Y’a-t-il assez de généralistes pour former des généralistes ?

Clairement, non. Mais on va détailler, surtout dans un contexte d’ajout d’une année de formation (DES à 4 ans au lieu de 3 ans). J’ai déjà exposé à plusieurs reprises ici mon avis sur la 4ème année de médecine générale, notamment sur ce billet-ci en 2016, ce billet-là en 2019 ou encore dans celui d’hier. Pour faire un résumé rapide de ces 3 billets sur mon avis personnel :

  • Le DES en 4 ans ça a été un projet de 2008 à 2023 ;
  • Les enseignants ont toujours été pour ; les internes ont toujours été contre dans les sondages (leur intersyndicale INSNAR étaient plutôt pour) ;
  • Les politiques ont vu ça comme une opportunité d’avoir des internes « dans les territoires » en priorité (l’avis contraire des étudiants ou enseignants ne les ayant pas empêché d’adopter ça au Sénat en octobre 2022) ;
  • La 4ème année de DES de médecine générale a quand même été adoptée avec l’article 49.3 en décembre 2022, ce qui est une belle preuve du mépris de ce gouvernement pour les internes de médecine générale (en grève ponctuellement pendant les 2 mois qui ont précédé) ;
  • L’argument principal était d’avoir une aussi longue durée que les autres DES (discuter la quantité sans questionner la qualité…) ;
  • Un autre argument est d’espérer que ça incitera à l’installation : pourtant les enquêtes sur les déterminants à l’installation sur 15 000 jeunes médecins ne retrouvent pas « il me manquait une année », ce sont les conditions de vie qui guident surtout l’installation (famille, infrastructures, rythme de travail, environnement…)
  • Enfin, à ma connaissance, rien n’est prévu pour évaluer. Sur les 15 ans de discussion, on parle d’un « niveau de compétence non atteint », d’internes qui « ne s’installent pas à cause d’une situation professionnalisante insuffisamment longue »… sans préciser combien actuellement, combien sont attendus après. S’il n’y a pas d’objectif préalable, comment juger de l’efficacité de la mesure a posteriori ? Peut-on ajouter une année à 3 500 internes, qui vont chacun « perdre » environ 30 000€ par an (à la louche, entre un salaire d’interne et un salaire d’un an d’exercice), pour un profit qui reste assez hypothétique ?

Que veulent les internes ?

Globalement, si on écoute les internes (un choix disruptif), leurs demandes sont :

  • + de cours sur la prise en charge médicale en médecine générale
  • + de cours sur la gestion du cabinet
  • + de cours sur la prise en charge sociale en médecine générale
  • – de traces d’apprentissage (journal de bord, RSCA, etc.)

C’est le cas à Paris en décembre 2021 par exemple.

A Lyon, en 2019, l’apprentissage par compétence était jugé trop abstrait (80 %), trop rigide et scolaire (79 %), en décalage avec la pratique courante (63 %) ; ils étaient 82 % à souhaiter plus de cours théoriques et 80 % à souhaiter des cours en ligne (MOOC ou autre).

Concrètement, dans les études (thèses) qui ont été menées sur l’évaluation du modèle pédagogique en médecine générale, les étudiants sont majoritairement en désaccord avec ce qui est proposé (cf. par exemple cette partie « discussion » de la thèse de 2016 de Céline Lajzerowicz en Aquitaine).

Qu’est-ce qui peut expliquer ce « désamour » pour le modèle pédagogique de médecine générale ?

Une des raisons souvent évoquée est le « changement de paradigme » où pendant l’externat il y aurait des « cours descendants » (magistraux), et le fait que les internes n’aimeraient pas passer à des « cours horizontaux » (groupes d’échanges de pratiques) où l’enseignement est en fait un animateur, face à des internes qui apprendraient ici à s’auto-former, et faire preuve de réflexivité pour continuer à s’améliorer ensuite toute leur carrière durant.

Sauf qu’en fait, l’externat c’est quelques ED et surtout des énormes bouquins à s’enfiler tout seul après le stage, le soir et le week-end. En arrivant en internat de médecine générale, on fait déjà beaucoup d’autoformation et on fait ce qu’on peut pour s’améliorer.

Un problème à mon sens est surtout que les enseignants de médecine générale n’ont pas vraiment le choix… Les « traces d’apprentissage », les « récits de situation cliniques authentiques » ça permet de plus ou moins évaluer massivement des centaines d’étudiants par quelques enseignants, qui peuvent le faire soir et week-end. Les groupes d’échange de pratique, ça permet d’assurer beaucoup d’heures d’enseignement sans nécessité d’une (inatteignable) expertise sur tous les sujets. Bref, outre l’intérêt pour le modèle pédagogique proposé, il ne faut probablement pas perdre de vue qu’il a probablement aussi été déployé et maintenu par manque de moyens.

Autrement dit, si nous avions 6 fois plus d’enseignants en médecine générale dans chaque faculté, est-ce qu’on resterait sur le modèle des GEP et traces d’apprentissage, ou est-ce qu’on chercherait davantage à répondre aux attentes des internes, au moins en parallèle ? (A mon avis, il y aurait plus de cours dispensés en 1er et 2ème cycle par des enseignants de médecine générale, qui seraient remis à disposition des internes par exemple ; et j’imagine qu’il y aurait bien plus de facilité pour proposer des formations facultatives — ce qui est peu envisageable avec les effectifs actuels).

Rappelons ici qu’une des motivations à avoir un DES en 4 ans est l’idée qu’après 3 ans d’internat, le « niveau de compétences » des internes serait insuffisant (sur la base d’une évaluation que j’ignore). Ce niveau sera-t-il suffisant après une quatrième année, avec le même modèle pédagogique ?

Mais est-ce que nous avons assez d’enseignants actuellement ?

En médecine générale, nous avions en 2020 un ratio de 320 enseignants / 9500 internes (soit 30 internes par enseignant) :

  • 3177 internes x 3 promos, soit 9500 internes (et bientôt 3000 de plus donc)
  • 139 professeurs (47 PU et 92 associés)
  • 181 maîtres de conférence (44 MCU et 137 associés)

Prenons un exemple avec une autre discipline (en fait 2 spécialités) ayant un nombre proche : la radiologie et médecine nucléaire, qui a un ratio de 310 enseignants / 1400 internes (soit 4,5 internes par enseignant titulaire)

Notons ici que le statut d’associé est différent, car non titulaire, avec nomination pour 3 ans renouvelable 2 fois (9 ans pour chaque statut). Les associés sont indispensables pour faire tourner les départements de médecine générale (et il en manque) mais leur statut est plus précaire pour construire une filière universitaire sur du long terme. Comme le disait l’état des lieux du CNGE 2011 : « Le statut d’enseignant associé existait dans l’université et était souvent destiné à rémunérer des enseignants exerçant des fonctions d enseignement temporaires, par exemple des enseignants étrangers recrutés pour leurs compétences spécifiques. Ce statut a été utilisé pour permettre aux enseignants de médecine générale, dont le travail était essentiel pour structurer surtout le 3ème cycle de médecine générale, d’avoir un poste et une rémunération universitaires. »

En « universitaire », on est à 91 PU/MCU contre 310 en radiologie/médecine nucléaire, pour 6,8 fois plus d’internes à encadrer. (Et je n’ai rien contre les spécialités choisies, c’est juste parce que c’était à peu près le même nombre d’enseignants au total… c’est pareil ailleurs).

Et la ministre a annoncé (en grande pompe) que le ratio ne changerait pas pendant 5 ans…

La ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a annoncé en clôture du 40ème congrès du Collège National des Généralistes Enseignants, à Lyon la semaine dernière, un plan de recrutement dans le cadre de l’ajout de la 4ème année de médecine :

  • « de nouveaux moyens dans les services administratifs pour le suivi des internes de médecine générale« ,
  • et « la création de plus de 200 postes d’enseignants-chercheurs en médecine générale, universitaires et associés, sur les 5 années à venir« .

Faisons un rapide calcul :

  • A partir de la promo 2023, l’internat de MG passe de 3 ans à 4 ans (x 1,33 étudiants).
  • D’ici 5 ans, on passera de 550 enseignants actuellement à 750 enseignants (x 1,36 enseignants)

Sylvie Retailleau a donc annoncé que le ratio enseignants / étudiants ne bougera pas… voire sera pire entre 2026 et 2028, avant de retrouver son médiocre niveau actuel à 5 ans ! C’est une stagnation des effectifs qui relève purement et simplement du foutage de gueule pour la discipline.

Et encore, non seulement de façon générale, cette annonce est déjà très insuffisante (voire daubée) mais en plus, le diable est dans les détails :

  • est-ce qu’il a été donné un détail dans les PU, MCU, PA, MCA, CCU et AUMG ? Parce qu’on peut augmenter les postes de CCU/AUMG sans augmenter les postes plus pérennes de maîtres de conférence et professeurs, perturbant toute perspective de développement de la filière universitaire de médecine générale pour encore quelques décennies en France ;
  • elle est restée floue sur l’augmentation prévue « dans les services administratifs » où là aussi, il faut logiquement faire + 33 % pour simplement conserver le niveau actuel

Voilà. Quand vous lirez « 200 postes pour la médecine générale universitaire », rappelez-vous qu’on a le pire ratio enseignants / internes toute spécialité confondue, et que le gouvernement a juste annoncé que ça ne changerait pas avant 2028

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