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Comment améliorer sa ROSP en toute malhonnêteté ?

Depuis 2011, certains médecins (généralistes, gastro-entérologues, cardiologues, bientôt endocrinologues…) bénéficient d’une Rémunération sur Objectifs de Santé Publique, versée une fois par an par la sécurité sociale [1]. Il existe deux types d’indicateurs :

  • organisation du cabinet (avoir un logiciel pour les prescriptions, faire de la télétransmission, indiquer ses horaires sur le site Ameli…)
  • qualité de pratique médicale, pondéré par le nombre de patients nous ayant déclaré comme médecin traitant (en gros si vous faites tout bien avec 120 patients, vous aurez sans doute moins que si vous êtes moyen avec 1200 patients).

Pour l’organisation, c’est très bien, et ça permet de participer au paiement de nos outils de travail.
Pour la qualité des soins, sur le papier, « valoriser les bonnes pratiques », c’est plutôt positif. Me filer 1700€ en 2016 et 3000€ en 2017, franchement j’étais favorable à cette excellente initiative (évidemment on n’oublie pas que c’est du « super-brut de patron », que 40 % repartiront un an plus tard dans les cotisations type CGS et retraite, et qu’une partie non négligeable ira aussi aux impôts sur le revenu).
Dans la foulée, je désamorce tout de suite le traditionnel « si tu critiques la ROSP, tu pouvais la refuser » par : « oui c’est gentil, mais :
1/ je crois qu’on ne peut plus une fois acceptée,
2/ si je n’ai pas à me plaindre du tout de ma situation, je ne prends pas encore de bains de louis d’or – mon objectif de vie, ça va sans dire, et
3/ on m’a appris à ne jamais cracher sur 3000€ pour un document à remplir ».

Mais allons plus loin encore. Avant d’accepter, on peut se poser 3 questions :

  • est-ce que la ROSP va changer quelque chose à ma pratique ? (probablement pas grand-chose… c’est d’ailleurs pour ça que je me permets de faire ce billet légèrement cynique pour creuser les effets pervers qu’on pourrait avoir, en être conscient pour mieux les éviter…) 
  • si oui, est-ce que ce changement sera délétère pour quiconque ? (probablement pas… c’est même minime à côté de petits détails du quotidien – pression à la prescription d’antibiotiques, les « pour moi il n’y a que la C3G qui fonctionne comme le disait mon précédent médecin », etc. Ceux qui en pâtiront sans doute le plus seront les comptes de la sécurité sociale, comme on verra). 
  • si oui, est-ce que ça peut être compensé par plusieurs milliers d’euros sur mon compte ? (faible effet, grands bénéfices : donc oui, clairement).

Le problème de cette ROSP, c’est que c’est un conflit d’intérêt qui peut modifier le comportement du rémunéré en favorisant des pratiques coûteuses pour la sécurité sociale… 
En 2016, fort de ce succès (?), la nouvelle convention a modifié la ROSP [2]. Ont-ils tenu compte de ce « problème » ?
Evidemment, non ! Détaillons quelques effets pervers potentiels de la ROSP…

(Note au lecteur, notamment non médecin : il s’agit d’un billet qui donne des recettes pour « améliorer sa ROSP en toute malhonnêteté ». A priori, aucun médecin sensé ne va les appliquer volontairement car ça irait à l’encontre de notre mission de soignant, que chacun met bien loin devant le fait de gagner 300 ou 400€ de plus par an… L’idée finale n’est pas de savoir « comment améliorer ses chiffres » mais « comment ça se fait qu’en suivant les recos, je me retrouve avec des résultats moins bons que je ne les suivais ». C’est juste que c’est moins vendeur et moins rigolo écrit comme ça. Et moi, j’aime bien quand c’est rigolo.)

 

Surdiagnostiquer et surtraiter

Depuis mon installation, j’ai déprescrit pas mal de metformine. Je ne comprenais pas bien pourquoi j’avais parfois des patients diabétiques de type 2, avec une HbA1c à 5-6 %, sous metformine 500 mg 1 fois par jour (par exemple). En l’arrêtant, l’hémoglobine glyquée restait peu ou prou la même et j’étais même un peu embêté avec ces patients (quel intérêt de doser une HbA1c chez un plus-vraiment diabétique). Un jour, un patient m’a glissé une piste de compréhension : « le précédent médecin (retraité) m’avait dit de pas hésiter à charger en sucre le matin de la 2ème prise de sang de contrôle après une première glycémie haute, comme ça je serais à 100 % pour les prises de sang, les médicaments, l’opthalmo… » (je rapporte les dires d’un patient, qui sont peut-être erronés…)
Premier effet pervers du forfait : ça nous incite à « créer des diabétiques » en mode Dr Knock (ne faites pas ça chez vous). 
Bref, donc, j’ai des patients non diabétiques en ALD diabète, à qui je déprescris de la metformine (et on ne peut pas annuler une ALD alors qu’on peut guérir du diabète). J’ai aussi des patients qui ont objectivement eu 2 glycémies à jeun supérieures à 1,26 g/l sans jamais « tricher », des patients qui restent à des taux d’HbA1c ne nécessitant pas d’autre traitement que le régime et même des diabétiques qui ont perdu du poids et repris une activité physique, et ne sont plus diabétiques.

Du coup… je ne suis pas très efficient car j’ai « trop peu » de « diabétiques » traités par metformine (83 %). Vous savez comment je pourrais gagner 45 points (soit 315€) et être « efficient de la prescription » ? En prescrivant de la metformine à des gens qui n’en ont pas besoin. 

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Autre exemple : l’antibiorésistance. Je me suis fendu de 3 billets sur ce blog sur l’antibiorésistance (ici, et encore ), ça n’est pas pour balancer des fluoroquinolones et des C3G comme un golem. Pourtant…

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Le calcul ici, c’est « numérateur (amoxicilline + acide clavulanique, C3G, C4G, FQ) » / « dénominateur (tout antibiotique) ». Prenons 2 situations opposées :

  • vous prescrivez peu d’antibiotiques, mais bien. Vous êtes amenés à mettre des C3G/FQ dans des situations d’infections urinaires, ou de l’amoxicilline + acide clavulanique dans des sinusites frontales (et vos patients vont voir des confrères en ville ou à l’hôpital qui leur prescrivent ces antibiotiques). Votre taux risque de dépasser les 27 % fatidiques. Comment l’améliorer : en prescrivant davantage d’amoxicilline ! 
  • … parce que si vous prescrivez de l’amoxicilline à tout ce qui a 2 jambes et 2 bras et qui franchit le seuil de votre bureau (rhino-pharyngite, angine sans faire de strepta-test, infection urinaire…), votre taux risque d’être toujours sous les 10 %. Et dans ce cas, pourquoi l’améliorer, vous êtes déjà dans les clous ! 😎

 

Surdemander les bilans biologiques, surconsulter les autres spécialistes

Revenons aux diabétiques… Je suis « suboptimal » sur ces 3 critères ci-dessous.

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Là encore, je peux jouer le bon élève de la ROSP et demander un fond d’oeil biannuel à des gens qui sont en ALD diabète, même s’ils ne sont plus diabétiques. Avec des rendez-vous à un an chez les ophtalmo (et un nombre de postes d’ophtalmo en décroissance en France d’ailleurs), je crois que ça serait une mauvaise idée pour la « santé publique ».

Un autre problème pervers se pose avec le dosage une fois dans l’année d’une TSH isolée (sans T3 ou T4). J’ai fait 3 mois de stage en endocrinologie et je suis d’une génération où on sait très bien ça. Malgré tout, je suis à 95 %, hors norme… Je sais que ça n’est possible que j’en sois responsable parce que je ne le fais jamais de demander TSH + T3, T4 sans avoir une bonne raison (i.e. une TSH anormale préalable).
Plusieurs explications donc :

  • un patient qui a eu en 2016 une TSH puis TSH, T4 de contrôle en 2017… (ça, ça peut être moi…)
  • ou un patient qui a vu quelqu’un d’autre (médecin généraliste, endocrinologue) qui a prescrit TSH, T3, T4 une seule fois dans l’année.

Mais ce qui est pervers, c’est que pour corriger ces anomalies, j’ai une possibilité très simple : dosage de TSH à tout le monde dans l’année, au moins une fois. Ca n’est pas recommandé, c’est plus délétère qu’autre chose pour le coup, mais je suis sûr de remonter vers le 100 %. En vrai, doser peu souvent des TSH est mauvais pour ma ROSP. 

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On a le même problème avec les hypnotiques et le critère « part de patients ayant initié un traitement pour une durée > 4 semaines » où il faut être bas. Si vous initiez des hypnotiques à tout le monde pour des durées courtes, vous augmentez le dénominateur, et vous « noyez » vos accrocs aux hypnotiques. Par contre, si vous ne prescrivez jamais d’hypnotique pour éviter les dépendances, vous n’avez plus que vos patients sous hypnotiques au long cours. Donc meilleure solution pour la ROSP : prescrire souvent des hypnotiques pour des courtes durées, afin de noyer ceux qui en prennent (à tord) au long cours (quitte à en faire des dépendants par la suite, qui seront corrigés par d’autres personnes mises sous hypnotiques pour des courtes durées, quitte à en faire des…). 

Et c’est là que j’arrive à mon taux incompréhensible, qui est en chute libre depuis le début d’année sans que je ne change rien à ma pratique…

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… des critères d’une fiabilité parfois douteuse 

Je ne comprends pas cette « chute » avec les hypnotiques. J’ai réussi à en arrêter quelques-uns (allelujah) mais pas tant que ça bien sûr ! Je n’ai quasiment pas primo-prescrit d’hypnotiques (5-6 fois dans l’année au max, en annonçant que ça serait une durée courte de 7 jours dans des circonstances particulières d’insomnie aiguë réactionnelle avec besoins de performance le jour, comme lors d’un deuil ou une séparation). Peut-être que ça a suffi à baisser le taux… Peut-être que mes patients se sont vu prescrire une fois des hypnotiques par d’autres confrères. Ou peut-être simplement que le calcul est foireux.

Parce que oui, il semble y avoir plusieurs défauts. Par exemple, j’ai l’impression (peut-être fausse) que les microalbuminuries demandées pour les diabétiques sont différentes des rapports protéinurie / créatininurie demandées pour les hypertendus, dans leurs critères… Ca ne me semble pas très pertinent de demander les deux examens pourtant.

Les patients « sous antihypertenseurs », ça n’est pas très clair. Les bêta-bloquants sont-ils encore considérés comme des antihypertenseurs ? Chez moi, ils sont surtout utilisés dans des tremblements idiopathiques ou en prévention secondaire ou en cas d’insuffisance cardiaque par exemple…

Et que dire des résultats ci-dessous (sans changement drastique dans mes prises en charge sur quelques mois) ? Comment puis-je être à 0 % de patients ayant 10 INR dans l’année par exemple, alors que j’étais à 50 % au premier trimestre et que je passe mon temps à rappeler des gens pour leurs INR ?


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Une ROSP favorisant les vieux installés et les « bons » environnements 

Quand vous êtes un « vieil installé », normalement vos marques sont prises, et vous avez dans votre patientèle beaucoup de « non malades » (renouvellement annuel de pilule, renouvellement annuel de certificat de sport chez des jeunes en bonne santé). Ces non-consommateurs de soins gonflent tous vos critères, c’est cool.

Quand vous êtes un « jeune installé », vous n’avez pas encore (ou très peu) de ces non-malades. Vous récupérez les gros consommateurs de soins, ceux qui sont déçus de leur précédent médecin, ceux qui sortent d’un médecin radié de l’Ordre, les jeunes qui n’avaient plus de médecins et qui sont malades pour la première fois depuis 3 ans… Votre patientèle est réellement à « créer » et ça incite à demander pas mal de « premiers » bilans biologiques par exemple, avoir plus d’arrêts de travail que la moyenne éventuellement, traiter davantage par antibiotiques proportionnellement (vous n’avez quasi que des malades !)…

Prenons un exemple concret qui me permet de révéler ma vraie nocivité.

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Je prescris trop d’antibiotiques par rapport au seuil, ou plutôt mes patients prennent trop d’antibiotiques (prescrits par moi ou un autre, exerçant dans mon département… où les patients des autres en prennent deux fois plus). Et c’est un point que j’ai cité en filigrane de tout : on parle de « patients ayant déclaré MT », et on compte tout ce qu’ils vont prendre. Donc si vous exercez dans un département où les pratiques sont « mauvaises », votre ROSP sera baissée. En même temps, si on partait uniquement des prescriptions du médecin, ça pourrait inciter à hospitaliser à tord et à travers pour « ne pas être le prescripteur du médicament qui baisse la ROSP ». Il n’y a juste pas de bonne solution, mais il faut le savoir.

Alors, je me suis interrogé sur ce taux. Hier sur 18 consultations d’hiver, j’ai mis un antibiotique local pour un impétigo et un antibiotique chez une patiente de plus de 90 ans qui fait une bronchite aiguë sur une insuffisance respiratoire chronique sous oxygène… (pour ma « défense », j’ai refusé 3 « demandes » claires d’antibiotiques, et j’ai fait 2 strepta-test négatifs). Et prescrire 0 à 2 antibiotiques pour 20-25 consultations par jour, c’est clairement ma norme.

Donc c’est étrange mais il y a plusieurs explications possibles :

  • le taux est mal fichu. On parle de 35,5 traitements par antibiotiques pour 100 patients, donc pour moi 177 boîtes (?) d’antibiotiques mis dans la nature répartis sur mes 500 patients. Si ce sont des boîtes, j’imagine que les 3 mois de cycline pour une acné sévère comptent pour 3 « traitements ». De la même façon, une monodose de fosfomycine (MONURIL) compte pour un traitement.
  • des jeunes nouveaux patients sont venus une fois cette année pour un problème aigu nécessitant un antibiotique (angine bactérienne, otite hyperalgique, sinusite bactérienne, pneumonie, infection urinaire, acné sévère, morsures d’animaux, conjonctivites à risque de complication, abcès dentaire avec refus de soins du dentiste sans antibiothérapie…) ; ils compteront l’an prochain dans mon « dénominateur » de non-consommateurs… parce que ce qui compte ici c’est le « nombre de patients MT » !

Petit point positif néanmoins : la valeur du point est majorée de 20 % pour la 1ère année d’installation, 15 % pour la deuxième année et 5 % pour la 3ème année (évidemment, ils mettent ça en place pour ma 3ème année ^^).

 

Au final, tout ceci n’est pas très grave. Mais c’est à savoir, parce que ça peut être frustrant d’essayer de bien faire les choses et d’avoir des « mauvaises notes« . Comme moi dans ce billet, vous pouvez être amenés (avec plus ou moins de bonne foi :D) à essayer d’expliquer ces contre-performances. J’insiste grossièrement sur ces termes parce que c’est un effet qu’a la ROSP sur moi : une certaine « frustration » d’avoir des mauvais résultats sur des éléments qui me tiennent à coeur (antibiorésistance, hypnotiques, etc. ; d’autres seront plus agacés d’ailleurs par les taux de vaccination anti-grippale, de mammographies, de frottis que je ne détaille pas ici car j’ai déjà été trop bavard… mais si vous voulez jeter un oeil dans les commentaires, n’hésitez pas 😉)
Je ne dois pas être le seul dans ce cas : les médecins sont des habitués des concours, des notes… mettez leur une mauvaise note, et en général, ils se poseront des questions, se remettront en question.
Il ne faut pas oublier que ces taux ne valent pas grand-chose. Ils peuvent valoriser de mauvaises pratiques, voire y inciter… J’ai donné des pistes de « mauvaise pratiques pour augmenter la ROSP » : j’espère bien évidemment que vous ne les utiliserez pas 😀 Mais ça me semble intéressant d’ouvrir la boîte pour comprendre pourquoi vous ferez peut-être moins bien sur l’antibiorésistance (selon la CPAM) que le plus gros prescripteur local d’amoxicilline, ou pourquoi le mieux reste sûrement de ne pas se « préoccuper » de sa ROSP 😉

 

[1] https://www.ameli.fr/cote-d-opale/medecin/textes-reference/convention/2011/2011-rosp

[2] http://convention2016.ameli.fr/

PS : Je n’ai pas parlé du calcul de la ROSP. Si vous voulez, c’est simple : la rémunération est égale au nombre de points (selon la grille dont j’ai extrait des morceaux ci-dessus), multiplié par le taux de réalisation pour l’indicateur (selon la formule 0,5 x (taux de suivi-taux de départ)/(objectif intermédiaire – taux de départ) ou 0,5 + 0,5 x (taux de suivi – objectif intermédiaire)/(objectif cible – objectif intermédiaire) lorsque l’objectif intermédiaire est dépassé), pondéré par le rapport entre la patientèle déclarante et la patientèle moyenne de référence (800) et multiplié par la valeur du point (7€). Rien de compliqué.

PS 2 : Twitter fourmille de « bonnes idées » également… Ainsi, @Docjedy propose de prescrire « les médicaments qui rapportent » en boîtes de 30 et les autres (par exemple les non-génériques) en boîtes de 90 ; @ami89_pharma propose lui de « remplacer le paracétamol (souvent délivré en Dafalgan ou Doliprane) par du tramadol » (même si ça n’est pas le même palier d’antalgique, ni la même indication)…

PS 3 : Je rappelle que malgré le titre un peu funny et le discours tenu ici, qu’il ne s’agit pas de truander la ROSP et que de toute façon, aucun médecin ne le fera pour gagner 3 sous en échange de « mal-« traiter son patient. L’idée est surtout de montrer qu’une bonne prise en charge n’est pas forcément valorisée par la ROSP, et que de mauvaises pratiques peuvent amener à de meilleurs scores par le calcul des taux tel qu’il a été (mal) pensé.

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