Pourquoi la CNAM, la CNIL et le ministre se moquent-ils des médecins avec la liste des non-vaccinés ?

Bon, je m’avance beaucoup. En réalité, la CNAM, la CNIL et le ministre ne sont probablement pas de mauvais bougres, souhaitant « se moquer » délibérément de médecins généralistes. Au fond d’eux, ils pensent probablement faire leur maximum pour nous aider.

Ils se trompent.

Sur cette histoire de liste, nous n’avons eu droit qu’à une succession d’incompétences, probablement liées au fait que personne n’a dû prendre l’avis d’un seul médecin généraliste en exercice dans cette histoire. Je doute que le Ministre, que la CNIL ou que la CNAM ait pris le temps (siiiii pénible) de discuter avec un généraliste en exercice. Ou alors ils ont choisi un type accroc à la colle.

Allons-y. Comme d’habitude, je vais illustrer avec des tweets – souvent les miens, parce que c’est plus simple de les retrouver… Je vais tenter de faire bref, et je doute y parvenir. Désolé.

Combien de temps a-t-il fallu pour obtenir cette liste ?

3 mois !

Depuis mi-avril 2021, plusieurs médecins et syndicats réclament d’avoir leur liste des patients qui sont (1) vaccinés, (2) avec quel vaccin / combien / quelle date, (3) immunisés/contaminés.

J’ai lancé un défi au Hackathon sur ce sujet en avril, ce qui m’a permis d’obtenir un contact auprès de l’Assurance Maladie… qui m’a assuré à l’époque que c’était un sujet d’intérêt, défendu par Thomas Fatome lui-même (cf. extrait du mail ci-dessous dans le tweet).

Le 29 juin (2 mois plus tard !), Olivier Veran aurait demandé leur avis à la CNIL. Soit il s’agit d’un jem’enfoutisme royal (2 mois pour demander cette liste ?!), soit il s’agit d’un peu de comm’ facile…

Une dizaine de jours plus tard, le 7 juillet, la CNIL a rendu un avis sur la liste… En gros, ça disait :

  • la CNIL n’est pas favorable à la constitution de listes de patients non-vaccinés pour les médecins,
  • mais le contexte sanitaire peut justifier cette pratique
  • par contre les médecins ne doivent pas utiliser cette liste pour CONVAINCRE leurs patients, mais juste les informer.

Plus débile que ça, ils étaient obligés de publier leur avis sur le blog d’Azalbert.

https://twitter.com/CNIL/status/1412650493709586433?s=20

Le 7 juillet à 15h20 (puis le 20 juillet en rappel), Thomas Fatome lui-même (directeur général de la CNAM) signait un mail disant ceci :

« Pour vous aider, l’Assurance Maladie met à votre disposition, sur demande, la liste de votre patientèle « médecin traitant » non vaccinée contre le Covid. 
A la fin du mois de juillet, cette demande pourra être faite directement dans amelipro. 
Dans l’attente de cette solution pérenne, un circuit particulier est mis en place pour vous permettre d’obtenir ces informations à travers un envoi unique :
     – Vous pourrez adresser un mail à l’adresse … 
     – Vous recevrez en retour, dans un délai court, un mail indiquant que votre liste est disponible sur amelipro dans l’espace d’échange médical sécurisé.

Signé : Fatome-masque (rhooo ça va)

Le vendredi 16 juillet, dans l’espace sécurisé, voici le mail reçu.

Cher confrère,

Vous avez demandé votre liste « patientèle médecin traitant » non vaccinée contre la COVID-19.

Cette liste, au format «.csv », s’ouvre avec un tableur de type Excel. Elle contient le nom, le prénom, le NIR et la date de naissance (format AAAA/MM/JJ) de chaque patient non vacciné vous ayant déclaré comme médecin traitant. La date de la mise à jour est indiquée dans le nom du fichier.

NB : Si jamais, à l’ouverture du fichier, les NIR s’affichent sous la forme 1,80xxx E12, il suffit de sélectionner la colonne contenant les NIR, choisir « Format de cellule » avec un clic droit, puis sélectionner « Nombre » et cocher « 0 décimales ». Vous aurez alors un affichage des NIR sous la forme 180xxxxxxxxxxx

Non mais… l’accessibilité, ça vous parle ?

Depuis quelques jours, on peut effectivement faire la demande directement dans « Patientèle médecin traitant » sur l’onglet « Vaccination ».

48 heures ? Les gars, je vous demande pas de le recopier sur un papyrus hein.

Je risque de l’apprendre ici à quelques confrères et consoeurs, parce que la communication dessus est assez désastreuse – rien que sur Twitter, un certain nombre de médecins n’ont pas compris qu’ils avaient accès à cette liste dans l’espace sécurisé où nous n’allons pas si souvent…

https://twitter.com/olivierveran/status/1422626913886121984?s=20
Marrant, je serais celui qui a mis 2 mois pour rendre accessible la liste, je ne serais pas trop prompt à troller sur Twitter à son propos en fait.

Ca permet d’obtenir la liste sous… 48 heures, au format CSV. Ca ressemble à ça :

NOM;PRENOM;NIR;DATE_NAISSANCE
CHRIST;JESUS;101129900000100;00011225
...
VOLDEMORT;BERNARD;126129900300132;19261231

Voilà… Un CSV absolument dégueulasse, avec 4 colonnes séparées par des point-virgules, avec nom, prénom, date de naissance dans un format improbable et numéro de CPAM (qui ne sert à rien)… Je sais remettre ça en forme, merci. Dedans, il y a des patients non éligibles, des patients déjà vaccinés, des patients décédés… (et je ne suis pas seul à avoir noté ça).

Mais le problème c’est surtout… QU’ILS N’ONT PAS COMPRIS LA MOITIÉ DES OBJECTIFS !

Ce qui m’amène à la partie 2.

Que voulions-nous ? A quoi devait servir cette liste ?

L’intérêt de cette liste est multiple :

  • avoir un état des lieux dans notre patientèle (x % des plus de 75 ans vaccinés, etc.)
  • pouvoir prioriser les doses (ce qui est évidemment moins utile en juillet que ça l’était en avril/mai…)
  • pouvoir « aller vers » les patients qui n’ont pas pris de RDV (parce qu’ils sont seuls, isolés, qu’ils n’ont pas osé, qu’ils attendent qu’on les contacte, qui hésitent et n’osent pas appeler pour avoir l’avis de leur médecin, qui veulent être vaccinés à domicile ou au cabinet…)
  • pouvoir appeler des patients lorsqu’on prévoit d’ouvrir un flacon de 12 doses de Moderna (ou à l’époque de 12 doses d’AstraZeneca ou 6 de Janssen) – donc une liste accessible en 48 heures, c’est pas vraiment ça
  • pouvoir appeler en urgence des patients lorsqu’il y a un ou des désistements sur une session de vaccination, dans le flot des consultations qui se poursuit à côté…
  • se rendre compte d’erreurs : patient qui a fait une première dose mais a raté la 2ème (nous suivons des patients avec des troubles cognitifs par exemple…)

Ca a(vait) cet intérêt « égalitaire » : aller vers ceux qui n’ont pas l’app Doctolib sur leur smartphone, voire qui n’ont pas de smartphone. Quand il fallait batailler pour se vacciner en avril, il y avait 2 grands choix :

  • donner cette liste aux généralistes afin de prioriser sur les facteurs de risque et d’aider à la prise de rendez-vous pour les plus précaires ;
  • ouvrir des créneaux non pris à ceux qui savaient le mieux utiliser internet et diverses applis.

C’est le 2ème point qui a été choisi – le 1er appel à plus d’égalité, il aura fallu attendre 3 mois pour qu’il soit entendu.

Le problème du CSV transmis c’est que nous ne savons pas :

  • si les patients sont en cours de vaccination (0 dose ? 1 dose ?)
  • si les patients ont été positifs au COVID et à quelle date (quand leur proposer le vaccin dans ce cas)
  • si des patients ont raté leur date de 2ème dose

Quels sont les risques de cette liste ?

Aucun. Il n’y a AUCUN foutu risque à ces listes de non-vaccinés, c’est un fantasme de la CNIL. (Evidemment, attendez 2 secondes avant de bondir avec « les listes, les pires heures de l’histoire de France, un scandale »…)

Explorons un peu.

Admettons qu’une personne mal intentionnée cambriole un médecin et récupère ce SUPERBE CSV qui donne une liste de quelques centaines de personnes non vaccinées dans sa ville. Bon. Voilà, il va en savoir à peu près autant que n’importe quel vigile de discothèque ou bientôt de restaurant.

Admettons qu’un super réseau de cambrioleurs parvienne à récupérer ces MAGNIFIQUES CSV auprès des 50 000 médecins généralistes français. Bon, voilà, après une organisation de 4 mois, 50 000 doubles de clés récupérés, ce réseau de malfaiteurs aura mené à bien ce larcin, leur permettant de découvrir que Jacqueline Raclette, 63 ans, n’est pas vaccinée. Dites donc. Ca valait le coût d’y investir le PIB du Tuvalu.

Mais ce qui est LE PLUS DRÔLE…

… c’est que cette liste n’apprend RIEN aux médecins généralistes.

Les médecins généralistes ont accès au statut vaccinal de tous les patients dont ils ont le numéro de sécurité sociale depuis le début ! C’est la CNIL qui leur a donné cet accès.

On clique sur « Vaccination COVID »
On rentre son numéro de sécurité sociale
Et hop, on a le statut vaccinal (dont on peut avoir le détail en cliquant dessus)

Oui mais un patient à la fois c’est long, donc personne ne le fera…

Bah non justement. Cette liste qu’on demande pour faire notre travail, c’est juste une simplification d’accès. On a déjà cet accès, rendez-nous plus facile et plus performant notre travail de vaccination.

Les médecins ne sont pas des truands qui veulent vendre la liste de leurs patients non vaccinés… déjà, parce que tout le monde s’en fiche, et ensuite parce qu’on a 2-3 autres choses à faire.

La CNIL protège les gens, pour éviter qu’on fasse des choses mauvaises sur les internets, on ne peut pas leur en vouloir d’être excessif dans cette mission…

C’est là qu’il y a un petit malentendu.

Quand les médecins généralistes demandent LEUR liste de LEURS patients, il n’y a aucun risque, mais des précautions énormes. Des bâtons dans les roues de la vaccination. Et la CNIL est applaudie – c’est peut-être ce qu’ils viennent chercher avec leur avis plus tiède qu’une bouteille d’eau restée sur la plage arrière de la voiture après une journée de plage.

Déjà, il y a des listes plus sensibles qui existent déjà, avec leur accord, donc c’est vraiment une posture. Les postures c’est bien, la compétence c’est mieux.

Création d’un PDF, d’un XLS (tiens pas un CSV) de la liste complète de ma patientèle avec une « affection longue durée ».

Ensuite – et surtout – depuis janvier 2021, la CNIL a autorisé :

  • tous les médecins, pharmaciens, infirmiers à avoir accès au statut vaccinal d’un patient dont ils disposent du numéro de sécurité sociale (comme illustré plus haut avec mon propre numéro) ;
  • tous les établissements de santé, auxiliaire médicaux, chirurgiens-dentistes, médecins, pharmaciens, sages-femmes et acteurs du médico-social à avoir accès au numéro de sécurité sociale de tout patient…

C’est le téléservice INSi (Identité Nationale de Santé, intégré sur nos logiciels métiers depuis le 1er janvier). Concrètement, il suffit de rentrer nom, prénom, date de naissance et sexe pour obtenir le numéro de sécurité sociale.

Vous voyez où je veux en venir ?

C’est protégé par la CNIL, donc c’est bon.

Ahahah… tu déconnes ?!

Et non.

La CNIL interdit les généralistes de connaître le statut vaccinal de leurs patients de façon simple, mais autorise tous les professionnels de santé du pays à connaître le statut vaccinal de toute personne dont la date de naissance est connue…

Et on s’en fiche en vrai. On n’en fera rien.

Mais il faut présenter honnêtement le travail de la CNIL. Quand le Ministre, la CNIL et la CNAM ne nous aident qu’avec moult bâtons dans les roues, quand la CNIL va jusqu’à expliquer qu’il faut « ne pas utiliser la liste pour convaincre », quand la CNAM nous livre un CSV tout dégueulasse pour « oulalala faut pas trop en donner ou trop lisible », je me dis qu’ils ne comprennent pas bien ce qu’ils autorisent et ce qu’ils n’autorisent pas.

Soyons honnête, la liste des patients non-vaccinés du Docteur Grostéto à Tricotis-les-Aigletons, ce n’est pas de nature à intéresser la population.
Par contre, savoir quel politicien, candidat, quel animateur TV, quel acteur, quelle personnalité publique s’est fait vacciner à quel date, avec quel vaccin… ça peut sans doute trouver un autre intérêt de leak sur Reddit et compagnie.

Donc si la CNIL s’en fiche de ça, si elle pense que les données peuvent être accessibles à tout professionnel de santé, et qu’il y a un faible intérêt dans le pays pour connaître le statut vaccinal d’autrui (parce qu’il faut bien reconnaître qu’on s’en tape), il serait temps de nous FOURNIR UNE LISTE CORRECTE, DANS UN FORMAT CONVENABLE, AVEC DES INFORMATIONS UTILES ET COMPLÈTES concernant le statut vaccinal de nos patients.

NB. Pour information, je me suis rendu compte de ces possibilités de l’INSi le 16 juillet (je ne suis pas vif).
J’ai proposé à la CNIL d’en discuter ; j’ai contacté (pour la 1ère fois de ma vie évidemment…) l’accueil de l’Elysée pour les informer également que n’importe quel professionnel de santé en France pouvait récupérer le QRCode d’absolument n’importe qui. Ca n’a finalement pas eu l’air de les émouvoir, ce qui est quand même pas mal en faveur de la « posture » 😉

Désolé, on est trop occupé à empêcher les généralistes de connaître le statut vaccinal de leurs patients en France, veuillez nous recontacter plus tard.
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