Pourquoi j’ai dormi sur une table de gynéco (sous la ventilation)

Il est temps d’en parler.

Sortez votre calendrier 2009 (ou imaginez-le), pointez sur un des dimanches début mars. Maintenant déchiffonnez votre carte papier Michelin, posez-là sur un support suffisant grand (un bus, un dinosaure ou une armoire normande), représentez-vous le train entre Boulogne et Lille : vous me voyez ?

Avec moi, un certain @AsmothLeManeg parti rejoindre @BlastAndCo pour leur première IRL (In Real Life) à Lille, à la rencontre d’un certain Pen Of Chaos dédicaçant les BDs du Donjon de Naheulbeuk (vous l’avez compris, c’est le moment où je fais semblant d’avoir un grand réseau d’amis). Une journée bien sympa en somme.

Pour eux.

Car tel que vous me voyez, à la sortie de la gare Lille Europe, je ne les suis pas. Non, aujourd’hui, je suis de double garde pour la première fois aux urgences chirurgicales, de 10h à 8h le lendemain… et je me suis même vocalement battu pour avoir ce dimanche jour + nuit !

Une répartition de gardes

Une répartition de gardes au XXIème siècle (Eugène Delacroix)

Les gardes aux urgences chirurgicales, quand on est en DCEM2 (2ème année de Deuxième Cycle des Etudes Médicales, ou 4ème année), c’est un peu comme une bonne diarrhée : on s’amuse beaucoup pendant et on regrette quand c’est déjà fini.

Comprenez-moi bien : je n’ai rien contre les gardes en général. Evidemment je n’aime pas ça, je préfère dormir chez moi tranquillement au chaud plutôt que dans des tenues blanches après avoir mangé à 23h un plat sur lequel est apposée l’étiquette « A CONSOMMER AVANT 16H » (il était question d’un pictogramme de tête de mort je crois, mais le projet semble abandonné). Mais j’ai fait une petite cinquantaine de gardes depuis, et certaines ont des anecdotes sympathiques (trois accouchements à Roubaix, des internes de gynéco sympas, une sortie SMUR dans un coin paumé du Pas-de-Calais, etc.) ou cocasses (je vous raconterai d’ailleurs très bientôt ma première nuit en chambre mortuaire…) J’ai même fait d’autres gardes aux urgences depuis, qui se sont toutes bien passées… y compris mon autre garde de nuit aux urgences chirurgicales du CHR sur la même période ! J’étais alors avec un chef sympa qui m’a amené au bloc pour suturer une cicatrice de 20 cm sur le cou, et des internes qui faisaient leur boulot. Je suis allé dormir environ de 3h à 7h du matin sur la table de gynécologie, la tête à l’envers côté étriers, avec la ventilation au-dessus qui faisait VroumVroumVroum. Encore une fois, j’aurais été mieux chez moi et j’ai sûrement forcément bougonné avant d’y aller… mais ça n’avait rien avec voir avec LA garde, celle dont il est presque question depuis le début.

Vous pouvez replier le plan Michelin.

Dimanche, 10h. J’arrive aux urgences par la porte d’entrée des patients, je monte récupérer ma blouse, j’arrive dans le Poste de Contrôle Infirmier où toutes les blouses blanches sont réunies.

« Bonjour, je suis externe, je suis de garde aujourd’hui.

— Ah ah, ils sont marrants les externes : ils arrivent et ils ont toujours l’impression qu’on va les accueillir. »

Bilan du premier contact avec le corps infirmier du service : franche sympathie.

Après avoir rangé mon sac à dos et mon manteau dans notre vestiaire privé (sous le bureau des infirmiers), une co-externe du service m’explique le fonctionnement : il suffit de prendre un des dossiers qui s’accumulent sur la table, de partir en quête du patient caché, de trouver une salle libre et disponible, l’examiner (et/ou le suturer), prescrire les radios, cocher le bilan biologique à demander, en parler à l’interne, aller le revoir avec l’interne (deux internes, qu’on appellera par exemple Débordée pour l’Interne de chirurgie digestive et Gasconnade pour l’Interne d’orthopédie, sensées se séparer le travail). Et puis voir un autre patient entre deux parce qu’il faut que ça avance.

Dans cette garde, tout a foiré. La faute de mon incompétence bien sûr (attendue et pardonnable), et j’ai quand même fait pas mal de n’importe quoi avec le recul. Mais surtout, surtout, surtout, tout est parti en cacahuètes à cause d’une interne d’orthopédie prétentieuse, nulle et fière de l’être. Sans rire. Elle était nulle en digestif mais aussi en traumatologie d’ailleurs : je peux vous l’avouer (honteusement), j’ai fait asseoir un motard qui avait l’air bien sur tous les plans, qui voulait sortir du matelas coquille installée par les pompiers, et enlever sa tenue toute arrachée, après une chute à grande vitesse… et je l’ai envoyé faire des radios de bassin et thorax (non, en D2 on ne connait pas l’item 201 sur l’évaluation de la gravité, on a à peine idée qu’un Body-scan ça existe). Le tout validé par Conn Gasconnade.

J’étais avec une externe D2 du service qui savait suturer et deux D4 qui allaient plus vite que moi et contribuaient à déborder Débordée. Du coup, je voyais presque tous les patients adressés pour motif zont-mal-au-ventre-mais-rien-de-cassé, que je présentais à Débordée, qui me renvoyait en râlant vers Gasconnade, qui me répondait que le digestif elle n’y connaissait rien, « vois avec Débordée, et si tu me le donnes, je te fais demander une radio d’Abdomen Sans Préparation pour voir s’il a du caca de toute façon je connais que ça, et au fait le toucher rectal t’as fait ? Pourquoi il faut le faire, ce qu’on recherche ? Bah parce qu’il faut le faire c’est tout, oh là là les externes ils ne connaissent même pas ça ».

Une ambiance agréable et fleurie, dans un lieu sain et aéré. Un bon dimanche en somme. Les patients dans les couloirs nous rappelaient leur présence (tu as le choix entre être décapité ou étripé…), le manipulateur radio venait nous entretenir à propos des externes qui ne connaissent pas toutes les bonnes incidences à signaler sur les bons de radio qu’ils ne sont pas sensés remplir (… tu as autant de sex-appeal qu’un ouistiti …), Gasconnade était agacée de devoir faire son job et me le faisait bien savoir (… tu ferais vomir un troupeau de porcelets).

La journée était aussi inter que minable, et pour se reposer, on avait décidé avec la co-externe D2 de faire une coupure à tour de rôle dès que ça se calmerait (la DCEM4 avait fini à minuit et le DCEM4 restant ne voulait pas dormir, pour une raison qu’aujourd’hui encore j’ignore). Elle est allée dormir à 3h, me laissant mes premières sutures seul sans D4 derrière moi, sur une dame de 80 ans bien compréhensible de mes hésitations. Après ça, j’ai revu un patient de digestif à présenter à Gasconnade (partie dormir, qu’il a donc fallu que je réveille).

L’interne m’a encore agacé sur je ne sais plus quoi. J’ai dit « ok, très bien » sans rien ajouter du bas de mes 4 petites années (aujourd’hui ça ne se serait sûrement plus passé comme ça, surtout vu son niveau), je lui ai laissé le patient, suis allé réveiller ma co-externe pour la remplacer de 5h à 6h30 sur la table de la salle de plâtre. Ensuite la fin de garde est sans intérêt, un ou deux patients, les transmissions, signer mon papier et m’en aller enfin !

Humm ? Ah, oui, les urgences chirurgicales de Lille sont l’une des seules de France où les externes doivent rester mais n’ont pas de lieu pour dormir. On est déjà « nourri » faut pas abuser ! On n’est pas là pour dormir, on est quand même payé 40€ le dimanche pour 22h. (D’ailleurs j’ai été payé ce mois de mars ci de mes gardes du premier trimestre 2009, parce que la validation a été perdue entre la fac et la Direction des Affaires Médicales, qui a pendant 1 an refusé de me payer ce dimanche. AHAHAHAHAHAH, maintenant je connais la corruption et la stupidité.)

Alors pourquoi j’ai dormi sur une table de gynéco à la garde suivante, malgré la ventilation et le désagrément d’avoir un 1/4 de support en moins ? Simplement parce que je n’avais pas envie de revivre quoi que ce soit de cette première garde atroce…

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