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15 jours de médecine générale au pays des irresponsables – préambule

En juillet 2021, j’ai visualisé de façon indue le QR Code du Président Emmanuel Macron, au contenu notoire (il a annoncé être malade en décembre 2020, et vacciné le 31 mai 2021). J’ai déjà expliqué pourquoi, mais voici en quelques mots le fond de ma motivation : je réclamais depuis avril 2021 que l’Assurance Maladie donne aux médecins la liste des patients vaccinés (en centre, pharmacie…) pour qu’on sache qui appeler quand on recevait des flacons de 6-12 doses de façon erratique (parfois on en commandait 2 et on en recevait 1 à J+10…), plutôt que perdre un temps fou à appeler des gens pour découvrir qu’ils avaient déjà été vaccinés… C’était UN PEU une priorité de vacciner début 2021, puisque le Président de la République avait fait un pari (raté) en janvier, en refusant de prendre des mesures de freinage de la pandémie, ce qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes.

L’Assurance Maladie et la CNIL refusaient de fournir cette liste, sous prétexte que ça nous donnerait de nouveaux accès : je leur répondais que c’est faux, puisqu’un médecin a accès au numéro de sécu de tous ses patients… et si on a un numéro de sécu, de Martin Dupond ou d’Emmanuel Macron, alors on peut récupérer le statut vaccinal (ce n’était donc pas donner un nouvel accès que je réclamais, mais une simplification de l’accès au statut vaccinal pour mieux prioriser la vaccination à un moment où le Président sus-nommé avait laissé le virus tuer 300 personnes par jour pendant 6 mois).

Le 13 juillet, après avoir consulté le pass du Président, j’ai prévenu l’Elysée le soir de la facilité d’accès (< 1 minute) potentiellement gênante à 9 mois des Présidentielles, et la présence d’une erreur facilement corrigeable mais pouvant nuire à la crédibilité du Président sur la vaccination. Mais, comme toujours, il est impossible de tomber sur un responsable. Au final, rien n’a été corrigé (ni la facilité d’accès — alors qu’il « suffit » d’envoyer un mail lors de la consultation des QR Code, comme on reçoit des mails à la consultation du DMP —, ni l’erreur de date). J’ai reconsulté le pass le 26 août à 17h49…

… juste après publication d’un article dans Mediapart, car un gugus s’est dit que cette erreur de date méritait un article. C’est là que tout le monde s’est chauffé. (Petit aparté : l’Ordre a envoyé aux concernés – dont moi – la liste des gens ayant consulté… en barrant les autres noms avec un feutre de mauvaise qualité… Je peux donc voir qu’une même personne a consulté à 3 reprises en août avant la diffusion dans Mediapart. L’enquête semble si complexe, Scoubi-dou).

Du coup, en septembre 2021, la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie) a envoyé au CNOM (Conseil National de l’Ordre des Médecins) la liste des médecins qui ont fait ça, qui a transmis aux CDOM (Conseils Départementaux de l’Ordre des Médecins) en leur demandant de « prendre les mesures disciplinaires qui s’imposent ». A noter que c’est la même personne au CNOM qui signe cette phrase et qui me répond, quand je lui envoie des mails pour violation assumée de secret médical par les assureurs de santé (sujet que je porte depuis au moins 2019) qu’elle « va prendre attache », ou « mener une réflexion »…

De fait, bien qu’indépendants dans la théorie, les CDOM nous ont transféré en CDPI (Chambre Disciplinaire de Première Instance). (C’est littéralement ce que m’a dit le président du CDOM62 : « c’est pas bien méchant, faut plus recommencer, mais comme la demande vient du CNOM, c’est sûr que le conseil votera pour transférer en CDPI »).

Les délais de la justice ordinale étant ce qu’ils sont, cette affaire a été jugée en CDPI en juin 2023, avec pour ma part une réponse mi-septembre 2023, m’interdisant d’exercer la médecine du 1er au 15 novembre 2023 (bon, concrètement, j’étais en congés du 4 au 12, ils m’ont mis 4 jours de vacances en plus).

Finalement, le bureau du CNOM a fait appel de cette décision « à titre conservatoire », en attendant que le conseil se réunisse en décembre… Ils se fixent un délai de 30 jours pour faire appel, mais ils se réunissent tous les 3 mois. J’ai donc reçu ce courrier le 25 octobre…

En parallèle, l’Assurance Maladie m’a « déconventionné » sur la période (ie mes patients ne seraient pas remboursés si je faisais des actes) : les délais de l’administration étant ce qu’ils sont (bis), ils ont mis 3 semaines après la réception de la sanction pour me le signaler. J’imagine donc qu’ils m’enverront un courrier le 15 novembre pour me signaler que je ne suis plus déconventionné à partir du 1er novembre. Un mille-feuilles de gens qui se renverront la responsabilité dans ces délais foireux…

Bref, je suis en vacances pour 15 jours. Et comme ces 15 jours tombent pendant le début du « mois national d’écriture de roman » (NaNoWriMo), je me dis que ça peut faire une bonne occasion pour écrire une petite quinzaine de billets ici… à raison d’une heure (max) par jour ! « Ils se détachent du micro-blogging pour retrouver le blogging : quelle est cette mode venue des anciens temps ? » pourrait titrer Voici/Closer.

Je n’ai pas encore tellement réfléchi au contenu, au rythme, etc. Je sais juste que depuis quelques mois, j’aimerais remettre sur ce blog des éléments que je radote littéralement sur Twitter, à la fois pour garder une trace plus facile à retrouver, à sourcer, à compléter, etc. J’essaierai de donner mon avis (sourcé autant que possible) à certaines questions comme :

  • comment améliorer l’accès aux soins ?
  • comment redonner du temps médical aux médecins, sans juste faire semblant ?
  • est-ce qu’augmenter les revenus des médecins améliorera l’accès aux soins ?
  • pourquoi la coercition est impossible actuellement en médecine, et ceux qui le proposent sont déconnectés de la réalité ?
  • pourquoi faut-il que les (ir)responsables politiques rendent des comptes ?

Ca parlera évidemment de COVID, de masques, de qualité de l’air, de certificats absurdes, de lutte contre les assureurs, de patients sans médecin traitant, de choix politiques mortels, de promesses non tenues, de fraude scientifique et autres dettes immunitaires, de sociétés savantes faire-valoir… Bref, parlons donc pendant 15 jours de médecine générale au pays des irresponsables.

(Source de l’image mise en avant)

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Est-ce que les médecins laissent 600 000 patients en ALD sans suivi ?

Dans ses voeux aux soignants prononcés le 6 janvier 2023 (que j’ai commentés ici), le Président Emmanuel Macron a dit ceci :
« Pourquoi on a aujourd’hui 6 millions de nos compatriotes qui n’ont pas de médecin traitant ?
Alors, pour les plus jeunes, pour certains, c’est un choix.
Mais la vraie difficulté dans ce chiffre, c’est qu’on a 600 000 patients avec des maladies chroniques qui n’ont pas de médecin traitant.
Et ça, c’est un vrai problème parce que c’est une perte de chance, parce que ce sont beaucoup d’entre eux que vous allez retrouver après dans des situations plus graves dans vos services (…)
Aujourd’hui, ce qu’il y a, c’est que vous avez des gens en situation de maladies chroniques, qui ont des infections (sic) de longue durée, qui sont dans des territoires qui n’ont pas accès à un médecin qui du coup, compte tenu des rigidités de notre système, ne peuvent même pas se faire renouveler une ordonnance auprès de l’infirmier ou de l’infirmière ou auprès du pharmacien.
Ça, c’est absurde et on n’a pas le droit de le faire. On doit sortir de ce face-à-face. Donc on doit dire, il y aura toujours des médecins référents, généralistes et spécialistes dans ces coalitions d’acteurs de territoires. C’est à eux de s’organiser pour trouver le temps (…)
Concrètement, quand on n’a pas de médecin traitant ou quand celui-ci n’est pas disponible, un patient qui, en cherche un avec urgence, doit pouvoir appeler le 15. Et en fonction de son état de santé, il sera orienté soit aux urgences, soit vers un médecin identifié par ce service. Les appels ont beaucoup augmenté vers, justement, ces fameux SAS, ces services d’accès aux soins.« 

Très franchement, il n’y a rien qui va dans tout ça… (et encore, je vous fais un Reader’s Digest là… pour ceux qui ont envie de se faire du mal, n’hésitez pas à aller lire cette partie dans le premier lien de l’article, ou lire le bloc à la fin).

Faisons un rapide survol phrase par phrase :

« Pour les plus jeunes, pour certains, c’est un choix (de ne pas avoir de médecin traitant) » : pardon, mais qui ? Je n’ai JAMAIS entendu une personne qui souhaite NE PAS avoir de médecin traitant, sous prétexte qu’elle est jeune… C’est éventuellement une absence de besoin (médecin parti en retraite ou déménagement, et pas de besoin de santé ressenti, donc pas de recherche de médecin traitant) mais pas un choix de ne pas avoir de médecin traitant… Les mots ont un sens, dans un discours présidentiel qui a normalement été réécrit et relu plusieurs fois.

« On a aujourd’hui 6 millions de personnes sans médecin traitant dont 600 000 patients avec des maladies chroniques qui n’ont pas de médecin traitant ».

D’où viennent ces chiffres ? Apparemment, ce sont les données de Marguerite Cazeneuve (directrice déléguée de l’Assurance Maladie et conseillère d’Emmanuel Macron)… en date du 30 juin 2021. Donc soit les chiffres n’ont pas évolué en 1 an 1/2 malgré la baisse de démographie médicale, soit ils n’ont pas réactualisé pour les voeux du Président de la République pour les soignants (qui basse une stratégie nationale sur des chiffres datés de 18 mois ?! Franchement, la CNAM se moque d’Emmanuel Macron…)

Par ailleurs, il est certain que ces chiffres masquent énormément de choses :

  1. le turn-over des départs en retraite.
    • Comme dit dans l’autre billet, il y a environ 60 000 MG en exercice libéral en France (et non pas 100 000 comme le dit le PR – qui a intégré dedans les MG qui exercent à l’hôpital ou ailleurs — ouais, je sais, normalement réécrit et relu plusieurs fois…). Et même parmi les 60 000, il y en a qui ne font pas ou peu de suivi (médecins généralistes qui se sont orientés vers l’allergologie ou la médecine vasculaire pour tout ou partie de leur activité, par exemple).
    • En utilisant les chiffres de la DREES, il y avait 64 142 MG en exercice libéral exclusif en 2012, 63 059 en 2013 (…) et 57 033 en 2022… soit en moyenne 700 MG libéral en moins par an (ce qui est cohérent avec la perte de 800 MG par an selon les prévisions du CNOM 2018).
    • Selon l’Assurance Maladie, il y a environ 10 millions de personnes en ALD en France (11,4 millions en 2019 mais certains peuvent cumuler plusieurs ALD). Pour 60 000 MG en exercice, cela représenterait donc environ 170 patients en ALD par médecin… il est toutefois probable que ce nombre soit un peu sous-estimé pour les raisons sus-évoquées (à titre personnel, j’en ai 432 en ALD – 341 en ALD vs 905 sans ALD chez les 7-79 ans, et 91 en ALD vs 18 sans ALD chez les octagénaires et plus, sur 1400 patients). Enfin, un médecin généraliste qui part en retraite est a priori un médecin ayant plutôt une patientèle élevée avec un nombre plus important d’ALD…
    • Partons donc sur 200 patients en ALD par MG libéral en fin de carrière (estimation basse à mon sens) x 700 MG libéral en moins par an, soit 140 000 nouveaux patients en ALD sans MT par an.
    • Et même dans une zone où un accès aux MG est faisable, il est normal pour un patient en ALD d’attendre la fin de son ordonnance (3 ou 6 mois) avant de consulter, et il est aussi possible que le MG et le patient ne décident pas de faire la déclaration à la fin de la première consultation, mais à la 2ème (pas mon cas, mais j’ai des confrères qui font ça)… bref, quand on fait un état des lieux transversal, il y a dedans des patients qui ont déjà trouvé un nouveau médecin…
    • … et vous savez qui pourrait déterminer avec précision le nombre de patients laissés sur le carreau chaque année en raison du départ en retraite de leur médecin, et le taux de patients qui retrouvent un médecin (avec le délai) ? La CNAM.
  2. les patients suivis mais pour qui la déclaration n’a pas été faite.
    • parce que le MG n’est pas ou peu informatisé (et que les déclarations papiers ont tendance à se perdre ou n’être jamais envoyées)
    • parce que son logiciel n’indique pas facilement qui est le médecin traitant…
    • parce que la déclaration a été faite… mais a sauté (au cours d’un déménagement, d’un changement de caisse ou autre)
    • … le nombre est dur à estimer, mais pour avoir déjà eu des cas localement, il n’est pas à 0… et avec 60 000 MG en exercice, il suffit d’un oubli par MG en moyenne pour que ça représente tout de suite des nombres conséquents…
    • Vous savez qui pourrait déterminer avec précision ce nombre (et poser un bon diagnostic) ? La CNAM, en identifiant les médecins qui ont reçu de façon exclusive plusieurs fois par an les 2 dernières années les patients identifiés sans médecin traitant.
    • Comme les médecins bénéficient d’un forfait « patientèle médecin traitant », et que les patients sont moins bien remboursés en cas d’absence de médecin traitant, il n’y a pas trop d’intérêt pour l’Assurance Maladie à relancer de cette façon. (Néanmoins, l’Assurance Maladie envoie normalement des courriers aux patients sans médecin traitant, pour les inciter à en déclarer un).
    • Prenons un territoire de 50 000 habitants, avec 50 MG. C’est ma CPTS. Il y a 900 patients sans médecin traitant. Il suffit d’1 seul MG sur 50 non informatisé qui se fiche de déclarer en MT et a 500 patients déclarés mais 1000 suivis pour expliquer la moitié du nombre… Et avant de dire que c’est impossible, rappelons que 11 % des MG n’utilisaient pas de dossier médical informatisé selon la DREES en 2019 (3 % chez les < 50 ans, 21 % chez les > 60 ans)
  3. les patients en EHPAD
    • environ 30 % des EHPAD sont à budget global : c’est-à-dire que les MG sont payés par l’EHPAD et n’ont jamais accès à la carte vitale de leurs résidents. Dans ce cadre, les déclarations de médecin traitant sont non faites, ou faites par papier et envoyées à la caisse primaire (on ne peut pas adresser simplement à celle du coin : parfois c’est un patient affilié à la SNCF, à la MSA ou ailleurs… bref, de multiples occasions de perdre le papier)
    • On a donc un pseudo-problème : des résidents en EHPAD, suivis au quotidien par des professionnels de santé, sous l’égide d’un médecin coordinateur, potentiellement suivis en plus par un médecin généraliste…. mais qui, pour des raisons purement administratives, se retrouvent « sans médecin traitant » (je viens de passer en EHPAD cette semaine : sur 60 patients, 23 étaient sans médecin traitant officiellement, suivis par le médecin coordinateur…)
    • Il y avait, en 2015 selon la DREES, 730 000 patients accueillis dans des établissements d’hébergement pour personnes âgées. Combien parmi eux sont concernés par ce pseudo-problème ?
    • Il y a aussi 32 790 patients accueillis en unité de long séjour. Ce serait intéressant de savoir combien parmi eux sont « sans médecin traitant » sur leur carte vitale… alors qu’ils sont suivis comme dans un service hospitalier (et qu’il n’est d’ailleurs pas possible d’avoir un médecin généraliste qui y intervient de l’extérieur).
    • … Savez-vous qui pourrait identifier les patients en EHPAD parmi la liste des patients « en ALD sans médecin traitant » ? Oui, la CNAM… Et on pourrait aussi imaginer que les médecins coordinateurs qui font ce suivi de patients puissent bénéficier d’une revalorisation d’ailleurs.
  4. de façon plus anecdotique sûrement, des patients en ALD qui permettent de ne pas avoir de médecin généraliste traitant :
    • patients hospitalisés longtemps dont le MG est parti en retraite (soins de suite et réadaptation, etc.)
    • patients qui ont un suivi rapprochés (patients hémodialysés – environ 50 000 en France -, suivis à l’hôpital tous les 2 jours et qui voient régulièrement leur néphrologue qui renouvelle tout le traitement)
    • patients en ALD qui ont une ordonnance longue pour 1 an (hémochromatose par exemple)
    • patients qui ont une ALD mais pas de traitement et vont consulter de façon erratique (troubles cognitifs notamment)
    • ... mais qui pourrait bien fournir le détail des ALD des patients avec et sans médecin traitant ? Oui, la CNAM !
  5. et effectivement des gens vraiment en ALD mais sans médecin traitant depuis plusieurs années, qui se font renouveler des vieilles prescriptions comme ils peuvent, appellent le 15 quand ils n’ont pas le choix, etc. Ca existe aussi bien sûr et c’est sur ça qu’il faut se concentrer !

Et attention, JE NE DIS PAS QU’IL N’Y A PAS 600 000 PATIENTS EN ALD SANS MÉDECIN TRAITANT. J’en sais rien. Je pense que les 600 000 sont surévalués pour les raisons sus-mentionnées… MAIS en parallèle, il y a aussi un large sous-diagnostic de beaucoup de pathologies. Par exemple, il y a 368 800 patients en ALD15 (maladie d’Alzheimer et autres démences) alors que 1,2 millions de patients seraient concernés, soit un ratio de 1/3 déclaré en ALD (non-diagnostic par le médecin et le patient, diagnostic par le médecin mais patient réticent à faire des tests ou anosognosique, diagnostic par le médecin et le patient mais pas de déclaration car non souhaité par le patient ou patient déjà en ALD pour une autre cause et absence d’intérêt concret pour la déclaration…).

Et un autre truc subtil : on a des patients en ALD avec médecin traitant déclaré… mais qui n’ont pas vraiment de médecin traitant ! C’est le cas notamment en EHPAD, où les patients arrivent, les médecins ne poursuivent plus leur suivi MAIS restent déclarés sur la carte parce que le médecin coordinateur ne fait pas de déclaration.

En tout cas, pour moi, il y a déjà un gros problème de diagnostic et la CNAM a fourni au Président de la République des données datées de 18 mois, sans aucune précision, pour fonder sa stratégie nationale d’accès aux soins. (J’imagine que ce sont les mêmes qui lui ont vendu que le SAS était un grand succès « qui a permis de tenir cet été » alors que ça a représenté 21 000 actes sur 30 millions – soit 0,07 % des actes – en juillet-août 2022).

Le problème, c’est qu’après, il faut trouver des solutions sur ce « diagnostic », dont on ignore tout de la qualité
Concrètement, dans la CPTS où j’exerce, nous avons selon la CPAM 900 patients en ALD sans médecin traitant, sur 9000 ALD (environ 10 % d’ALD sans MT contre 6% au niveau national), sur un bassin de 50 000 habitants (soit 18 % d’ALD contre 10 % au niveau national, parce que milieu défavorisé avec grosses prévalences de cancers, pathologies liées à tabac et alcool notamment). Et là dessus, il faut « réduire » le nombre pour satisfaire l’ARS. OK. Sauf que nous sommes plusieurs à accepter encore les nouveaux patients, qu’il y a même des nouveaux installés… et surtout, ni les infirmiers, ni les pharmaciens n’ont connaissance de patients en ALD qui n’arriveraient pas (durablement) à trouver de MG sur notre territoire (même quand c’est compliqué, ça se résout en quelques appels…).

Garbage in, garbage out…

Je poursuis brièvement pour la fin de l’analyse de ces paragraphes du discours : « Et ça, c’est un vrai problème parce que c’est une perte de chance, parce que ce sont beaucoup d’entre eux que vous allez retrouver après dans des situations plus graves dans vos services (…) »

Il y a un côté « c’est grave parce que ça surcharge les hôpitaux », comme si l’absence de médecin généraliste n’était pas un problème suffisant en lui-même… Même quand ça parle de la ville, il faut que tout soit ramené à la ville (à l’inverse, quand on parle de l’hôpital, la seule pensée pour la ville n’est pas « ohlala ça va faire des patients complexes à suivre » mais « les généralistes ont des droits et des devoirs, ils doivent prendre leur part »).

« Aujourd’hui, ce qu’il y a, c’est que vous avez des gens en situation de maladies chroniques, qui ont des infections (sic) de longue durée »

Oui, c’est le COVID long, et c’est lié à votre politique de prévention complètement nulle, mais on en a déjà suffisamment parlé.

Les fameuses « infections de longue durée » : c’est ballot de ne pas corriger 19 jours après… personne ne lit en fait ?

« (…) qui sont dans des territoires qui n’ont pas accès à un médecin qui du coup, compte tenu des rigidités de notre système, ne peuvent même pas se faire renouveler une ordonnance auprès de l’infirmier ou de l’infirmière ou auprès du pharmacien.« 

OK, délégation de tâches, IPA, tout ça… C’est effectivement une des pistes, mais comme dit après, ça ne permet pas de se dispenser de médecins…

« Ça, c’est absurde et on n’a pas le droit de le faire. On doit sortir de ce face-à-face. Donc on doit dire, il y aura toujours des médecins référents, généralistes et spécialistes dans ces coalitions d’acteurs de territoires. C’est à eux de s’organiser pour trouver le temps (…)
Concrètement, quand on n’a pas de médecin traitant ou quand celui-ci n’est pas disponible, un patient qui, en cherche un avec urgence, doit pouvoir appeler le 15. Et en fonction de son état de santé, il sera orienté soit aux urgences, soit vers un médecin identifié par ce service. »

C’est le pompon sur la cerise là, l’apothéose de gloubi-boulga pour dire « oh bah merde, il manque de médecins généralistes ». Ca va de « c’est aux médecins de trouver du temps » à « quand le médecin n’est pas disponible, il faut que le patient appelle le 15 qui va trouver un médecin disponible ». Super, merci.

Vous voulez qu’on s’organise pour trouver du temps ? Virez-nous ce qui est inutile, et ça tombe bien, on n’arrête pas d’en parler en médecine générale : dans cette tribune de 2022, dans cette tribune de 2023, et si vous voulez, je vous trouve plus vieux encore

Encore faudrait-il prêter un peu l’oreille à ceux qui ont une expérience des soins de ville, plutôt que n’avoir d’ouïe que pour des gens qui vous filent des données imprécises vieilles de 18 mois qui vont faire suer toutes les CPTS du pays pour résoudre un problème qui est purement administratif (utiliser du temps médical à résoudre ces conneries de la CNAM… c’est utiliser du temps à ne pas accepter de nouveaux patients).

Oh, et bonus track : je disais que nous perdons 800 médecins généralistes en moyenne par an, selon les chiffres de la DREES et les projections du CNOM en 2018. C’est à mon sens un pôle important pour expliquer le nombre de patients en ALD laissés sur le carreau. Mais en novembre 2026, on aura une promotion entière (4000 internes de médecine générale) qui ne sortiront pas de leurs études pour s’installer ou remplacer, mais seront les premiers à entamer une 4ème année d’internat où, a priori, ils ne pourront pas accepter de nouveaux patients en ALD n’ayant plus de médecin traitant.

Projection du CNOM en 2018. Tout va bien, la population vieillit en parallèle, mais tout va bien.

TL;DR : je n’en sais rien ! Il y a une sous-déclaration des affections longue durée… et une sous-déclaration des déclarations en tant que médecin traitant (oubli, patients en EHPAD, transition après un départ en retraite…).
Quoiqu’il en soit, les chiffres sont datés de juin 2021, n’ont pas été réactualisés, et manquent cruellement de précision pour essayer de les comprendre au niveau national.
C’est sur la base de ce diagnostic imprécis (et daté de juin 2021) que la politique nationale se décide quand même, avec notamment une obligation pour les professionnels de santé sur les territoires, via les CPTS, de comprendre et résoudre ce problème localement… alors qu’il pourrait être résolu en grande partie au niveau national par la CNAM.

Les CPTS n’ayant pas vocation à être des escape game, il serait de bon ton que toutes les caisses (ou la CNAM) puissent fournir régulièrement aux professionnels de santé de leurs territoires les réponses à ces questions – qui ne sont pas publiquement disponibles – : parmi les patients en ALD sans médecin traitant sur le territoire X :

  • quel est le nombre de patients laissés sur le carreau chaque année en raison du départ en retraite de leur médecin, et le taux de patients qui retrouvent un médecin (avec le délai) ?
  • existe-t-il des patients suivis régulièrement (> 2 fois par an) par le même médecin généraliste pour leur pathologie en ALD, sur les 2 dernières années ? Si oui, est-ce que la non-déclaration est un choix ou un oubli du MG et/ou du patient ?
  • combien sont en EHPAD, en résidence autonomie, en unité de long séjour, où il y a a priori un suivi médical et paramédical rapproché ?
  • existe-t-il certaines ALD plus concernées que les autres par l’absence de médecin traitant déclaré (hémodialyse, troubles cognitifs…) ?
  • … et bien sûr des informations sur les tranches d’âge, le sexe, les villes et les professionnels de santé consultés par ces patients (infirmiers, pharmaciens, etc.) qui pourraient les aider à les orienter.

Ca me semble la base que devrait réclamer la commission « accès aux soins » de chaque CPTS à leur(s) CPAM, à défaut d’une action de la CNAM.

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Accès aux soins et liberté d’installation

Dans le train qui me ramène à mon cabinet, je lis l’article de 20 minutes « Le système de santé s’est grippé » et ses raisonnements à deux francs six sous. Je vous le résume en quelques citations en précisant ce qui m’énerve.

 

« Les déserts médicaux sont de plus en plus nombreux ».

— La notion de déserts médicaux est tellement vague qu’on ne peut donner aucun chiffre : en France, c’est là où il y a 30 % de moins de médecins qu’ailleurs.

Pour voir un peu la démographie par spécialité en France en 2015, les chiffres sont là et pour rappel il n’y a jamais eu autant de médecins (et de patients) qu’aujourd’hui en France.

Un désert médical n’est gênant que s’il y a un retentissement sur les patients, pas à cause du fait qu’il y ait 30 % de moins qu’ailleurs. A l’extrême, si un français sur 2 était médecin, s’amuserait-on encore à dire qu’à Limoges (par exemple) il est scandaleux de ne compter qu’un médecin sur 3 habitants, soit 30 % de moins que la moyenne nationale de 1 sur 2 ?

Les premiers concernés ne sont pas les généralistes et de loin (seulement 5 % de la population est à plus de 15 minutes d’un médecin) ; ce sont les ophtalmologues, gynécologues, pédiatres, etc.

 

« A trois stations de RER près, on n’a pas le même accès aux soins (…) plus de 20 généralistes et 70 spécialistes pour 10 000 habitants près du jardin du Luxembourg alors qu’il y en a 10 à 12 fois moins à Bobigny ».

— Attention, la réponse à ce problème se trouve dans cette réflexion.

Oui, voilà. Rendre Bobigny aussi sympathique à vivre que les jardins du Luxembourg !

A noter quand même que 5 médecins généralistes pour 10 000 habitants, c’est loin d’être une situation exceptionnelle quand on s’éloigne un peu de Paris, et pour des gens qui n’ont pas pléthore de médecins à 3 stations de RER. Ni pléthore de RER, d’ailleurs.

 

« Faute de pouvoir aller chez le médecin, les plus précaires se rendent aux urgences. » / « Des gens pauvres, qui n’ont pas accès à une médecine de proximité, se voient diagnostiquer des cancers en phase terminale en se rendant aux urgences pour des difficultés respiratoires. »

— Les plus précaires ont la CMU-complémentaire. S’ils ne sont pas assez précaires, ils ont l’Aide pour une Complémentaire Santé.
Dans tous les cas, une consultation médicale de généraliste coûte 6,90 euros (un peu plus pour les spécialistes) si on fait un tiers payant simple (je ne parle pas du tiers payant intégral, je parle de cocher une case sur la feuille de soins – papier ou électronique –, faisable facilement pour tous les patients par tout médecin).
La situation est différente pour certains spécialistes qui font des dépassements d’honoraires ou sont en secteur 2 bien sûr… mais là, ça n’est pas un problème de lieu d’installation ni de « médecine de proximité ».

Je connais aussi des cas de patients qui se voient découvrir une maladie à sombre pronostic en passant par les urgences ou à l’hôpital, mais la cause n’était jamais « pas de médecin assez proche ». Plutôt une errance diagnostique, un nomadisme médical, un refus de soins par les patients…

 

« En vingt ans, le nombre de passages aux urgences a doublé » indique Hugues Nancy, co-réalisateur du documentaire.

— Je vais parler de mon hôpital de proximité, sachant que c’est globalement pareil partout. Je le connais un peu, parce que j’y ai travaillé, j’ai participé également aux CME (commissions médicales d’établissement). Elles m’ont été assez pénibles, je ne l’ai jamais caché, mais aussi instructives sur l’aspect administratif d’un hôpital.

Naïvement, je pensais que le seul but de cette structure était la santé, les soins. Faux : l’hôpital est géré par des vrais chefs d’entreprise. Leur but premier reste la santé des patients (je crois sincèrement que c’est leur vrai objectif) ; mais ça passe par acheter des IRM, embaucher du personnel soignant, des médecins, ouvrir des services, agrandir l’hôpital… Pour ça, il faut de l’argent : et là, ça peut passer par des vraies offensives guerrières pour absorber l’activité de pédiatrie délaissée de la clinique concurrente voire piquer des patients à l’hôpital voisin de 30 minutes.

Dans cette optique saine de gagner de l’argent, TOUT séjour hospitalier demandé après examen clinique, interrogatoire, etc. par un médecin généraliste passe par les urgences (genre « allo, coucou, mon patient a une tétraparésie depuis 2 semaines, il faudrait qu’il soit hospitalisé dans le service de neurologie » → « ok, faites-le passer par les urgences »).

Un passage aux urgences apporte évidemment de l’argent à l’hôpital avec 2 systèmes : un forfait de 25€ par patient venant aux urgences à condition qu’il n’y ait pas d’hospitalisation derrière (plutôt ceux qui viennent sans avis médical) et un autre forfait selon le nombre de passages annuels qui ne dépend pas, lui, de l’hospitalisation qui peut s’ensuivre (annexe 10 de ça).

Si on arrête déjà de faire passer les gens relevant clairement d’une hospitalisation par les urgences, l’activité peut redescendre de 25 % peut-être (nombre complètement aléatoire)… sauf que si les urgences rapportent moins d’argent, les moyens alloués et le personnel seront réduits d’autant. C’est rigolo comme système, non ? Quand on a une réflexion financière sur « grossir l’hôpital », on ne peut qu’augmenter l’activité. Et – ô désespoir – ça, ça n’est absolument pas du ressort des médecins généralistes qui peuvent invoquer tous les dieux de l’Inde et la Grèce antique sans jamais réussir à faire admettre un patient dans un hôpital sans passer par les urgences.

 

« Les gens ne viennent pas à l’hôpital pour rien, ils ont besoin de voir un médecin, mais n’y ont pas accès, ou ne peuvent pas avancer les frais de consultation », précise Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France.

— Alors déjà, les gens viennent parfois à l’hôpital pour rien, médicalement parlant ; ils ne viennent jamais pour rien, selon eux. La dizaine d’urgentistes que j’ai croisés pensent ça.

Pour l’accès financier au médecin, voir au-dessus.

Pour l’accès physique, je pense qu’on se fout UN PETIT PEU de la gueule du monde en laissant sous-entendre qu’un patient n’a pas accès au médecin mais a accès aux urgences. Dans ma région considérée désertée ou presque, c’est simple, il y a un hôpital à 30 minutes de tout le monde, et un médecin généraliste à 3 ou 5 minutes en voiture. Dans les alpages ou en plein cœur de la Creuse, il n’y a pas de service d’urgences pour relayer des médecins généralistes.

Bref, un peu de bon sens, merci.

 

« L’une des solutions serait de remettre en cause le principe de liberté d’installation des médecins généralistes, comme pour les enseignants en début de carrière »

— Graaaaaaaaaaastpoahotaophqosgo. Ergh.

Bon, d’accord, je vais développer.

Un médecin généraliste a passé 1 concours d’entrée et 1 concours préparé sur 3 ans qui lui a potentiellement fait changer de région académique (ECN en 6ème année, à 24 ans, quand les enseignants ont déjà un an d’ancienneté), il peut ensuite s’installer à 28 ans, trouver un logement qui lui convient, payer un loyer, être taxé forfaitairement par l’URSSAF, la CARMF, et que sais-je ; à ce moment, il doit donc réfléchir à s’installer dans un lieu où il aura l’assurance d’avoir suffisamment de patients pour avoir une activité viable et pour, pourquoi pas, acheter une maison, perpétuer l’espèce humaine et faire grandir sa progéniture dans des coins qui lui apparaissent sympas (campagne pour certains, ADSL et fibre optique pour d’autres).

Et alors pour désamorcer tout de suite le classique « les études sont payées, il doit faire ce que l’Etat lui dit », je rappelle que je m’en gausse avec de puissants et gutturaux « Ahahah ». Pour ceux qui n’ont pas suivi, l’Etat est obligé en 2015 de suivre un décret européen, après s’être fait remonter les bretelles, pour que le temps de travail des internes soit limité à 48 heures par semaine (pour 1300-2000 euros par mois selon les gardes), afin notamment de leur laisser du temps libre pour la formation obligatoire de 80 heures par an et leur thèse. Ca ne sera évidemment pas respecté partout, et ça fait suite à 3 ans d’externat où un stage à mi-temps – avec un vrai rôle utile à l’hôpital souvent – est payé 100 à 250 euros par mois (et 20 euros par garde). Donc, nada, l’Etat ne m’a rien apporté que je ne lui ai déjà rendu au moins en grande partie, ce qui est sûrement loin d’être le cas de toutes les écoles.

Alors peut-être qu’après tout ça, certains vont chercher le soleil ou la proximité d’un cinéma. Bon. Est-ce bien une raison pour supporter la demande de restriction de liberté d’installation ?

D’ailleurs, c’était le propos du Professeur Vigneron en 2012 :  » On ne peut pas les obliger à tout quitter à la fin de leurs études déjà longues pour aller s’installer là où le système a besoin d’eux. » Bon, je pense aussi qu’il n’a pas trop intérêt à critiquer cette liberté d’installation vu son parcours : chargé de recherche en Polynésie française (1982-1991), maître de conférences à Lille/Liège (1991-1994) et professeur à Montpellier (1995-2015)…

 

"La liberté d'installation est un scandale. Moi, à 28 ans, dans l'île déserte de Tahiti, je..."

La liberté d’installation pleine et entière à la fin des études est un problème.

« Il faut (sic) développer des structures intermédiaires, entre le cabinet médical et l’hôpital, prescrit Claude Le Pen, économiste de la santé. A l’instar des centres de santé pluridisciplinaires (…) qui sont salariés par les collectivités ou par l’Etat. »

— J’ai travaillé dans 2 centres de santé pluridisciplinaires géographiquement proches, mais assez opposés dans l’esprit. Personne n’était salarié de la collectivité déjà.

Il y a une mode à la création de ces structures depuis quelques années ; toutefois, avant qu’un économiste n’ordonne de suivre le mouvement, on peut peut-être rappeler que rien ne dit que ça réduit les coûts de santé publique, que ça augmente la qualité de vie des patients ou quoi que ce soit. Oui, c’est intéressant d’avoir plusieurs modes de travail possibles ; de là à ce qu’un économiste dise qu’il « faut » des structures « entre le cabinet et l’hôpital », je crois que c’est encore une vision très hospitalière de la situation de ville…

 

« Même si le système de soins français n’est pas parfait, il reste très bon, tempère Hugues Nancy. Il est innovant et le plus égalitaire possible. »

Merci. Au Québec, un désert médical c’est une zone sans médecin à 200 km à la ronde. En France, c’est moins de 30 % de la moyenne nationale. C’est un problème, mais ne mettons pas tout sur la liberté d’installation des médecins.

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