-consomment des outils en fer s’il y avait trop de forgeron ?

— Oui, c’est ça. Enfin c’était son prédécesseur… Ils ne l’avoueront jamais de toute façon. Il n’y aura jamais d’excuses pour des gestions douteuses ; ça sera toujours la faute des réparateurs d’urgence trop peu nombreux, des forgerons qui ne travaillent pas assez. C’est dommage, parce que globalement, tout le monde bosse bien. On fait tous ce qu’on peut pour proposer des services de qual…

— Je peux entrer ? tonna une voix.

Justin sursauta. Un homme trapu et barbu s’avança ; il sentait un mélange de fleurs et de cannelle, ce qui collait autant à sa physionomie qu’une mousse au chocolat sur un saumon fumé.

« ‘Soir.

— Bonsoir, répondit Justin.

— Tu viens chercher le baquet ?

— Comme d’habitude.

— Sers-toi, je viens de finir.

— A demain.

L’homme trapu transvida le baquet dans une sorte de grand vase, qu’il jeta sur son dos.

« C’est un ferroméonier… dit le forgeron lorsque son collègue s’éloigna.

— C’est quoi ?

— Un maréchal-ferrant qui vient chaque soir. Il récupère l’eau du baquet qui a servi à refroidir les fers, et il la revend… il prétend à tout le monde que ça remplace de vrais fers, et que ça présente même l’avantage de ne pas avoir de sensations désagréables lorsqu’on se promène, ce genre de choses.

— Attendez, je ne comprends pas : il met de l’eau sous les sabots des chevaux et dit que ça fait la même chose que des fers ?

— Oui. Et il est remboursé par l’assurance ferronnerie.

— Mais c’est une escro… !

— CHUT ! s’exclama le forgeron. Taisez-vous, malheureux ! Vous voulez qu’il me traîne devant la guilde ?

— Comment ça ? Vous n’allez quand même pas vous laisser faire par ce charlat…

— Mais taisez-vous ! Taisez-vous !

Le forgeron se leva brutalement pour vérifier que personne n’était à proximité.

« La guilde ne va quand même vous coller un procès au train pour dénoncer ce type, alors que vous êtes en sous-effectif !

— Ils n’ont pas le choix. C’est la règle : on ne peut pas critiquer un autre forgeron… C’est dans la charte.

— Mais il en pense quoi, le Grand Maître, qu’il y ait des forgerons qui se destinent à une telle escr… escapade sur les chemins de l’absurdité ?

— Il dit qu’il est incroyablement rationnel, mais que ça ne fait pas de mal alors ça va. Avant d’arrêter le remboursement par l’assurance ferronnerie, il dit qu’il faut attendre que les Grands Chimistes du fer disent si oui ou non l’eau du baquet peut remplacer les fers à chevaux.

— Grand suspens…

— Je vous serais obligeant de ne pas être désobligeant, dit à voix haute le forgeron, au cas où quelqu’un écouterait la conversation. Bon… je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça. La fin de journée, sans doute. J’ai toujours une phase de sidération après avoir travaillé mes 20 outils…

— Je connais ça aussi.

— Bon, je vous laisse, j’ai une réunion avec mes collègues, pour le CPTF.

— C’est quoi ça ? Et quels collègues ?

— Tous ceux qui travaillent autour de la ferronnerie et des métaux de façon générale. C’est la communauté professionnelle territoriale de ferronnerie.

— Ca va vous aider à mieux vous occuper des outils ça ?

— Bah non. Ca va me donner de nouvelles réunions, de nouveaux dossiers à remplir pour avoir des financements pour accomplir de nouvelles missions autour de la ferronnerie et du fer, et embaucher un chargé de projet en ferronnerie. Enfin, je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça… revenez après-demain pour votre épée.

— Si vous n’en avez pas eu marre avant.

— Oh non. Non, bien sûr que non. J’aime bien forger. Rien ne m’obligera à faire autre chose ou à faire différemment.

Justin regarda le forgeron s’éloigner. Il ne comprenait pas bien où voulait en venir le Grand Maître : pourquoi  donner de nouvelles missions à des forgerons déjà chargés ? Est-ce que cela allait vraiment permettre aux gens vivant dans les villages les plus reculés d’avoir un accès à un forgeron ? Ouvrir jusqu’à 22 heures donnerait-il la possibilité à ceux venant de très loin d’arriver à la forge avant sa fermeture ? Quel était le sens de tout ça ?

Ce pays était décidément bien mystérieux.

Fin de l’histoire.

Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Dans un autre genre, vous pourrez découvrir pendant 5 jours à partir d’aujourd’hui un nouvel épisode de la saison 3 d’Et la Terre éclata… co-scénarisé avec François TJP (qui est aussi le réalisateur, webmaster…) C’est sur http://boum.studiotjp.com/ 😉

 

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