Faites médecine qu’ils disaient (5/??) – Ca commence !

UNE FOIS !

DEUX FOIS !

Trois fois, quatre fois, cinq fois, six fois… Cette fois, je sens bien qu’tu m’l’as mise touloutoutou, ce n’est plus ton p’tit doigt qui m’chatouilleeeuh, je sens ton nombril contre le mieeeeeen… et la chaleur de tes grosses cSTOOOO…

— …OOOP !

Quoi ? Pourquoi tu t’incrustes dans ma mémoire comme ça ?

— Mais qu’est-ce qui te prend à être aussi vulgaire, t’es devenu maboul ?

Mais non ! J’ai dit que j’allais commencer à raconter ma P1.

— J’vois pas le rapport…

Ben justement, tu devrais. Ça, c’est une des chansons du patrimoine : une paillarde qu’on chantait tous les jours, une à plusieurs fois par jour, tous ensemble en amphi 2 (celui du prof) en tapant sur les tables et le sol… Enfin, quand je dis « on », c’est surtout les carrés (ceux qui ont redoublé la première année), parce qu’il m’a bien fallu 4 mois avant de comprendre et enregistrer les paroles… Tiens, si tu veux te rappeler à ces souvenirs, il y a plusieurs vidéos sur DailyMotion, qui ont été prises à Lille…

 

— Mon Dieu… Vous n’aviez que ça à faire ?

Oh non, bien sûr que non ! Il fallait aussi sprinter pour avoir une place, comme j’ai déjà raconté… Et plier des avions en papier, réclamer sur « la balade des gens heureux » qu’un bizuth (ceux qui n’ont pas — encore — redoublé la première année) nous montre ses fesses en bas de l’amphi… (« bizuuuuuuth, tu nous délaisseuh, ça fait longtemps qu’on les a pas vus… Allez bizuth, montre-nous tes fesseuuuh, allez bizuth, montre-nous ton cul ! Et mêmeuuh, si elles sont laideeuuuh, et même si elles sont poilues… allez bizuth, montre-nous tes fesseuuh, allez bizuth, montre-nous ton cul ! Alleeeeeeeeeeeeez ! »)

— Face à 600 personnes ?

Ca dépend si on comptabilise les 600 autres étudiants qui en profitaient par retransmission sur écran géant…

— Ah oui, quand même… T’as participé ?

Pas à l’exposition de fesses, mais les chants et tout le reste, oui, très certainement. Enfin, au début de la première année, j’étais plutôt dans l’amphi vidéo, où il y a moins de folklore… mais (beaucoup) plus de problèmes techniques. J’ai fini par faire mon possible pour aller en amphi prof ensuite, pour le cours et… ce folklore. C’était tellement plus amusant ! Parfois, on simulait une partie de tennis avec des bruits de bouche…

— Je vois…

Raconté comme ça, ce n’est pas très drôle. Mais il y avait énormément de jeux, et je résiste pas à l’envie de te les énumérer :

  • imiter la vieille introduction de Canal plus (« Cinémaaaaaaaa Tchi tcha ») à chaque allumage de la vidéo,
  • crier un charmant MORUUUUUUUE au passage d’une fille en bas de l’amphi,
  • siffler McGyver lorsqu’un problème technique imposait la venue du technicien (ou simplement lorsqu’il essuyait le tableau démesuré) — un type très sympa, n’hésitant pas à filmer les « bêtises » des P1 pour en faire profiter tous les amphis !
  • chanter un hymne à l’arrivée de chaque prof après un rituel (« Le voilààààààààà ! Qui ça ? *nom du prof* *hymne*),
  • siffler des SSSSSsssssssss de sélection à chaque évocation des termes « concours » ou « sélection » ou « QCM » ou « question » ou « points »,
  • proposer des relations sodomites à base de carambars aux bizuths,
  • dire « suuuuuuuce » à chaque occurrence du mot « processus »,si fréquent en anatomie
  • nommer certains profs à l’évocation des mots « pustules », « moche », « gribouille », ou « gras »,
  • émettre divers cris orgasmiques lors du cours de Philippe Charlier (alias @doctroptard), qui savait s’en amuser…
  • etc.

— Ah oui, effectivement, ça occupe. Et c’est tout ce qui te reste du P1, le folklore ?

T’es fou ?! Le P1, ça a été des milliers de choses. C’est l’année où j’ai quitté ma ville, pour vivre ailleurs. J’avais une télé avec 5 chaînes hertziennes (2 de plus que chez moi…)

Je rentrais à Lille tous les dimanches soirs par l’un des derniers trains, avec deux-trois amis ou seul parfois… Je regardais souvent la chronique de Guy Carlier chez Marc-Olivier Fogiel, en repliant mon linge (lavé et repassé), et en rangeant mes tupperwares-fermés-dans-des-sacs-congélation-préparés-par-mes-parents-l’heure-avant-le-départ (et contenant toujours des repas « juste à réchauffer » pour le lundi et/ou mardi)… Evidemment, parti à seulement 17 ans dans la Grââââânde Ville ! Enfin, je ne vais pas non plus me diaboliser : je refusais l’idée d’être ainsi pourri-gâté, mais acceptais l’aide qu’il leur faisait plaisir de m’apporter… N’empêche qu’avec ces conneries, j’ai bien dû prendre 5 à 10 kg en P1 >< (et ce n’est pas le sport obligatoire qui m’a aidé —  je faisais de la muscu le lundi midi, c’était le plus proche, et le seul truc qui restait quand je me suis inscrit…)

J’allais à pied à la faculté le lundi matin, mardi après-midi, mercredi-après-midi, jeudi matin et pour les ED sur les trois premières demi-journées. J’ai perdu mes amis dans la foule la première année ; je les retrouvais occasionnellement… G., N., A… et puis M., E., et les autres. L’inutile tutorat m’a permis uniquement de faire connaissance avec Luise, une étudiante allemande ; c’est avec cette nouvelle amie que j’ai passé le plus de temps cette année-là, avant qu’elle ne reparte outre-Rhin.

Les demi-journées libres, je restais la plupart du temps assis ou allongé dans mon lit avec mes cours pris de façon infâme, avec des noms qui ne ressemblaient à rien…

— Comme par exemple ?

Le sterno-cléido-mastoïdien, qu’on te cite à la 2ème heure de cours d’anatomie, ou le processus (Suuuuuuuuuce) xiphoïde… Pas mal d’orthographe que j’ai dû vérifier au fur et à mesure ; mais sur mes cours initiaux, ça les rendait incompréhensibles. Les deux premières semaines sont décisives (2 semaines de 30-40 heures), puisqu’on travaille à longueur de journée sans temps libre pour réviser. Par la suite, on a des semaines de 16h (13h au deuxième quadrimestre) ; pas au début. Du coup, on ne travaille vraiment les premiers cours qu’à partir de la troisième semaine, et les orthographes approximatives, les dessins ratés… tout ça rend l’apprentissage d’autant plus difficile. Bien sûr, les profs sont au courant, mais certains s’en fichent (un peu) : sur 2000 étudiants, 360 doivent être sélectionnés, dont ça ne sert pas vraiment d’être didactique (sans généraliser, il y a des profs qui savaient débuter l’année de façon un peu plus douce — bien que ça reste toujours un choc brutal au lendemain du lycée, si « scolaire » !)

Après les deux premières semaines, on a 16 heures seulement (+ 2 de sport + 3-4 d’ED…), puis 13h au deuxième quadrimestre après janvier.

Seize heures par semaine de cours, c’est peu, mais le reste du temps je tentais d’apprendre, de réactiver ces puissants mécanismes d’apprentissage par cœur que j’avais préservé de la primaire à la quatrième (ouais, quand même, je vous ai dit que mère ne rigolait pas avec l’école !) Mais il y avait beaucoup trop de choses à savoir, avec tellement peu d’intérêt — la taille du noyau d’un virus, les réactions chimiques, la formule biochimique du fructose, la place en 3D de l’artère fémorale par rapport à tout le reste, des lois de bioéthique… J’ai recherché de nouveaux moyens d’apprendre : recopiage, fiches résumés, mindmap, répétition… J’ai lu notamment qu’on ne pouvait pas travailler plus de 45 minutes sans faire de pause, alors peu à peu j’ai extrapolé et travaillé 5 minutes toutes les heures… C’était long, chiant, pénible.

J’ai fini par céder et à certains moments, je travaillais en regardant (dans l’ordre) Detective Conan sur France 3, On a tout essayé sur France 2, 20h10 pétantes sur Canal +, les Guignols, et le film du soir à 20h50… des trucs que je ne regardais absolument pas/plus en dehors de Lille (sauf le film…) Ca et puis les journaux gratuits : en arrivant à Lille, j’ai découvert la lecture matinale du journal (20 minutes, Lille Plus et Metro). J’ai remplacé par Twitter depuis — jusqu’à la prochaine évolution… Je faisais aussi les mots croisés entre les cours ou parfois lors d’un cours de sciences humaines et sociales particulièrement pénible — comme celui d’éthique qui n’était qu’une longue dictée d’une heure… J’ai succombé à la mode des Sudokus en 2004-2006, qui m’ont occupé plusieurs heures de biostatistiques notamment…

— C’est pas très sympa, ça, pour ceux qui croyaient que tu bossais… Tes parents qui ont investi dans tes polys, ton inscription, ton logement, tes repas, tes…

Ah, et tu crois que je ne culpabilisais pas ? J’ai passé mon année à détester ma façon de non-bosser, mais il y a des moments où je ne savais plus comment faire. Avec le recul, j’aurais dû peut-être faire les QCMs plus tôt. J’en sais rien. C’est tellement particulier, le P1…

Le jeudi midi, après le cours, je filais à la gare pour le train de 12h49. Il y avait grève toutes les une à deux semaines les jeudis midis à l’époque… Je les ai tant détestés cette année-là !

J’ai passé la plupart de mes vendredis en famille, j’ai présenté des concerts d’harmonie pour la première fois début janvier — je n’ai jamais arrêté la musique depuis mes 6 ans 1/2 —, j’ai écrit une nouvelle pour le concours du CROUS (mon premier concours) à partir du 22 décembre, quand tout le monde nous incitait à réviser à fond… et ce, malgré mes résultats relativement médiocres au concours blanc mi-décembre (8.9/20…) ! En même temps, faut voir aussi les questions qu’on nous posait…

Les sciences humaines et sociales, une correction juste et équitable pour tous les étudiants. Aucun hasard toléré.

Les sciences humaines et sociales, une correction juste et équitable pour tous les étudiants. Aucun hasard toléré.

Je ne ressentais aucun stress avant les partiels, début janvier… L’attente des résultats a été moins plaisante. Et ce qui devait arriver arriva, la dernière semaine de février, nous nous sommes regroupés devant l’accueil de la faculté en mode « ticket de rationnemment post-guerre », et après avoir fait la queue pendant un bon quart d’heure avec deux amies de lycée, j’ai eu mon enveloppe qui m’annonçait ma lettre : F. Mes amies ont eu E et G ; Luise a eu G aussi, et elle savait donc qu’elle ne ferait pas de deuxième année à Lille.

F, ça veut dire l’intervalle 8-10/20, et il était pour beaucoup induit par les Sciences Humaines et Sociales… en calculant en fonction des autres intervalles (on avait une lettre pour toutes les disciplines et leur coefficient), j’avais réussi à déterminer que ma note était entre 9.2 et 9.9. Pour atteindre 11.2-11.5/20 (les précédentes années, c’était un seuil stable pour avoir médecine), il me fallait donc un C au deuxième quadrimestre (14-16…) Je commençais déjà à imaginer ce que je ferais après, pendant les vacances à partir de mai : écrire, aller au cinéma, lire… Il fallait que je réussisse, et je savais que je pouvais le faire !

En mars, j’ai fini d’écrire et envoyé ma nouvelle (que vous pouvez retrouver dans la page des nouvelles d’ailleurs). J’ai arrêté d’écrire mon « journal intime » que j’avais débuté entre décembre et mars. Et j’ai bûché plus fort, plus sérieusement. A partir de la première semaine d’avril (après les cours), j’ai passé des semaines entières et des week-ends chez mon beau-père, à la campagne, à apprendre, réviser, faire et refaire les QCMs. 4 semaines au calme, avec un programme déprimant que j’ai tenu. Je maîtrisais peu à peu la biophysique — matière la plus importante — au point d’envisager assez sereinement d’y décrocher un 50/60, ma note minimale à toutes les annales lors de ma première tentative… Je savais que j’avais bien fait de faire partie des 10-20% des étudiants qui allaient encore et toujours aux ED au deuxième quad, parce que ça avait contribué à bien me faire comprendre tous les pièges de biophysique. Avec 50/60 et les 12/20 que je récoltais dans toutes les autres matières dans les annales, j’allais pouvoir réaliser l’exploit de remonter un F.

La biophysique ça fait mal : chaque question réussie apporte 1 point, chaque échec fait perdre 0.25 point… (pour éviter de répondre partout pareil et avoir des points de chance, vu que ce sont des questions fermées – 5 possibilités de réponse par question, contrairement aux autres disciplines où il y a 31 possibilités de réponse sur les 5 items du QCM.) En gros, soit on est bon et on tape dans du 50, soit on est moyen et on chute direct à 30, soit on est mauvais et on frôle le 0. C’est pour ça qu’elle permettait de faire la différence… normalement !

Mais cette année-là, les 30 premières questions de biophysiques étaient basées sur la conversion entre deux systèmes d’unités, qui étaient vaguement cités dans les premiers cours. Tout le monde s’est croûté. Il y a eu très peu de bonnes notes, on était tous dans les 20-40. Moins de discrimination sur la matière qui devait me porter au sommet…

Plus tard, avec les notes finales, j’ai appris que j’avais eu 9.9 au premier quad… et ces 20 points m’auraient permis, comme je l’avais (bien) calculé d’obtenir un classement suffisant pour passer la première année.

Quand je suis rentré chez moi en train, avec un ami, nous avons corrigé le sujet (avec nos cours à côté de nous). Nous avons estimé nos notes. Je savais que j’avais 30/60. J’ai appelé mes parents pour leur demander de me récupérer à la gare, et leur ai annoncé que je n’aurais pas mon année… Quand ils m’ont récupéré, j’ai vu que ma mère avait pleuré.

Cette année-là, j’ai appris que je pouvais échouer.

Résultats de P1 (1er juillet 2005) — Numérus clausus médecine : 360 - odontologie : 70 - sages-Femmes : 39

Résultats de P1 (1er juillet 2005), sur 2000-2200 étudiants environ (Numérus clausus médecine : 360 – odontologie : 70 – sages-Femmes : 39). Physique, biochimie, biologie, SHS sur 60, histologie sur 40, statistiques sur 20, anatomie sur 60…

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