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DES en 4 ans : mise à jour

Il y a 2 ans et demi, j’écrivais un billet sur mon avis (globalement défavorable) sur le DES en 4 ans. Je voulais en reparler depuis le congrès du CMGF mais je me suis retenu, parce que le premier billet n’avait pas été très bien pris (euphémisme).

Mais comme ça vient de rebouger récemment, je me dis qu’une mise au point s’impose pour comprendre les arguments des uns et des autres (une mise au point pour moi-même, mais quitte à la faire, je la partage).

Donc allons-y pour un petit rappel historique :

  • le DES en 4 ans, on en parle depuis au moins 2008 (11 ans) : l’ISNAR-IMG (Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de MG) défendait alors une maquette en 4 ans pour 3 arguments (repris en 2011) :
    • avoir la même durée que les autres spés (le premier argument, le moins défendable)
    • permettre de faire un DESC qui ne rogne pas sur les 3 ans (et pouvoir faire 3 ans de MG avant le DESC d’urgentiste ou gériatre par exemple… depuis la réforme des DES, cet argument n’a plus lieu, vu qu’il n’y a plus de DESC – les FST sont assez différentes…)
    • être plus professionnalisant et inciter à une installation plus précoce ;
Souhait de maquette de l'ISNAR-IMG en 2011

Souhait de maquette de l’ISNAR-IMG en 2011

Plus l'internat est long, plus les gens s'installent tard... Corrélation n'est pas causalité, mais affirmer qu'une année supplémentaire va permettre aux médecins de s'installer plus tôt, c'est établir un lien de causalité à partir de rien.

Plus l’internat est long, plus les gens s’installent tard… Corrélation n’est pas causalité dans le sens que je dis ici… Mais affirmer qu’une année supplémentaire va permettre aux médecins de s’installer plus tôt, c’est établir un lien de causalité à partir de… rien. (Graphique disponible ici).

  • En 2012, la Commission de la vie de l’étudiant et des questions sociales de la CPU (Stratégie Nationale de l’Enseignement Supérieur) se penche sur la question d’un DES en 4 as et écrit ceci :
    • « dans le cadre d’un DES de médecine générale en 4 ans, il est suggéré d’introduire une formation en management, droit, sciences humaines afin d’apporter au futur médecin généraliste des compétences adaptées à leurs futurs missions ». (Cet avis vient de l’espace, c’est assez drôle ^^).
  • depuis (au moins) 2015, le CNGE (collège national des généralistes enseignants) et le SNEMG (syndicat national des enseignants de MG) veulent un DES en 4 ans avec 5 grands arguments que j’avais commentés en détail sur le billet de 2016 donc (je rappelle en italique mon avis sur ces arguments) :
    • « mettre en place une formation réellement professionnalisante »
      • Les internes devraient apprendre à être des chefs d’entreprise sur cette 4ème année : c’est bien sur le principe, mais quel intérêt de rester sur un statut d’interne au lieu de collaborateur / associé / autre ? Plus professionnalisant que 6 mois de SASPAS, c’est médecin installé pour moi (ou alors il faut invalider l’étudiant en fin de SASPAS)… 
    • « parfaire la formation des futurs médecins généralistes de demain » 
      • D’une part, on ne croule pas sous les enseignants en MG et augmenter la formation d’un an, c’est surcharger des troupes déjà en sous-effecitf…
      • D’autre part, en 2017, sous l’impulsion du CNGE, tous les ED ont été remplacés par des groupes d’échanges de pratique, parce que la réflexivité remplace la formation dite descendante ou magistrale… On défend donc d’un côté la vision d’un interne qui se forme lui-même, et de l’autre la vision du même interne qui ne peut pas poursuivre lui-même sa formation après 3 ans d’internat. 
    • « qualifier des professionnels aptes d’emblée à assurer les missions de soins primaires dans les territoires » et « proposer une maquette de stage plus riche en stages ambulatoires. » 
      • Super projet, faisons ça sur les 3 ans d’internat déjà : passons de 2 à 3 stages ambulatoires ! 
    • « harmoniser la formation de médecine générale avec les autres spécialités » 
      • Ca n’est pas un concours de taille normalement. 
    • « assurer des soins de qualité pour l’ensemble de la population » ; « lutter contre les inégalités sociales et géographiques de santé » 
      • Absolument aucune preuve qu’une 4ème année augmenterait le nombre d’installations (cf. graphiques plus haut), permettrait d’augmenter la qualité des soins ou de lutter contre des inégalités (et dans ce cas, pourquoi pas 5 ou 6 ans ?)
  • le SNJMG (syndicat national des jeunes MG) propose un Oui, mais… avec la seule condition que cette année permette d’optimiser la formation des étudiants.

Voilà où on en était fin 2016.

En 2017-2019, les positions se sont réaffirmées :

  • pour le CNGE, en 2017, la mise en place de la 4ème année est prévue pour 2020-2021. La vision du président du CNGE est claire sur la nécessité d’une 4ème année ; en 2019, il disait ceci (avec mes commentaires en italique) :
    • « Sur le plan pédagogique, la formation en DES de médecine générale est actuellement insuffisante pour assurer un niveau de compétences satisfaisant des internes au terme des 3 ans. »
      • A mon sens, il faut être clair sur les objectifs : à combien d’internes incompétents sommes-nous avec un internat à 3 ans, à combien voulons-nous être avec un internat à 4 ans ? S’il n’y a pas un « bilan de diagnostic », on ne pourra pas mesurer l’efficacité (c’est comme les bilans de diagnostics kinésithérapeutiques ^^)
    • « Par rapport aux besoins, les ratios enseignants-enseignés sont toujours très médiocres, mais on ne va attendre d’avoir des postes de titulaires universitaires pour faire la 4e année, sinon on risque d’attendre très très longtemps. »
      • On ne peut clairement pas reprocher au CNGE de ne pas batailler pour des postes universitaires, c’est à tout à leur honneur de ne pas en faire une limite.
    • « N’étant pas en situation professionnelle pendant une longue durée, beaucoup d’internes ne se sentent pas prêts à s’installer »
      • Cet argument n’est apparemment pas parmi les plus cités par les 15 300 personnes ayant répondu à l’enquête sur les déterminants à l’installation (commission jeunes médecins du CNOM) et qui dit que 75 % des internes aspirent à une installation libérale vs 35 % qui le font vraiment à 5 ans, pour des raisons liées à la vie sociale et familiale (la plupart des gens de 30 ans veulent des services de proximité), au rythme et à l’environnement de travail.
      • Obliger les internes à faire une 4ème année dans un désert, c’est ne pas respecter ce qu’ils disent dans cette enquête.
    • « La gestion du cabinet, c’est un peu un fantasme. Les médecins ont des comptables. L’apprentissage de la médecine, ce n’est pas l’apprentissage de la comptabilité. »
      • Mais du coup, si ça n’est pas la gestion du cabinet, le SASPAS 2 sera un 2ème SASPAS ? Rien de plus développé ? 
      • (Je suis assez d’accord : la gestion du cabinet peut faire peur, mais il y a des journées de l’installation et des gens toujours prêts à aider sur ce point ; vouloir tout régler par une initiation à la gestion administrative me semble relever un peu du fantasme, d’autant que chaque MSU le fait d’une façon différente… l’interne n’aura pas toujours une vision flatteuse de ce backstage du cabinet et ça sera autant incitatif qu’un frein, selon le niveau de procrastination et de propension à être débordé du MSU) 
    • Les internes de serviront pas de bouche-trou : nous avons des MSU formés, nous sélectionnons les services hospitaliers avec lesquels nous travaillons… Personne n’a fait aucun que la MG universitaire pour la formation des étudiants.
      • Le SASPAS2 sera censé être autonome immédiatement, capable de tenir un rythme plus soutenu que le SASPAS1, censé s’investir (si j’ai bien compris) dans la gestion du cabinet… le tout pour un salaire fixe qui sera probablement inférieur au BNC attendu par leur activité.
  • en 2018, l’ISNAR-IMG précise sa nouvelle position :
    • une formation optimale : nombre suffisant de stages ambulatoires (MSU), et d’enseignants généralistes (investissement pédagogique du parcours de formation),
    • une révision de toute la maquette pour s’adapter au parcours de formation de l’étudiant (pas de remplacement déguisé, pas de cache-misère…)
  • en 2018 et 2019, environ 70 % de 175 et 825 médecins (a priori non représentatifs de quoi que ce soit) sont contre cette 4ème année (respectivement Egora et Le Quotidien).
  • enfin, last but not least comme on dit, les internes ont été interrogés à plusieurs reprises :
    • en 2008, 52 % de 923 internes étaient contre (ISNAR)
    • en 2013, 55 % de 1 508 internes étaient contre (ISNAR) (et c’est plutôt 60 % contre pour ceux ne voulant pas de DESC…)
    • en 2018, 78 % de 664 internes étaient contre (39 % contre, 39 % d’accord si cette 4ème année est optionnelle) (ISNI – Le Quotidien)
    • en mai 2019, un vice-président de l’ISNAR évoque que « localement » 60 % d’étudiants seraient prêt à l’envisager (interview Egora).

A ce stade :

  • les internes sont majoritairement contre dans les 4 sondages que j’ai trouvés (je n’en ai pas retrouvé d’autres mais si vous en avez, n’hésitez pas, je les ajouterai !)
  • leur intersyndicale associative est plutôt pour, et ce depuis 10 ans, même si leur argumentaire a bien changé,
  • les enseignants (CNGE et SNEMG) sont pour,
  • les politiques ne comprennent… pas grand-chose, mais s’ils peuvent dire à leurs administrés « j’ai trouvé des médecins pour vos campagnes », ça les branche.

Et nous voici au printemps 2019 :

  • au congrès du CMGF, le président du CNGE a dit que « l’augmentation du nombre de MSU (10700 dont 9100 pour le 3ème cycle en 2019) va permettre la mise en place de la 4e année du DES de médecine générale : c’est une solution attractive forte pour l’exercice dans les territoires. »

  • en juin 2019, un amendement du Sénat (contre le conventionnement sélectif ou la régulation à l’installation, mais favorable à une incitation – à peu près les mêmes termes que ceux présentés par l’ISNAR et le CNGE) demande que « pour les étudiants de troisième cycle des études de médecine générale et d’autres spécialités définies par décret, la dernière année du troisième cycle (soit) une année de pratique ambulatoire en autonomie, en priorité dans les zones (où l’offre de soins est insuffisante). »
  • Les réponses des principaux protagonistes ont suivi :
    • L’ISNAR-IMG a aussitôt répondu qu’on ne peut pas « brader » un an de formation pour l’étudiant, et qu’on ne peut pas proposer à des patients d’avoir un étudiant face à eux. Ils n’évoquent pas la 4ème année de DES.
    • Le SNEMG a « appelé le gouvernement à accorder les moyens nécessaires (embaucher des enseignants et revaloriser les MSU) à la réalisation d’un projet ambitieux de 4e année (…) C’est uniquement dans ce cadre qu’une année en autonomie des internes en dernière année de professionnalisation permettrait de répondre aux besoins des territoires, des internes et de la population. »
    • Le CNGE a aussi réagi et titre : « Une solution aux problèmes démographiques pour les patients répondant aux besoins de formation des étudiants : la 4e année du DES de médecine générale dans les territoires », en précisant que « cet amendement partait d’une très bonne idée mais il est inapplicable en l’état et dangereux pour la formation en médecine générale dont le DES est déjà le plus court de toutes les spécialités. »
    • La ministre de la santé s’est dit défavorable à l’allongement du DES de médecine générale en absence de consensus.

Au total… si j’en crois tout ce que j’ai parcouru pour cette mise au point, en 2020-2021, on aura donc probablement un DES de médecine en 4 ans, avec la dernière année en supervision indirecte effectuée de façon prioritaire dans les zones sous-dotées (à cause des politiques des décennies précédentes), avec le rythme soutenu habituel dans ces zones, pour un salaire d’interne.

L’internat à 4 ans ne respecte ni l’avis des internes (qui ont voté « contre » dans les sondages), ni les principaux résultats de l’enquête sur les déterminants à l’installation réalisée par la commission jeunes médecins du CNOM en 2019 sur 15 000 jeunes médecins : les internes et jeunes installés disaient en effet vouloir se poser en fonction de leur famille, des infrastructures, du rythme de travail et de l’environnement.

Le tout sera fait dans l’espoir que l’interne sera :

  1. mieux formé grâce à cette année supplémentaire d’internat (versus l’internat de 3 ans + une année à travailler/remplacer… et évidemment pas versus un internat de 3 ans)
  2. davantage incité à s’installer (idem, versus internat de 3 ans + 1 année de remplacement/installation).

Sur le papier, je ne serai pas un fervent défenseur de cette 4ème année dans ces conditions, je crois que c’est clair.
Mais je n’y suis pas non plus farouchement opposé, si on définit des objectifs clairs, pour l’évaluer. Parce que c’est ce que je n’ai jamais trouvé dans ces 11 années d’argumentaire : des objectifs chiffrés. On parle d’un « niveau de compétence non atteint », d’internes qui « ne s’installent pas à cause d’une situation professionnalisante insuffisamment longue » : combien actuellement ? Combien sont attendus après ? S’il n’y a pas d’objectif préalable, comment juger de l’efficacité de la mesure a posteriori ? Peut-on ajouter une année à 3 500 internes, qui vont chacun « perdre » environ 30 000€ par an (à la louche, entre un salaire d’interne et un salaire d’un an d’exercice), pour un profit qui reste assez hypothétique ? Ce sont les réponses estimées / prévues à ces questions qui pourraient personnellement me persuader de l’intérêt de cette 4ème année…

Voilà pour la mise au point.

A dans 2 ans 1/2 pour la prochaine 😉

EDIT du 17 juin : 

Suite à ce billet, il y a plusieurs échanges sur Twitter ; j’en reproduis quelques-uns ici, qui me semblent intéressants pour aller plus loin.

Pourquoi les jeunes ne s’installent pas : certaines académies drainent des territoires trop larges, et les gens s’installent souvent près du CHU à un moment assez stratégique de leur vie (25-30 ans + salaire d’interne = des projets de logement, de mariage, de bébé, de scolarisation…)

Ensuite, quant à la rémunération de l’interne en SASPAS2, il est question que celui soit issu de l’activité (ça n’est pas encore définitivement acté, mais le CNGE et les étudiants sont la même longueur d’onde). A noter que certaines difficultés vont devoir être soulevées : par exemple, si les étudiants touchent des honoraires liés à une activité libérale, ils vont devoir s’inscrire à l’URSSAF (logique) et, s’ils dépassent le seuil du micro-BNC, devoir s’inscrire à une AGA… ce que certains étudiants ne font jamais, préférant le salariat (en médecine générale, à l’hôpital ou ailleurs).

Autre remarque très intéressante de @module5 : le SASPAS 2 se veut être un intermédiaire entre internat et installation, pour permettre à l’interne de continuer à profiter d’information, aide, conseil d’un MSU dans le domaine médical et la gestion du cabinet… mais c’est déjà l’article 2 du contrat de collaboration. La principale différence (souligne @docteurniide) est que l’interne en SASPAS n’a pas sa propre file active de patients… donc notamment pas vraiment d’engagement à moyen/long terme sur le territoire, d’objectifs de santé publique avec la CPAM, et pas de forfait non plus de la part de cette dernière.

Voilà, je pense que cette fois, c’est bon pour moi 😉

[Mise à jour de 2023] 

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Numerus clausus et déserts médicaux

J’aurais bien fait une série de tweets, mais un ami m’a rappelé que les blogs c’était bien aussi pour partager ses réflexions. Et puis j’ai déjà commenté sur Twitter ce week-end contre le CNG et leur incompréhension de la colère des étudiants ayant eu une journée supplémentaire d’ECNi…

… et je ne voudrais pas donner une image de râleur 😉 

Du coup, en me brossant les dents tout en lisant Twitter (où je passe définitivement trop de temps), je me suis fait la réflexion suivante : « pourquoi certains sont mécontents des passerelles infirmier vers études de médecine, alors qu’il manque de médecins (et d’infirmiers) en France ? » 

Par extension, pourquoi limite-t-on le nombre de médecins (par le numerus clausus) alors qu’il y a un problème de démographie médicale ? C’est vrai, c’est dommage : en 1ère année, on vire 80 % d’étudiants voulant être professionnel de santé et parallèlement on se plaint qu’il n’y a pas assez de médecins / kiné… On ne serait pas un peu cons, dites ? 

Je ne suis pas le premier à me faire la réflexion, mais je trouve que celle-ci est finalement souvent éludée. Pour résoudre le problème de la pénurie de médecins ou les déserts médicaux, tout le monde est sur le pont avec des idées pour attirer le chaland :

  • embaucher un « assistant médical » (avec l’aide de l’ARS) pour réaliser l’activité administrative du médecin… ce qui épargnera 6,4 heures sur une activité hebdomadaire estimée à 55 heures par semaine ;
  • déléguer des tâches répétitives (vaccinations, prise de tension artérielle, de poids, de taille)… ce qui ferait gagner quelques heures par semaine sans doute,
  • créer des maisons de santé pluridisciplinaires pour mutualiser les moyens… avec le risque quand même de devoir se coltiner un regard administratif (ARS ou autre), et perdre le temps économisé à faire des dossiers interminables (d’ailleurs, depuis peu l’EHESP propose une formation pour devenir « coordonnateur en maison de santé pluridisciplinaire »… ou comment les MSP vont peut-être se transformer en « mini-hôpitaux », avec des administratifs qui gouvernent le bouzin et expliquent qu’il faut réduire le personnel soignant « qui crée la dette »).
  • salarier des médecins avec toutes les petites questions que ça peut poser :
    • un médecin du travail ne prescrit pas d’arrêts de travail, mais un médecin salarié de la mairie peut-il prescrire des arrêts à des employés de mairie ?
    • un patient peut-il ressentir une exigence plus particulière envers un médecin qu’il paie par ses impôts locaux ?
    • un médecin peut-il refuser un patient de sa commune, fût-il odieux ?
    • comment consulter un médecin qui bosse sur les mêmes heures de travail que tout le monde ? etc.
  • ouvrir le champ de la télémédecine (je veux bien, mais vous avez vu le tweet avec les histoires des clés USB ?)
  • créer de nouveaux DES pour faire en sorte que ceux qui s’inscrivent en médecine générale ne fassent que ça et rien d’autre (idem pour la médecine d’urgence, la gériatrie, etc.) ; bref, limiter tout profil atypique pour pouvoir mieux ranger des individus dans des cases (mais quel dommage que les nouveaux urgentistes ne seront plus passés 6 mois en médecine générale !),
  • créer un service sanitaire obligatoire pour les étudiants en santé, et éventuellement les obliger à aller faire des stages un peu partout… (ce qui est déjà le cas, ça s’appelle l’externat).
  • tirer un trait sur la liberté d’installation (et là, à part à l’annoncer aujourd’hui pour dans 10 ans, c’est niet – on rappelle l’interdiction de changer les règles en cours de jeu, ce qui est un principe de base appris en cours de récréation pour ceux qui avaient des copains entre 3 et 10 ans).

Bref, beaucoup d’idées, que je ne critique pas au fond (sauf les 2 dernières) ! Bien sûr, je mets ici des aspects un peu négatifs pour contrebalancer l’enthousiasme que j’ai l’habitude de lire à propos de tout ça (sauf les deux derniers points encore une fois – d’ailleurs, toutes ces idées ne sont pas sur le même plan, mais elles sont des pistes citées régulièrement quand on parle de désertification).

C’est clair que c’est sûrement une situation idéale que d’être un médecin salarié dans une MSP avec des assistants médicaux qui aident, une petite musique zen dans la salle d’attente et un thé aromatisé sur le bureau tous les jours à 14h30. Mais on peut bien vivre sans tout ça (et nos patients aussi). Et finalement, si l’ensemble augmente la qualité de vie des médecins (sans doute), la prise en charge des patients (peut-être), il me semble très hasardeux de dire que ça va attirer de nouveaux médecins. Ca ne sert à rien de créer un hôtel de luxe au milieu du Sahara, vous voyez… 

Parce que des médecins, eh bien, je crois bien qu’il en manque, par rapport à la demande actuelle ! 

Scoop, je sais.

Certes, « on n’a jamais été autant de médecins qu’aujourd’hui« , mais il y a peut-être une différence entre les années 50 où on consultait quand l’os sortait à travers la plaie et notre époque où on peut voir 2 fois le même adulte pour le rassurer sur un rhume évolutif… (ahaha, ce troll ^^). Certains clament que nous sommes suffisamment mais pas assez bien répartis sur le territoire ; peut-être, mais en tout cas, nous avons moins de médecins que la moyenne européenne

 

Bref, de toute façon, ça ne sert à rien d’aller plus loin : je ne sais pas dans quel monde vivent les gens qui pensent qu’il y a assez de médecins, mais ils n’ont jamais eu à prendre de rendez-vous chez un dermato ou un ophtalmo (ou par leur secrétaire, chez un médecin non conventionné). Et d’ailleurs pour ces spécialités, ça va s’aggraver dans les années à venir, bien plus que pour les généralistes. Chouette avenir, non ? 

 

Mais du coup, s’il n’y a pas assez de médecins… pourquoi on n’en recale pas moins à l’entrée ? Pourquoi ne pas augmenter le numerus clausus ?

Il y a quelques pistes de réflexion dans cet article d’un membre du bureau de l’association des étudiants. 

Ca risque de surcharger les facultés ! Les locaux manquent : agrandissons encore. Les enseignants manquent : embauchons. Les stages manquent : c’est-à-dire que les services sont soit surchargés d’étudiants, soit en manque d’effectifs médicaux et du coup deviennent de « mauvais » terrains, boycottés (à raison) par les étudiants qui les laissent alors en manque d’effectifs et… bref, voyez l’idée. 

Bon… les sous manquent. Là, il faut savoir ce qu’on veut. Si le projet comporte des facultés, des enseignants-chercheurs et des médecins, oui il faut des sous. Vous n’avez qu’à dédier à ça les taxes sur le tabac, j’en sais rien (il va où cet argent d’ailleurs, il est fléché ?) Augmenter les médecins, c’est aussi risquer d’augmenter un peu la demande et les dépenses de santé (a priori pas énormément, la plupart des gens étant déjà suivis et soignés)… Certes, ça diminuerait un peu le chômage (pas de recherche d’emploi pour les médecins !), mais visiblement ça ne compense pas ça. 

Après, augmenter le numerus clausus, c’est aussi dire à des étudiants : « vous, vous avez trimé, mais ceux après vont trimer un tout petit peu moins »… Et ça, c’est comme dire « des gens vont pouvoir accéder à vos études sans avoir fait la première année » : pour certains, ça ne passe pas, parce qu’il y a un sentiment d’injustice. 

Enfin, je ne suis pas d’accord avec l’idée que les médecins ne s’installeraient pas en zones sous-dotées. S’il y a beaucoup de médecins, il y aura naturellement un retour vers les campagnes. Peut-être pas dans le village de 3 habitants et 2 chèvres, où de toute façon c’est déjà fichu ; mais les médecins retourneraient sûrement volontiers dans ces villages et petites villes qui ont perdu 3 médecins d’un coup (parce qu’un est parti en retraite et que les 2 autres n’ont pas pu affronter un afflux de patients supplémentaires…) 

Bref, un long billet qui part à nouveau dans tous les sens… mais si vous voulez mon avis au point d’avoir lu tout ça jusqu’ici, la solution est peut-être d’abord d’augmenter le nombre de médecins, et ensuite de créer des offres alléchantes pour les répartir intelligemment. 

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Accès aux soins et liberté d’installation

Dans le train qui me ramène à mon cabinet, je lis l’article de 20 minutes « Le système de santé s’est grippé » et ses raisonnements à deux francs six sous. Je vous le résume en quelques citations en précisant ce qui m’énerve.

 

« Les déserts médicaux sont de plus en plus nombreux ».

— La notion de déserts médicaux est tellement vague qu’on ne peut donner aucun chiffre : en France, c’est là où il y a 30 % de moins de médecins qu’ailleurs.

Pour voir un peu la démographie par spécialité en France en 2015, les chiffres sont là et pour rappel il n’y a jamais eu autant de médecins (et de patients) qu’aujourd’hui en France.

Un désert médical n’est gênant que s’il y a un retentissement sur les patients, pas à cause du fait qu’il y ait 30 % de moins qu’ailleurs. A l’extrême, si un français sur 2 était médecin, s’amuserait-on encore à dire qu’à Limoges (par exemple) il est scandaleux de ne compter qu’un médecin sur 3 habitants, soit 30 % de moins que la moyenne nationale de 1 sur 2 ?

Les premiers concernés ne sont pas les généralistes et de loin (seulement 5 % de la population est à plus de 15 minutes d’un médecin) ; ce sont les ophtalmologues, gynécologues, pédiatres, etc.

 

« A trois stations de RER près, on n’a pas le même accès aux soins (…) plus de 20 généralistes et 70 spécialistes pour 10 000 habitants près du jardin du Luxembourg alors qu’il y en a 10 à 12 fois moins à Bobigny ».

— Attention, la réponse à ce problème se trouve dans cette réflexion.

Oui, voilà. Rendre Bobigny aussi sympathique à vivre que les jardins du Luxembourg !

A noter quand même que 5 médecins généralistes pour 10 000 habitants, c’est loin d’être une situation exceptionnelle quand on s’éloigne un peu de Paris, et pour des gens qui n’ont pas pléthore de médecins à 3 stations de RER. Ni pléthore de RER, d’ailleurs.

 

« Faute de pouvoir aller chez le médecin, les plus précaires se rendent aux urgences. » / « Des gens pauvres, qui n’ont pas accès à une médecine de proximité, se voient diagnostiquer des cancers en phase terminale en se rendant aux urgences pour des difficultés respiratoires. »

— Les plus précaires ont la CMU-complémentaire. S’ils ne sont pas assez précaires, ils ont l’Aide pour une Complémentaire Santé.
Dans tous les cas, une consultation médicale de généraliste coûte 6,90 euros (un peu plus pour les spécialistes) si on fait un tiers payant simple (je ne parle pas du tiers payant intégral, je parle de cocher une case sur la feuille de soins – papier ou électronique –, faisable facilement pour tous les patients par tout médecin).
La situation est différente pour certains spécialistes qui font des dépassements d’honoraires ou sont en secteur 2 bien sûr… mais là, ça n’est pas un problème de lieu d’installation ni de « médecine de proximité ».

Je connais aussi des cas de patients qui se voient découvrir une maladie à sombre pronostic en passant par les urgences ou à l’hôpital, mais la cause n’était jamais « pas de médecin assez proche ». Plutôt une errance diagnostique, un nomadisme médical, un refus de soins par les patients…

 

« En vingt ans, le nombre de passages aux urgences a doublé » indique Hugues Nancy, co-réalisateur du documentaire.

— Je vais parler de mon hôpital de proximité, sachant que c’est globalement pareil partout. Je le connais un peu, parce que j’y ai travaillé, j’ai participé également aux CME (commissions médicales d’établissement). Elles m’ont été assez pénibles, je ne l’ai jamais caché, mais aussi instructives sur l’aspect administratif d’un hôpital.

Naïvement, je pensais que le seul but de cette structure était la santé, les soins. Faux : l’hôpital est géré par des vrais chefs d’entreprise. Leur but premier reste la santé des patients (je crois sincèrement que c’est leur vrai objectif) ; mais ça passe par acheter des IRM, embaucher du personnel soignant, des médecins, ouvrir des services, agrandir l’hôpital… Pour ça, il faut de l’argent : et là, ça peut passer par des vraies offensives guerrières pour absorber l’activité de pédiatrie délaissée de la clinique concurrente voire piquer des patients à l’hôpital voisin de 30 minutes.

Dans cette optique saine de gagner de l’argent, TOUT séjour hospitalier demandé après examen clinique, interrogatoire, etc. par un médecin généraliste passe par les urgences (genre « allo, coucou, mon patient a une tétraparésie depuis 2 semaines, il faudrait qu’il soit hospitalisé dans le service de neurologie » → « ok, faites-le passer par les urgences »).

Un passage aux urgences apporte évidemment de l’argent à l’hôpital avec 2 systèmes : un forfait de 25€ par patient venant aux urgences à condition qu’il n’y ait pas d’hospitalisation derrière (plutôt ceux qui viennent sans avis médical) et un autre forfait selon le nombre de passages annuels qui ne dépend pas, lui, de l’hospitalisation qui peut s’ensuivre (annexe 10 de ça).

Si on arrête déjà de faire passer les gens relevant clairement d’une hospitalisation par les urgences, l’activité peut redescendre de 25 % peut-être (nombre complètement aléatoire)… sauf que si les urgences rapportent moins d’argent, les moyens alloués et le personnel seront réduits d’autant. C’est rigolo comme système, non ? Quand on a une réflexion financière sur « grossir l’hôpital », on ne peut qu’augmenter l’activité. Et – ô désespoir – ça, ça n’est absolument pas du ressort des médecins généralistes qui peuvent invoquer tous les dieux de l’Inde et la Grèce antique sans jamais réussir à faire admettre un patient dans un hôpital sans passer par les urgences.

 

« Les gens ne viennent pas à l’hôpital pour rien, ils ont besoin de voir un médecin, mais n’y ont pas accès, ou ne peuvent pas avancer les frais de consultation », précise Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France.

— Alors déjà, les gens viennent parfois à l’hôpital pour rien, médicalement parlant ; ils ne viennent jamais pour rien, selon eux. La dizaine d’urgentistes que j’ai croisés pensent ça.

Pour l’accès financier au médecin, voir au-dessus.

Pour l’accès physique, je pense qu’on se fout UN PETIT PEU de la gueule du monde en laissant sous-entendre qu’un patient n’a pas accès au médecin mais a accès aux urgences. Dans ma région considérée désertée ou presque, c’est simple, il y a un hôpital à 30 minutes de tout le monde, et un médecin généraliste à 3 ou 5 minutes en voiture. Dans les alpages ou en plein cœur de la Creuse, il n’y a pas de service d’urgences pour relayer des médecins généralistes.

Bref, un peu de bon sens, merci.

 

« L’une des solutions serait de remettre en cause le principe de liberté d’installation des médecins généralistes, comme pour les enseignants en début de carrière »

— Graaaaaaaaaaastpoahotaophqosgo. Ergh.

Bon, d’accord, je vais développer.

Un médecin généraliste a passé 1 concours d’entrée et 1 concours préparé sur 3 ans qui lui a potentiellement fait changer de région académique (ECN en 6ème année, à 24 ans, quand les enseignants ont déjà un an d’ancienneté), il peut ensuite s’installer à 28 ans, trouver un logement qui lui convient, payer un loyer, être taxé forfaitairement par l’URSSAF, la CARMF, et que sais-je ; à ce moment, il doit donc réfléchir à s’installer dans un lieu où il aura l’assurance d’avoir suffisamment de patients pour avoir une activité viable et pour, pourquoi pas, acheter une maison, perpétuer l’espèce humaine et faire grandir sa progéniture dans des coins qui lui apparaissent sympas (campagne pour certains, ADSL et fibre optique pour d’autres).

Et alors pour désamorcer tout de suite le classique « les études sont payées, il doit faire ce que l’Etat lui dit », je rappelle que je m’en gausse avec de puissants et gutturaux « Ahahah ». Pour ceux qui n’ont pas suivi, l’Etat est obligé en 2015 de suivre un décret européen, après s’être fait remonter les bretelles, pour que le temps de travail des internes soit limité à 48 heures par semaine (pour 1300-2000 euros par mois selon les gardes), afin notamment de leur laisser du temps libre pour la formation obligatoire de 80 heures par an et leur thèse. Ca ne sera évidemment pas respecté partout, et ça fait suite à 3 ans d’externat où un stage à mi-temps – avec un vrai rôle utile à l’hôpital souvent – est payé 100 à 250 euros par mois (et 20 euros par garde). Donc, nada, l’Etat ne m’a rien apporté que je ne lui ai déjà rendu au moins en grande partie, ce qui est sûrement loin d’être le cas de toutes les écoles.

Alors peut-être qu’après tout ça, certains vont chercher le soleil ou la proximité d’un cinéma. Bon. Est-ce bien une raison pour supporter la demande de restriction de liberté d’installation ?

D’ailleurs, c’était le propos du Professeur Vigneron en 2012 :  » On ne peut pas les obliger à tout quitter à la fin de leurs études déjà longues pour aller s’installer là où le système a besoin d’eux. » Bon, je pense aussi qu’il n’a pas trop intérêt à critiquer cette liberté d’installation vu son parcours : chargé de recherche en Polynésie française (1982-1991), maître de conférences à Lille/Liège (1991-1994) et professeur à Montpellier (1995-2015)…

 

"La liberté d'installation est un scandale. Moi, à 28 ans, dans l'île déserte de Tahiti, je..."

La liberté d’installation pleine et entière à la fin des études est un problème.

« Il faut (sic) développer des structures intermédiaires, entre le cabinet médical et l’hôpital, prescrit Claude Le Pen, économiste de la santé. A l’instar des centres de santé pluridisciplinaires (…) qui sont salariés par les collectivités ou par l’Etat. »

— J’ai travaillé dans 2 centres de santé pluridisciplinaires géographiquement proches, mais assez opposés dans l’esprit. Personne n’était salarié de la collectivité déjà.

Il y a une mode à la création de ces structures depuis quelques années ; toutefois, avant qu’un économiste n’ordonne de suivre le mouvement, on peut peut-être rappeler que rien ne dit que ça réduit les coûts de santé publique, que ça augmente la qualité de vie des patients ou quoi que ce soit. Oui, c’est intéressant d’avoir plusieurs modes de travail possibles ; de là à ce qu’un économiste dise qu’il « faut » des structures « entre le cabinet et l’hôpital », je crois que c’est encore une vision très hospitalière de la situation de ville…

 

« Même si le système de soins français n’est pas parfait, il reste très bon, tempère Hugues Nancy. Il est innovant et le plus égalitaire possible. »

Merci. Au Québec, un désert médical c’est une zone sans médecin à 200 km à la ronde. En France, c’est moins de 30 % de la moyenne nationale. C’est un problème, mais ne mettons pas tout sur la liberté d’installation des médecins.

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